Biomimétisme : et si la nature construisait nos villes ?

Publié par Amandine Bruchon, le 30 décembre 2021   11k

2021. Article écrit par Amandine BRUCHON, Etudiante M2BEE

Face aux nouveaux défis du changement climatique, des solutions sont cherchées pour réduire nos impacts. Un intérêt grandissant est porté au biomimétisme. Ce n’est pas une solution parfaite qui arrêtera tous les impacts mais elle pourrait les limiter et les réduire.                                                                                                                                                                                                

L’histoire du biomimétisme

Le biomimétisme qui signifie littéralement « imitation du vivant » est défini selon la norme ISO comme une « philosophie constituée d’approches conceptuelles interdisciplinaires prenant pour modèle la nature afin de relever les défis de développement durable (social, environnemental et économique)». Ce n’est pas un concept nouveau ; l’homme s’inspire depuis toujours de la nature pour répondre à ses besoins. Ce qui nous entoure est une source d’inspiration inépuisable permettant de développer notre imagination à notre volonté. Le premier à le formuler est bien entendu Léonard de Vinci, en observant les chauves-souris pour essayer de créer une machine volante, il préconisait déjà de s’inspirer de la nature : « Apprenez de la nature, vous y trouverez votre futur ». [1]                                                                                  

Mais sans nous en apercevoir, nous utilisons tous les jours des objets qui ont été créés en s’inspirant de la nature. Le velcro a par exemple été fabriqué en observant les crochets des fruits d’une plante : la bardane [2]. Le biomimétisme, ce n’est pas copier la nature mais s’en inspirer à partir d’observation pour l’adapter à nos besoins, et probablement pour éviter d’épuiser toutes les ressources naturelles. Il permettrait de concilier le développement économique avec la préservation de la nature.

Il existe trois niveaux de source d’inspiration [3] 

Les formes et les structures de la nature : L’avant du train le plus rapide du monde, le Shinkansen (Japon), a par exemple été construit en observant le bec du martin-pêcheur pour être le plus silencieux possible en limitant les chocs phoniques en sortant des tunnels, pour réduire sa consommation d’énergie et augmenter sa vitesse.

Les fonctions et les propriétés des organismes : Des entreprises essayent d’imiter les propriétés des pattes de gecko pour créer des rubans très adhésifs.

L’organisation, en s’inspirant des interactions et du fonctionnement global des écosystème : La permaculture utilise ces principes, elle s’inspire des écosystèmes biologiques en préservant la biodiversité.                                                                                                                                                                                                         

Son utilisation dans notre société

La notion de biomimétisme est seulement théorisée dans les années 1997 par Janine Benyus dans « Biomimicry-Innovation Inspired by Nature » et elle propose de s’inspirer de la nature pour répondre à nos problèmes actuels : « La nature a déjà résolu les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Les animaux, les plantes et les microbes sont des ingénieurs accomplis. Voilà le message du biomimétisme : après 3,8 milliards d’années de recherche et développement, les échecs sont devenus fossiles, et ce qui nous entoure est la clé de la survie ».

En France, le biomimétisme est vraiment évoqué depuis une dizaine d’années. Un premier colloque a été organisé en 2012 afin de réunir des chercheurs, des entreprises et des ingénieurs. Un Centre Européen d’Excellence en Biomimétisme de Senlis (CEEBIOS) a été créé en 2014. Pour donner une idée de l’augmentation très récente de la recherche dans ce domaine, en 2017, 175 équipes de recherche ont été recensées contre 45 en 2012. [4] Des formations ont même été créées pour former aux métiers du biomimétisme. Deux master ont vu le jour très récemment en 2021, un dans l’école nationale supérieure de création industrielle (Ensci) à Paris et l’autre à l’université de Pau et des pays de l’Adour. Elles sont basées sur l’étude des organismes et écosystèmes pour développer de nouveaux matériaux. [5] Le biomimétisme est utilisé principalement dans 5 grands domaines : les matériaux, la chimie verte, l’information, l’eau et l’énergie.                                                                                                                                                                                                                                                        

La nature, une clé pour réduire nos impacts ?

Depuis le 21ème siècle, nous sommes confrontés à de nombreux défis, avec le changement climatique, la raréfaction des ressources mais aussi l’effondrement de la biodiversité. Le bâtiment est un des secteurs les plus polluants, avec une consommation d’énergie totale égale à 44%. Le secteur du résidentiel et tertiaire est également très polluant, c’est le 30ème secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre avec 22% d’émission après les transports et l’industrie. [6] Alors pourquoi ne pas repenser nos bâtiments et imaginer la construction d’une ville en s’appuyant sur le biomimétisme afin de réduire la consommation de matériaux, de l’énergie et cela dès la construction? Des projets commencent à voir le jour et en voici deux exemples.

