Babylab de Grenoble : La Recherche sur les nourrissons

Publié par Hélène Mottier, le 24 mai 2018   11k

Chronique rédigée et présentée par Hélène Mottier pour le MagDSciences 
>> Ré-éditée pour Echosciences <<



Sur le campus universitaire de Saint-Martin d’Hères, vous pourrez rencontrer des bébés en poussette ou dans les bras de leur parent. De bien jeunes étudiants me direz-vous ! 

En réalité, les parents et leurs nourrissons se sont portés volontaires et se rendent au Babylab, une structure de recherche spécialisée dans l’étude du développement des capacités cognitives des bébés au sein du laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (UGA, CNRS UMR 5105). Le Babylab est bien différent de l’idée que l’on pourrait se faire d’un laboratoire de biologie par exemple ! Ici, pas de microscope mais un espace dédié à l’accueil des bébés et leurs parents, avec des collations, des jouets, des livres et deux salles équipées de caméras et d’écrans pour réaliser les études et enregistrer les réactions des nourrissons.

Au cours de la première année de vie, les enfants apprennent et intègrent une multitude d’informations provenant des différents sens. En tant qu’adultes, nous sommes bien souvent sidérés de la rapidité à laquelle ils progressent ! Et la manière dont les tout-petits acquièrent les connaissances sur leur environnement physique et social nous paraît bien mystérieuse… C’est justement pour mieux comprendre le développement des capacités cognitives que le Babylab de Grenoble a été créé par Olivier Pascalis, Directeur de Recherche CNRS.


 

Comment étudier les comportements des bébés ?

Pas facile de savoir ce que pensent ou ressentent les nourrissons !            La méthode la plus utilisée est la mesure du temps de regard. On enregistre le temps moyen passé à regarder une image par rapport à une autre.  

Les nouveaux-nés acquièrent très tôt la capacité de contrôler les mouvements de leurs yeux, de diriger leur regard sur un endroit précis et de maintenir leur attention dessus. De fait, l’attention visuelle portée sur tel ou tel objet nous en apprend beaucoup sur la manière dont les bébés comprennent leur environnement, sur ce qu’ils préfèrent, ou encore, sur la manière dont ils catégorisent et mémorisent.

Les études se déroulent toujours de la même manière : le bébé est installé sur les genoux d’un des parents devant un écran sur lequel vont bientôt s’afficher des images. Une caméra est fixée au-dessus de l’écran et enregistre le regard de l’enfant.

Si l’on veut étudier la reconnaissance des visages, on montrera par exemple un même visage pendant 10 secondes à quatre reprises consécutives : c’est la phase de familiarisation. Puis, dans la phase de reconnaissance, on présente à l’enfant le visage appris et un nouveau visage côte-à-côte. S’il reconnaît le visage appris, il portera son attention plus longtemps sur le nouveau visage ; on parle d’effet de nouveauté. C’est en utilisant ce type de méthode que l’équipe du Babylab a par exemple montré que dès 9 mois, les bébés sont capables de différencier des visages d’adulte et de nourrisson : ils forment des catégories de visage en fonction de l’âge. En revanche, ce n’est qu’à partir de 1 an que les nourrissons vont différencier les visages d’enfant et ceux de nourrisson. L’exposition à différents groupes d’âge au cours de la première année de vie permet le développement de ces catégories.

D’autres recherches sur les nourrissons ont également pu montrer que nos performances ne vont pas toujours en s’améliorant ! Dans le cadre de la perception des visages, les études indiquent que les nourrissons de 6 mois distinguent et mémorisent mieux les visages d’autres primates que ne le font les adultes. C’est aussi le cas pour les visages humains d’un autre type que celui qui est majoritairement représenté dans notre environnement. Ainsi, au cours de la première année de vie, nous devenons progressivement experts dans la reconnaissance des visages de notre environnement mais cela a un coût, nous devenons moins performants à reconnaître les autres types de visages !

