Comment créer un jeu vidéo : zoom sur le jeu Breaking Bot à la Scientific Game Jam 2020

Publié par Marlene Ason, le 10 mars 2020   2.1k

Pour revivre la Scientific Game Jam 2020 comme si vous y étiez, lisez le très bon article en deux parties écrit par Bastien Castellan : Partie 1 et Partie 2

Si je voulais créer un jeu vidéo, comment m’y prendrais-je ? Quelles sont les étapes de la création, et qui les réalise ? C’est quoi, le game design ?

Il est facile de se sentir intimidé par l’ampleur de la création d’un jeu vidéo de A à Z. L’an dernier, l’équipe de Rockstar Studios était constituée de plus de 1600 personnes pour réaliser le colossal Red Dead Redemption 2. Pourtant, on trouve tout autant de petites équipes, voire des créateurs de jeu solo comme Lucas Pope, qui a créé à lui seul des jeux comme “Papers, Please” et “Return of the Obra Dinn”. 

Dans cet article, nous allons suivre la création du jeu Breaking Bot par la petite équipe Démonazite. En 48h, lors de la Scientific Game Jam 2020, ils sont passés par toutes les étapes de développement pour arriver à un jeu abouti.

Breaking Bot, c'est quoi ?

>>> Pour jouer à Breaking Bot, rendez-vous ici <<<

Dans Breaking Bot, le joueur incarne le robot Stein, le premier robot géologue de terrain qui doit dater les gisements métalliques. Il cherche et analyse un minéral datable dans les roches appelées Monazite. Le jeu est divisé en quatre phases :

  • L’exploration de la planète à la recherche des gisements

  • L’extraction d’un minéral datable du gisement

  • La découpe d’un échantillon du minéral

  • L’analyse de l’échantillon

Le Robot Stein possède une batterie limitée, et le joueur doit analyser le plus de gisements possibles dans le temps imparti pour obtenir une datation précise.

Breaking Bot est basé sur la thèse en géologie de Maxime Bertauts : “Chronologie et dynamique des circulations fluides associées aux minéralisations polymétalliques des Alpes du Nord”. Plus simplement, il effectue une datation systématique d’échantillons de roche afin de comprendre les transferts de matière avant et et pendant la formation des Alpes.

Avec Breaking Bot, l’équipe cherche à vulgariser le processus d’extraction et de datation des minéraux, qui est au coeur de l’activité de géologue de Maxime.

Breaking Bot, c'est qui ?


Un jeu vidéo, c’est d’abord et avant tout une équipe de développement. Chaque membre de l’équipe s’occupe d’un champ précis du jeu. Ils travaillent souvent en parallèle sur différents aspects, ce qui requiert une bonne communication entre les différents membres de l’équipe. Il existe des dizaines de rôles différents dans les grands studios de jeu vidéo. Néanmoins, certains pôles sont présents pour tous les jeux, et la Scientific Game Jam 2020 n’y coupe pas. Voici la composition de l’équipe Démonazite :

La création de Breaking Bot

Phase 1 : Inspiration et conception

Cette phase est cruciale pour la détermination des éléments du jeu. Pas d’ordinateur, pas d’écran, tout le monde est rassemblé autour du paperboard du doctorant. Les game artists et game designers sortent les calepins pour commencer à griffonner ce que ça leur inspire. Autour de la table, les références commencent à fuser pour trouver un point d’inspiration commun avant même d’avoir un jeu défini. 

En terme graphique et sonore, un jeu s’impose comme référence dans tout le groupe : No Man’s Sky, par le studio Hello Games avec ses couleurs vives et ses musiques harmonieuses. Astroneer, de System Era Softworks est également cité. Ce sont deux jeux dans lequels le personnage en combinaison spatiale se déplace sur une planète et mine des ressources afin de construire son équipement, entre autres choses. Calixe, le sound designer, s’empare de ces références et écoute en boucle pendant les heures qui suivent la bande son de No Man’s Sky pour s’en approprier les codes.