Le corail ingénieur des matériaux

La fabrication du ciment est très polluante, elle produit environ 6% du dioxyde de carbone [7] à l’échelle mondiale, ainsi des scientifiques ont cherché à modifier la fabrication des ciments pour réduire ces impacts. Une des études réalisée a porté sur le corail, qui est un animal invertébré vivant dans l’océan. Ces exosquelettes sont constitués de carbonate de calcium fabriqué à partir du CO2 et de minéraux présents dans l’eau. Les coraux vont ainsi capturer du carbone et ainsi être présentés comme des puits de carbone. Avec cette observation, une entreprise a pensé à utiliser le CO2 (produit par d’autres entreprises), le dissoudre avec de l’eau de mer pour former du carbonate de calcium. Cela pourrait ensuite être utilisé pour produire du ciment. Avec cette méthode, une tonne de ciment séquestre une demi-tonne de CO2 alors que le ciment traditionnel en émet une tonne. [8]

Le cône de pin régulateur de la température

Ensuite ces matériaux sont utilisés pour construire des bâtiments qui peuvent être inspirés de la nature afin de réduire la consommation et la perte d’énergie. Une ventilation naturelle a par exemple été imaginée et réalisée pour certains bâtiments ; ce sont des pommes de pin qui ont été la source d’inspiration. Lorsque l’humidité est forte dans l’environnement les écailles des pommes de pin vont se fermer et s’ouvrir lorsque le temps est sec. Ce mécanisme est utilisé pour protéger les graines des conditions météo. Des chercheurs ont ainsi étudié la composition des écailles pour fabriquer des matériaux permettant par leur propriété de se dilater ou se resserrer selon l’humidité. Ils sont en plus recyclables ou compostables à leur fin de vie. [9] Cette observation va être utilisée dans le projet Ecotone qui a été lauréat du concours d’architecture « Inventons la métropole du Grand Paris ». La ville d’Arcueil va accueillir ce bâtiment en 2024, inspiré de la nature pour de nombreux aspects. [10]

Mais peut-on tout faire selon cette approche ?

Alors que l’utilisation du biomimétisme est en forte augmentation, toutes les innovations inspirées du vivant ne sont pas forcément vertueuses, certaines idées pouvant même avoir des impacts négatifs. Par exemple la fabrication du ciment en s’inspirant du corail, crée parfois des débats sur son impact positif sur l’environnement. En effet, sa production crée un sous-produit (un acide) qui va nuire à l’environnement si aucune solution n’est trouvée pour l’éliminer [11]. Il est donc important de regarder tout le cycle de vie de l’objet ou de la matière créée, pour pondérer les bénéfices avec les désavantages potentiels. Cependant, il est encore difficile d’évaluer les effets sur l’environnement car aucun outil ne permet encore de le faire. Des questions d’éthique vont aussi limiter l’usage du biomimétisme, par exemple, la production de produits toxiques créée à partir d’inspiration de la nature afin de produire des armes. [12]

Enfin, nous ne devons pas oublier que le biomimétisme ne doit pas être utilisé pour une exploitation plus intensive des ressources mais pouvoir concilier la préservation et le développement.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       

Références

[1] Boutard, 2020. « Tous les modèles sont dans la nature ». Journal CNRS. https://lejournal.cnrs.fr/articles/tous-les-modeles-sont-dans-la-nature

[2] Fondation pour la recherche sur la biodiversité, 2020.  « Biomimétisme et biodiversité ». FRB. https://www.fondationbiodiversite.fr/wp-content/uploads/2020/02/FRB-Synthese-Biomimetisme-et-biodiversite.pdf

[3] Roger, Guéguen, Raskin, Lequette,. 2019. « Biomimétisme : Quels leviers de développement et quelles perspectives pour la France ». Rapport, CEEBIOS et MYCECO. https://ceebios.com/wp-content/uploads/2020/07/RapportFranceStrategie-Ceebios-Myceco-juillet2020.pdf

[4] Le Nevé, 2019. « Le biomimétisme se déploie dans l’enseignement supérieur ». Le monde. https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/11/12/des-etudiants-a-l-ecole-de-la-nature_6018820_4401467.html

[5] ENCIS. « MSC Nature-inspired design ». ENCIS. https://formation-continue.ens...

[6] CEEBIOS, 2020. « Projet urbain bio-inspiré ». Rapport de synthèse CEEBIOS. https://ceebios.com/wp-content/uploads/2020/11/RapportSynthese-UrbBI-201125-web.pdf

[7] Pin, 2019. “Bilan carbone du ciment : comment la filière veut changer la donne ». Actu environnement. https://www.actu-environnement.com/ae/news/Bilan-carbone-ciment-filiere-changer-33280.php4

[8] Tonn, 2015. « Think like a tree: A new kind of eco-friendly concrete inspired by coral». Wired. https://www.wired.com/2015/09/...

[9] Camborde, 2018. « Biomimétisme. Il y a du génie dans la nature ! » Editions Quæ.

[10] Maire d’Arcueil, 2019. « Feu vert pour Ecotone ». Le site de la ville d’Arcueil. https://www.arcueil.fr/feu-vert-pour-ecotone/

[11] Ktitareff, 2010. « Fabriquer du ciment avec le CO2 : révolution ou imposture ? ». Les Echos. https://www.lesechos.fr/2010/04/fabriquer-du-ciment-avec-le-co2-revolution-ou-imposture-422871

[12] Raskin, 2021. « Le Biomimétisme est un levier pour lutter contre le réchauffement climatique ». "En route... ! Le podcast du Climat". https://getpodcast.com/fr/podcast/en-route6/le-biomimetisme-est-un-levier-pour-lutter-contre-le-rechauffement-clim_370a12e4e9