Comment penser le futur des espaces de travail et de services ? La question du partage des usages.

Publié par Clara-Marie Casquero, le 5 juillet 2023   690

La Chaire Territoires en Transition de Grenoble Ecole de Management co-coordonnée par Thibault Daudigeos et Fiona Ottaviani développe un axe de recherche sur les espaces de travail et de vie. Son analyse des enjeux et des démarches de partage d’infrastructures collectives s’est nourrie d’un atelier réunissant divers partenaires de la Chaire sur les défis des usages partagés de biens collectifs. Deux expérimentations ont été présentées et discutées lors de ce temps avec le Département de l’Isère et  la Mutualité Française Isère. Retour sur l'atelier à travers cet article d'Albane Grandazzi, Professeur à GEM et membre de la Chaire TeT.

Nous faisons régulièrement usage de plateformes dites « collaboratives » dans nos activités quotidiennes, que ce soit pour utiliser un bien, ou mettre à disposition le sien. Partager l’usage de sa voiture sur Getaround, de son appartement sur Airbnb, et de sa perceuse sur AlloVoisins : ces pratiques sont déjà ancrées depuis déjà plusieurs années. Pour autant, il s’agit de partage de biens dont la propriété est personnelle, pour des usages similaires. Qu’en est-il du côté des biens collectifs, publics ou privés, voire des « communs » ?

Partager les usages d’« infrastructures collectives » : quels enjeux ?

Les biens collectifs correspondent souvent à des « infrastructures », bien que d’autres types de biens collectifs existent (air, eau, etc). Ces infrastructures sont définies dans la littérature scientifique comme des équipements structurants d’une société (on pense intuitivement aux infrastructures de transports par exemple). Au-delà de ces dispositifs matériels imposants, les infrastructures renvoient plus largement à des équipements collectifs. Le réseau routier, les éoliennes, les centrales nucléaires, les panneaux solaires, mais aussi les parcs, les piscines, les gares, les écoles … sont des infrastructures. Ces biens sont désormais au cœur du débat sur la transition socio écologique : si la question de la fermeture de certaines infrastructures a fait récemment l’actualité, celle de leur partage demeure moins explorée.

Le partage des infrastructures collectives est déjà investigué concrètement par des organisations publiques et privées. L’expérimentation « salle sur demande », initiée par le Département de l’Isère et accompagnée par La Turbine vise à partager certains espaces des collèges hors du temps scolaire pour des usages associatifs et de formation. La version ultérieure de l’expérimentation prévoit de l’étendre à d’autres espaces que les collèges (ex : équipement sportif), pour des usages privés. Ce que nous appelons communément bureaux, les espaces de travail d’une organisation, peuvent être considérés comme des infrastructures, au sens d’équipements collectifs même s’ils ne sont pas des infrastructures publiques indispensables à la société pour se déplacer, se chauffer ou communiquer. Les acteurs de la conception et de l’aménagement des espaces de bureaux, dont Korus, cherchent également à développer le partage de ses usages dans une recherche de valorisation économique de ses mètres carrés souvent inutilisés (travail à distance, horaires de travail, jours non travaillés, etc.). Les infrastructures de service ne sont pas en reste. Nous pouvons citer ici le cas de la Mutualité Française Isère concernant les foyers jeunes travailleurs (solutions d’hébergement pour des jeunes de 16 à 29 ans), dont l’expérimentation vise à mixer les publics entre jeunes travailleurs et personnes âgées.

Quelle démarche initier ?

Pour autant, ces divers exemples d’infrastructures collectives ne présentent pas les mêmes finalités quant aux partages de leurs usages. En effet, la mise à disposition d’espaces de collèges à des associations de la part d’une collectivité territoriale peut sembler assez éloignée de la mise à disposition d’un espace collectif d’une résidence de jeunes travailleurs pour des personnes âgées de la part d’un acteur mutualiste. Dans un cas, il s’agit de mise à disposition d’équipements publics (cf. le cas des collèges) moyennant une rétribution financière. Dans un autre, il s’agit d’une finalité sociale afin de mixer les publics accompagnés (cf. les habitats jeunes travailleurs). Pour un espace de bureau, on pourrait imaginer encore d’autres finalités, comme celle par exemple de développer le taux d’occupation et de favoriser les interactions entre individus issus de diverses organisations.

Nous résumons ici quelques éléments-clés qui nous paraissent indispensables dès lors que l'on souhaite penser le partage d’infrastructures collectives, qu’elles soient publiques ou privées. A partir de ce qui existe pour le partage de biens privés dans l’économie dite collaborative, nous proposons ici quatre pistes de réflexion pour débuter, ou poursuivre, une démarche de partage d’infrastructures :

  • Les usages : le partage d’infrastructures vise-t-il à développer les mêmes usages en étendant la masse d’usagers, et/ou à développer de nouveaux usages dans ces infrastructures ? Autrement dit, va-t-on utiliser l’espace pour les mêmes activités que ce pour quoi il est conçu initialement ? Ces usages seront-ils concomitants ou indépendants ?
  • Les modalités de la mise en relation : dans le partage d’infrastructures collectives, savoir comment mettre en relation les usagers et garantir un cadre de confiance n’est pas aisé. Si l’économie dite collaborative a largement investigué le champ pour le partage de biens individuels, en particulier en développant une offre assurantielle, qu’en est-il pour les infrastructures collectives ? Comment procéder à ce partage : si l’outil de plateforme numérique est largement utilisé, qui le développe et l’opère ?
  • Les incitations : quelles sont les incitations possibles de ce partage d’infrastructures collectives ? Si la rétribution financière existe dans le cas d’infrastructures publiques, va-t-elle devenir une ressource indispensable à son fonctionnement ? Au-delà de l’incitation financière, quelles sont les autres incitations à la mise en relation : effets de réseaux, développement de l’offre, attractivité, cohésion sociale ?
  • La gouvernance : comment engager les gestionnaires dans le partage de ces infrastructures ? Qui est responsable en cas de dommages et autres risques ? Quelle organisation peut structurer ce partage d’infrastructures ?

Navigue-t-on dans une économie de la fonctionnalité qui s’étendrait à toutes sortes de biens et services, y compris le bureau ? Initier le partage d’infrastructures collectives est une démarche qui concerne des acteurs divers (collectivités territoriales, organisations privées, mutualistes), avec des finalités parfois éloignées de ce que l'on connaît dans l’économie dite collaborative. Mais ce n’est pas un leurre ou un vœu pieux : des expérimentations existent, et permettent de penser un renouvellement des infrastructures plutôt que leur destruction. Ces quatre pistes de réflexion interrogent concrètement les finalités et les outils de ces partages d’infrastructures pour les acteurs concernés, ou ceux souhaitant s’engager dans cette démarche. Ces expérimentations (Département de l’Isère, Mutualité Française Isère) interrogent ce qui relève d’une visée de bien commun : une accessibilité des infrastructures publiques dans un cas, une finalité sociale dans un autre. Tout comme le bureau de demain qui sera un espace partagé entre plusieurs usages (travail, loisirs, équipement) ?

Cet article a également été publié sur le blog de Korus dont la version est accessible ici.