Une première idée de jeu émerge : un endless runner où le personnage court sans fin sur une planète et ramasse des minéraux qu’il analyse au cours d’un mini-jeu. Ce premier concept est ensuite décliné et modifié pendant les minutes qui suivent, dans une discussion à trois interlocuteurs : le game designer émet des idées, les développeurs commentent sur la faisabilité technique, et le doctorant donne des conseils pour l’intégration des procédés géologiques.

Le personnage principal est passé par plusieurs formes avant de devenir un petit robot en lévitation. Une fois le robot décidé, Bastien en imagine l’apparence et le comportement, pendant que le reste de l’équipe continue à réfléchir au jeu.

Finalement, le jeu se cristallise autour d’un concept final, qui est schématisé rapidement sur des feuilles de papier. Les notes techniques comme “environnement qui défile quand on avance” et “robot toujours au centre” permettent aux développeurs de commencer à construire les bases du jeu.

Ici, les notes de design se résument à ces feuilles A3 punaisées sur le mur où toute l’équipe peut s’y référer. Dans l’industrie vidéoludique, les game designers rassemblent tout ce qui est décidé en phase de conception dans ce qui s’appelle le Game Design Document, ou GDD, qui est transmis aux équipes qui vont produire le jeu. Il contient toutes les directives au niveau artistique, visuel, sonore, programmation, design, narration, interface et gameplay. Avec ce cahier des charges en place, l’équipe peut se tourner vers la phase suivante : la prototypage.

Phase 2 : Création du prototype

Le prototypage désigne les explorations et tests de l’équipe une fois les concepts de base posés. Il s’agit à la fois des premiers concept arts graphiques et sonores que du prototype de code. Un concept art, c’est quoi ? C’est une mise en situation graphique de l’univers du jeu. Il peut s’agir d’un concept art d’ambiance (en premier), ou d’un concept art plus technique qui imite un moment de gameplay (en deuxième)

Avec cette vision en tête, les développeurs peuvent créer un monde cohérent. Pour habiller le prototype, les game artists fournissent aux développeurs des visuels très brouillons sur lesquels ils vont ensuite élaborer. 

En quelques heures, un premier prototype émerge. Le monde est nu, le robot n’est pas encore animé et l’interface utilisateur n’existe pas encore.

L’aller-retour entre les artistes et les développeurs continue pendant toute la phase de prototypage. Les game artists créent des “écrans”, de fausses captures d’écran des différentes phases de jeu comme s’il était déjà terminé. Ces écrans détaillés sont fournis aux développeurs pour les orienter dans leur code et les aider à visualiser le processus. Ci-dessous, on peut voir le développeur créer le prototype du mini-jeu selon l’écran fourni par l’artiste.


Les deux phases initiales, conception et prototypage, représentent dans l’industrie ce qu’on appelle la période de pré-production. En général, il en sort un prototype ou une démo que le studio va montrer à ses investisseurs et à ses éditeurs pour validation.

Le prototype de jeu ainsi créé n’est pas jouable par le public, et ne contient pas tous les éléments du Game Design Document. Néanmoins, il fonctionne, et c’est la preuve que le concept du jeu est viable et validé. il représente les fondations sur lesquelles l’équipe va pouvoir itérer, complexifier les mécaniques et ajouter des éléments dans la phase suivante : la phase de production.

Phase 3 : Production et implémentation

La production est la phase la plus longue de la création d’un jeu. Les éléments sont tous créés séparément par les membres de l’équipe, puis implémentés dans le jeu par les développeurs. Ce processus est très souvent constitué d’allers-retours et de corrections afin d’obtenir le meilleur rendu possible. 

Au petit robot Stein, on ajoute à la fois un répertoire d’animations correspondant à toutes ses interactions en jeu, et un nouvel habillage.

