Bien-être animal et écologie : croisements et divergences - Retour sur un séminaire "Sciences, société, communication"

Publié par Yulia Potié, le 1 janvier 2024   660

Le mercredi 6 décembre avait lieu la cinquième séance de séminaire “Sciences, sociétés, communications” organisée par la MSH Alpes de l’Université de Grenoble Alpes.

Gaëlle Ronsin est historienne et professeure associée à l'UQAR, dans le cadre du séminaire science, société et communication, elle nous présente les croisements et divergences entre la cause animale et la cause écologique.
Dans ce cadre, Gaëlle s’est tout particulièrement intéressée au cas des phoques, elle étudie notamment le cas de la chasse aux phoques au Canada et l’affaire plus récente des phoques décapités dans le Finistère.

Cause animale et cause écologique, deux causes distinctes ?

Les défenses de la cause animale et de la cause écologique sont souvent considérées séparément. Elles se recoupent cependant dans bien des domaines et possèdent des points de convergences. 

La différenciation de ces deux causes s’est construite sur le temps long mais elles se rencontrent ponctuellement sur plusieurs niveaux. En effet, lorsque la cause animale est formulée en termes systémiques, le phénomène est défini dans son ensemble, avec ses interactions, au sein d’un système plus grand. Contrairement aux définitions sectorielles plus courantes, qui prennent en compte seulement les animaux en tant qu’individus, sans penser à l'environnement qui influe directement ou indirectement sur ces individus. La vision systémique considère quant à elle tout ce qui peut avoir un impact sur les animaux et, entre autres, leur environnement et donc apporte une dimension écologique.
La cause animale croise aussi la cause écologique dans les idéaux et les propriétés sociales de leurs défenseurs. Les militants des deux causes sont généralement guidés par la même éthique.

En ce qui concerne la morale et les registres d’action, les deux causes sont quelque peu différentes. Pour beaucoup de militants écologiques, une sur-population d’animaux est un danger pour l’environnement, ce qui a souvent entraîné plusieurs campagnes d’éradication.

Dans biens des cas les causes animales et écologiques vont dans le même sens et lutte contre un ennemis commun, mais dans d'autres cas les deux luttes se retrouvent dans des camps opposés et leur missions deviennent incompatibles.
Le phoque est un très bon exemple pour mettre en évidence les croisements et divergences entre cause animale et cause écologique.

L’exemple de la chasse aux phoques au Canada : un revirement de cause

Le premier cas étudié par Gaëlle est celui de la chasse du phoque au Canada, en particulier autour des îles de la Madeleine, au sud-est du pays. 

Avant les années 50, la chasse aux phoques était traditionnelle, dans le but de récupérer la fourrure, mais aussi la viande et la graisse pour subvenir aux besoins des locaux. C’est après le début des années 60 que l’industrie de la mode européenne s’intéresse à la fourrure blanche des petits phoques du Groenland : les blanchons. La chasse au Canada devient donc très intense et la chasse industrielle, de masse et non régulée remplace la chasse traditionnelle.

En parallèle de cette chasse grandissante, les antagonistes de la pratique font plusieurs constats : 

  • Énormément de phoques sont tués, on observe une baisse de la population de plus de 50% depuis les années 60.
  • On les tue uniquement pour leur fourrure.
  • Les méthodes de chasse sont considérées comme barbares, avec l’utilisation du hakapik, une arme pour, entre autres, briser le crâne des phoques.

Avec ces constats commence une lutte internationale contre la chasse aux phoques du Groenland avec, en 1964, une première émission à propos des phoques sur Radio Canada. Différents médias du monde s’emparent de la cause, on peut évoquer notamment la fameuse couverture de Paris Match “Sauvons les bébés phoques”. Le Canada finit par imposer des premiers quotas sur la chasse aux phoques, mais la lutte continue avec la création d’ONG de renommée comme Greenpeace (1971) et Sea Shepherd (1977) qui ont joué un rôle déterminant. Ce sont les premières ONG à faire le lien entre cause animale et cause environnementale. On note donc une mobilisation médiatique et associative forte, mais aussi une bataille culturelle avec, par exemple, un dessin animé en France : Bibifoc, qui met en scène un petit phoque et ses amis qui vont combattre les méchants chasseurs. 

La lutte se poursuit jusqu'à l’effondrement du marché de la fourrure dans les années 80 avec d’abord, en 1982, l’interdiction de l’importation de peaux de blanchon du Canada à l’Europe et ensuite avec l’interdiction de la chasse aux blanchons au Canada dans le cadre du Règlement sur les Mammifères Marins (RMM) en 1987.

Ce soulèvement a marqué aussi le territoire Canadien avec de nouvelles implications locales : 

  1. Abattage
    Il est désormais interdit d’abattre les blanchons, mais il reste difficile de juger si le phoque est encore un blanchon ou s’il a fini sa phase de transition en phoque adulte.
  2. Surveillance
    Réglementation complexe et surveillance énorme des pratiques de chasse grâce à la mise en place d’un permis pour pouvoir observer la chasse. Les chasseurs sont maintenant très régulièrement suivis par des animalistes (militants de l’animal), des journalistes, ou encore des agents des pêches grâce à la mise en place du permis d’observation.
  3. Mise en place de “cours de bien-être animal”
    Qui sont en réalité des cours de chasse pour apprendre à « bien tuer » l’animal, sans le faire souffrir, ou le moins possible.