Un autre appareil, appelé occulomètre ou eye-tracker, permet d’étudier avec plus de précision la position du regard du nourrisson. On peut ainsi connaître la façon dont les bébés vont explorer au cours du temps des scènes visuelles complexes. Une autre étude menée au Babylab de Grenoble a ainsi mis en évidence que dès 1 an, les nourrissons ont développé un comportement visuel similaire à celui des adultes. Avant 12 mois, les durées de fixation sur les éléments principaux de l’image ne diffèrent pas des fixations réalisées sur les éléments en arrière-plan. A partir de 12 mois, on observe une première phase d’exploration de toute la scène visuelle, puis une seconde phase durant laquelle les bébés focalisent leur attention sur l’élément central de l’image, comme le font les adultes.



De la préférence visuelle des bébés au jugement esthétique des adultes

Dans ma thèse, je m’intéresse à la formation du jugement esthétique. On dit souvent que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde mais si les yeux et les aires visuelles cérébrales des humains fonctionnent de manière quasi-identique, le jugement de la beauté n’est peut-être pas si différent d’une personne à l’autre… Le jugement de la beauté est influencé par nos capacités perceptives mais aussi par des processus cognitifs dits de plus haut niveau tels que la compréhension, ou l’utilisation des connaissances acquises. 

Pour distinguer ces deux grands types d’influence, nous étudions les préférences esthétiques des adultes que nous comparons avec les préférences visuelles spontanées des bébés, dont l’expérience de vie est encore faible. Dans une première étude, nous avons ainsi mis en évidence que les adultes s’accordent majoritairement sur la beauté de point lumineux en mouvement et que les nourrissons regardaient plus longtemps les points lumineux jugés plus esthétiques par les adultes. Ce lien entre ce que les bébés regardent plus longtemps et ce que les adultes préfèrent, pourraient donc indiquer une influence forte des traitements perceptifs dans le jugement de la beauté. A ce même titre, de précédentes études avaient montré que les nourrissons regardaient plus longtemps les visages qui avaient été jugés plus beaux par les adultes. Dans des études en cours, nous voulons donc voir si les nourrissons regarderont plus longtemps les œuvres d’art jugés esthétiques par des adultes… Ce sera peut-être une autre histoire !


                                                                                                           Le Babylab tient à remercier chaleureusement  les parents et les bébés volontaires pour les études ! 

                                                                                                       Les recherches se poursuivent ! N'hésitez pas à les contacter : enfance@univ-grenoble-alpes.fr 

http://www.babylab-grenoble.fr/


Références bibliographiques :

Damon, F., Quinn, P. C., Heron-Delaney, M., Lee, K., & Pascalis, O. (2016). Development of category formation for faces differing by age in 9-to 12-month&dash;olds: An effect of experience with infant faces. British Journal of Developmental Psychology, 34(4), 582-597.

Damon, F., Méary, D., Quinn, P. C., Lee, K., Simpson, E. A., Paukner, A., ... & Pascalis, O. (2017). Preference for facial averageness: Evidence for a common mechanism in human and macaque infants. Scientific Reports, 7, 46303.

Helo, A., Rämä, P., Pannasch, S., & Meary, D. (2016). Eye movement patterns and visual attention during scene viewing in 3-to 12-month-olds. Visual neuroscience, 33.

Mottier, H., Méary, D., & Pascalis, O. (2017). Visual Preference for Kinetic Patterns: Evidence for an aesthetic of motion. Talk presented at Neurosciences cognitive in development research group (CNRS GDR 3440), Paris.

Pascalis, O., de Haan, M., & Nelson, C. A. (2002). Is face processing species-specific during the first year of life?. Science296(5571), 1321-1323.

http://sapience.dec.ens.fr/bab...

http://www.babylab-grenoble.fr/


Photographies : Eluan 

Peinture : Edvard Munch - ''Andreas Reading'' - 1882-83