Cinquantenaire de la fondation du Domaine universitaire de Saint Martin d’Hères

Publié par Alain Némoz, le 8 mars 2012   4.9k

Ce billet est inspiré d’un discours d’Alain Némoz, professeur émérite et ancien président de l’Université Joseph Fourier, prononcé le 2 décembre 2011. La version complète est disponible en pièce jointe.

Dans les années 1950, l'université française a vécu une forte croissance, tant par le nombre des étudiants (de 150 000 en 1950 à 750 000 en 1975) que par le développement de la recherche (CNRS et CEA notamment) (1). A cette période apparaît la nécessité de faire à la fois plus vite et mieux, avec la nécessité d'une vision plus ample.

A Grenoble, trois « Louis d’or » ont façonné le paysage universitaire d’aujourd’hui : deux professeurs, Louis Néel, Louis Weil, et un industriel, Paul-Louis Merlin. A l’époque, la dispersion des lieux d'enseignement et de recherche constitue un handicap.

Localisation approximative des écoles et facultés de Grenoble dans les années 1950. Cliquez sur les pointeurs pour en savoir plus.

Les conditions dans lesquelles les personnels travaillaient à l'Institut Fourier étaient critiques : caves remplies, produits dangereux, risque d’inondations... Impossible d'effectuer les extensions nécessaires et d'accueillir de nouveaux matériels plus performants, comme par exemple les premiers ordinateurs.

Un premier projet de campus envisage alors la construction de bâtiments sur les pentes de la colline du Rabot. Le Laboratoire de géologie et l'Institut de géographie alpine y seront d’ailleurs implantés en 1961. Mais ce projet était loin d'entrainer l'adhésion de tous, et notamment des physiciens de la faculté des sciences dont Louis Weil devient le porte-parole. Pour eux, ce lieu ne se prête pas à une reconstruction de l'université, à cause des terrains exigus et de la pente.

C’est ainsi que le choix se porta, en définitive, sur les terrains maraîchers situés sur les communes de Saint-Martin-d’Hères et de Gières. À vol d’oiseau, les facultés de médecine et de pharmacie qui se sont rapprochées de l’hôpital de Grenoble, étaient également à proximité. La décision aboutit aux deux premières acquisitions, en 1961 puis en 1962, de 182 hectares de terrain. Simultanément, Louis Weil devient Doyen de la faculté des sciences et vice-président du conseil de l’université. Il a alors donc toutes les cartes en main.

Le Domaine universitaire aujourd'hui

La première pierre du premier bâtiment, destiné à abriter l'Institut de mathématiques appliquées, qui deviendra plus tard le Laboratoire d’informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble (IMAG), est posée par le ministre de l’Éducation nationale, Lucien Paye, le 2 décembre 1961. Le  programme pédagogique, quant à lui, est approuvé dès le 31 janvier 1962, l'appel d'offre lancé le 17 juillet 1962 et le premier coup de pioche donné le 1er octobre 1962… pour une occupation des bâtiments l’année universitaire suivante. Moins de 10 ans plus tard, le domaine concentre l'essentiel du potentiel universitaire grenoblois.

Cette œuvre s’est accompagnée de pratiques nouvelles, notamment en matière architecturale. Le fait que ce domaine universitaire ait été créé de toutes pièces sur un terrain vierge a permis de développer un parti architectural, celui d'un campus composé en quartiers. La faculté des lettres et de droit sont ainsi regroupées dans un seul bâtiment alors que la faculté des sciences et les écoles d’ingénieurs sont organisées par groupes de bâtiments dévolus à une discipline.

Pour garantir une certaine unité, un seul architecte fut choisi par quartier. Et pour les bâtiments scientifiques, Louis Weil fit en sorte qu’un représentant des utilisateurs de chaque groupe de bâtiments tienne le rôle de conseiller technique de l’architecte. Quelques dizaines d’années plus tard ces dispositions, innovantes à l’époque, devinrent officielles.

La Place Centrale du domaine universitaire devait constituer un lieu de rencontre. Le projet fut confié à Olivier-Clément Cacoub, lauréat du premier grand prix de Rome en 1953. Il lui fut demandé de concevoir tout à la fois la bibliothèque des sciences, le bâtiment administratif de la faculté des sciences et un grand amphithéâtre. Cet ensemble s'intègre avec bonheur dans son cadre exceptionnel, où se situent les trois massifs alpins qui entourent Grenoble. Les toits de la bibliothèque qui se relèvent vers le ciel comme le fait aussi l'amphithéâtre qui part à l'assaut des montagnes, les massifs de pierre érigés sur la place, et les pentes gazonnées qui les entourent, tout évoque les sommets et les alpages. La sobriété minérale de la place elle-même, œuvre d’un paysagiste japonais J. Hatashita, reflète la sévérité des hauts sommets.

Aujourd'hui, le site universitaire de Grenoble constitue également un musée sans murs, avec une quarantaine d'œuvres d'art : sculptures, fresques, tapisseries, éclairages, bâtiments signés par des artistes et architectes  reconnus… Beaucoup d’œuvres ont bénéficié du programme « 1% culturel », crée en 1951, soit il y a 60 ans !

Une des oeuvres d'art du campus

Estimant qu’il pouvait servir d’espace vert aux grenoblois, le doyen Louis Weil refusa de l’enclore. Cet espace vert, enrichi d’un arborétum comportant des espèces provenant du monde entier, constitue tout à la fois un espace d’étude pour la formation et la recherche, et un espace ouvert au public.  Le Domaine Universitaire, éloigné de la ville à sa création, sera, et il l’est déjà, un cœur de cité, comme les campus à l’américaine, plus de 100, voire 150 ans après leur création.

Notes :

  1. Au cours des années 1950, Grenoble se caractérise par un taux de croissance de ses effectifs étudiants deux fois plus rapide qu'en moyenne nationale.

Illustrations : DR (photo de une), vinlos86, veer66 (Flickr, licence CC)