De son côté, Calixe se sert de toutes ses inspirations musicales et de ses premiers tests pour créer les bandes sonores du jeu. Il crée également les bruitages de Stein ainsi que les différents sons du jeu. On a pu constater la différence au cours du week-end avant et après l’intégration du son dans le jeu : le son fait toute la différence en terme d’immersion.

C’est aussi le moment où les visuels officiels du jeu sont déterminés. Bastien s’occupe de créer le logo du jeu, qui sera repris dans les différents visuels de présentation au cours du week-end.

La production arrive à sa fin, le gros du jeu est terminé. Il reste une étape essentielle : le test du jeu par des utilisateurs pour aider le débogage, et la création de l’interface utilisateur. Bref, il est temps de se mettre dans la tête des futurs joueurs et de s’assurer que le jeu est compréhensible.

Phase 4 : Interface utilisateur et tests utilisateurs

En quoi consiste l’interface utilisateur (UI) ? Ce sont tous les éléments visuels et sonores qui fournissent les informations techniques au joueur. Qu’il s’agisse des menus, des curseurs, de la barre de vie, ou encore d’une phrase résumant la quête en cours, ils transmettent au joueur ce dont il a besoin pour une expérience de jeu optimale. 

Pour Démonazite, il est temps de donner ces informations aux joueurs. Ca se traduit par deux écrans au début du jeu : un écran qui donne au joueur le contexte narratif, et un écran qui donne les contrôles.

Le jeu est testé par différentes personnes sans aucune pitié. Le premier testeur est Maxime, le doctorant, qui vérifie à chaque phase de jeu la cohérence avec ses connaissances scientifiques. Avec ses retours, l’interface utilisateur est finalisée. La première version du jeu est terminée et peut être soumise à des tests plus larges auprès du public. L’équipe Démonazite lance une version plein écran du jeu. Toute l’équipe peut enfin joeur au jeu, et certains découvrent même pour la première fois le jeu dont ils n’ont vu que des fragments jusqu’à présent !

Le public essaie également le jeu avant la présentation officielle : c’est même la course au high score entre Philippe, le game designer, et un jeune gamer décidé à battre son score.  Les derniers ajustements intégrés au jeu, le deuil de ceux qui n’ont pas eu le temps d’être implémentés terminé, Démonazite déclare quelques minutes avant la fin de la Scientific Game Jam leur jeu Breaking Bot terminé.

Phase 5 : La diffusion

Créer un jeu vidéo, c’est également le diffuser et le mettre à disposition des joueurs. Pour les équipes de la Scientific Game Jam, on ne parle pas de conférence E3 et mise en ligne sur Steam, mais plutôt présentation devant le public et le jury, et création de la page itch.io. 

Dans les dossiers, on trouve des icônes qui n’ont pas été utilisées, des fonctionnalités qui n’ont pas eu le temps d’être intégrées au jeu, et des ambitions d’expansion de l’univers du jeu. En général, les créateurs d’un jeu vidéo peuvent intégrer ce contenu supplémentaire et corriger les bugs dans des patchs qui sortent après la sortie du jeu. Pour Démonazite, il faut jouer le jeu de la Game Jam et accepter de garder le produit tel quel. C’est toute la beauté terrible d’une Game Jam.

Pour aller plus loin, rien de mieux que l'équipe Démonazite elle-même pour nous raconter en vidéo son expérience de la Scientific Game Jam :


Le mot de la fin

Créer un jeu vidéo est un processus qui peut prendre plusieurs années et nécessiter des centaines de personnes. Pourtant, l’équipe Démonazite a réussi en 48h à créer la première version d’un jeu avec une petite dizaine de personnes. Pour découvrir plus en détail leur aventure, ce reportage leur donne la parole pour parler de leur week-end à la Scientific Game Jam.

La Scientific Game Jam 2020 c’est aussi huit autres équipes qui ont créé un jeu vidéo en un week-end. Venez découvrir les lauréats de l’édition 2020 et jouer à tous les jeux !