Avec la mise en place des quotas et l’effondrement des marchés, les phoques du Groenland reviennent peu à peu sur le territoire. Un problème se pose cependant : en plus des phoques du Groenland, les phoques gris, qui vivaient plus au sud des côtes Canadiennes, colonisent et remontent les côtes. Cette espèce se fait à son tour chasser, car les quotas mis en place depuis 1971 ne s’appliquent qu’aux phoques du Groenland.

Avec le retour des phoques sur les côtes, la chasse reprend, mais avec un nouveau discours, vers une chasse plus responsable. D’abord, fini le gaspillage, le phoque tué est utilisé dans son entièreté, on ne se limite pas à la fourrure, on mange la viande et on utilise la graisse. Il y a en parallèle, un discours ambiant sur le retour au local, pour une démarche écologique, il vaudrait mieux chasser le phoque que faire importer du bœuf de très loin. La chasse est aussi justifiée par le maintien de la biodiversité, le phoque gris se nourrit principalement de morues et aurait éliminé cette espèce des côtes Canadienne à cause de la surpopulation des phoques. Les habitants se plaignent aussi, car le phoque gris détruit les structures et la chasse au phoque se ferait plutôt dans un esprit de régulation responsable que de chasse massive. Il y a donc un retournement de situation et une moralisation de la chasse en réponse à une problématique écologique, ce qui entraîne de nouveaux débats et controverses.

Affaire des phoques décapités : L’héritage de la chasse au phoque ?

En France et dans l’Union Européenne, le phoque gris figure sur la liste des espèces protégées. Cela signifie qu’il est interdit de les chasser. Pourtant, au large de la Bretagne, avant que ces mesures ne soient mises en place, le phoque a été largement chassé, notamment pour servir d’alimentation, au point de disparaître des côtes bretonnes. 
Depuis, les populations de phoques gris, particulièrement en Bretagne, n’ont cessé d’augmenter. Tout droit venus d’Angleterre, ils colonisent de plus en plus le large du Finistère. La raison de cette prolifération ? La création d’un parc marin protégé au large de la Bretagne, mais également une conséquence du changement climatique qui favorise l'arrivée des phoques dans les eaux françaises.  

Cette nouvelle prolifération, conséquence directe des changements environnementaux, amène avec elle de nouvelles problématiques. Ainsi, le 16 janvier 2020, on pouvait lire à la Une du Télégramme, un journal de presse breton : “Guerre de territoire entre phoques gris et pêcheurs”. Cette “guerre” s’explique par une pression sur les ressources en poisson : avec d’un côté les pêcheurs cherchant à conserver leur activité et leur dynamique économique, percevant les phoques comme des concurrents, et de l’autre, les phoques gris, se nourrissant de quantité importante de poisson, protégé par des statuts et des ONG de protection de la faune sauvage. Le rapport entre cause animale, avec ici la préservation des phoques, et cause environnementale, avec la prolifération des phoques et les ressources en poisson, s’entremêlent donc.

Mais ce n’est pas la première fois que le phoque gris en France est sur le devant de la scène, avec notamment une affaire qui a secoué la France entière.
Le 25 avril 2019, l’ONG de protection de l’océan Sea Shepherd France offrait 10000 euros dans un appel à récompense (ou à délation). Le motif ? identifier les responsables de la décapitation de deux phoques en Bretagne. Revenons un instant en arrière. Mi-février, une tête de phoque placé en évidence est retrouvée dans le port de Concarneau. La gendarmerie maritime se saisit de l’affaire et lance une enquête. Quelques semaines plus tard, le corps était retrouvé, et un nouveau corps en mars. Cependant, l’enquête piétine, la gendarmerie décide alors de faire “fuiter” l’affaire en l’exposant au grand public. L’annonce suscite alors une vive réaction dans la population, et les ONG de protection de la cause animale s’emparent de l’affaire, notamment, Sea Shepherd France en publiant un appel à récompense en échange de témoins pouvant identifier le ou les coupables. Cette pratique n’existe presque pas chez les associations en France, bien qu'elle soit juridiquement valide. Malgré tout, grâce à cette action, les coupables, deux pêcheurs finistériens, sont retrouvés et débutent alors leur procès, qui se terminera en 2023. C’est un événement, puisqu’il est très rare qu'ait lieu en France un procès pour des animaux sauvages. 

En plus de la mobilisation de Sea Shepherd France qui s’avérera déterminante dans ce procès, ce dernier mobilise deux types d'associations spécialisées dans la cause animale : les associations de protection de la faune sauvage et des associations de protection d’animaux domestiques comme la Spa. Elles plaideront aussi pour l’instauration d’un droit de la nature, de droits moraux pour la nature. Les avocats des associations plaideront notamment que cette déviance envers les animaux puisse devenir de la maltraitance envers les humains. Les pêcheurs se défendront en déclarant que l’animal était déjà mort, et qu’ils souhaitaient un trophée à l’image des muséums d’histoire naturelle. Ils évoqueront tout de même qu’ils connaissaient la différence entre phoque gris et phoque blanc et utiliserons le même ordre de registre qui les chausseurs de phoques au Canada dans leurs déclarations.

Ainsi, le phoque est structurant de la cause animale aussi bien que de la cause environnementale. Son attribution à l’une ou l’autre cause dépend en réalité de l’angle dont on prend le problème, angle qui peut évoluer, et qui a déjà évolué, notamment dans les scènes de moralisation du rapport aux animaux ces dernières années.

Retrouvez d'autres articles sur les séminaires du cycle "Sciences, société et communication" dans le dossier Echoscience suivant : https://www.echosciences-greno...

Un arcticle co-écrit par Yulia Potié, Guilhaume Boo et Flavie Labousset.