Un nouveau cycle de recherche pour la Chaire Energy for Society de Grenoble Ecole de Management - Projet 1

Publié par Clara-Marie Casquero, le 30 mai 2023   790

La réussite de la transition écologique repose sur un changement profond de notre société, avec entre autres le déploiement massif des nouvelles énergies, décentralisées et ancrées dans nos territoires.

La société civile doit porter une parole forte, d’autant plus dans un contexte où l’adhésion sociale à la transition énergétique et plus largement à la réforme, est questionnée par de fortes mobilisations. Pour avancer de manière coordonnée dans une même direction collectivement soutenable, il faut que des contraintes et des bénéfices communs s’appliquent, que tout le monde puisse participer et jouer le même jeu. C’est pourquoi les nouvelles infrastructures énergétiques doivent intégrer la « désirabilité, faisabilité et les conditions de réalisation » (Patrick Jolivet directeur des études socio-économiques à l’ADEME, 2022)  dans leurs modèles d’affaires et leurs stratégies.

Les membres de la Chaire Energy for Society, en collaboration avec la Chaire Territoires en Transition, proposent un nouveau cycle de projets permettant de mieux comprendre les enjeux de cette adhésion. Nos méthodes testent l’efficacité de nouvelles mesures, solutions business permettant de concilier attractivité business et adhésion des citoyens.

Projet 1 : Évolution de l’image et de l’adhésion aux projets d’infrastructures énergétiques: le cas du nucléaire et de l’éolien en France

La question du mix énergétique, et donc des énergies décarbonées nécessaires pour lutter contre les risques climatiques, est sujette à de nombreuses controverses dans la société française (Chateauraynaud, 2011 ; Carlino, 2018). Des sphères d'influence se développent dans les médias mainstream (réseaux sociaux, journaux, etc.) essayant de convaincre de l’infériorité ou de la suprématie de certaines infrastructures énergétiques (Maillé et Saint-Charles, 2014; Poumadère et al., 2011).

Le discours médiatique est le reflet de différentes opinions autour des énergies et des infrastructures et peut aider à comprendre le débat autour d'elles (Gamson et Modigliani, 1989; Mercado-Saez et al., 2019), mais est aussi producteur d'opinions (Nisbet, Brossard et Kroepsch, 2003). La presse est elle-même une institution sociale, ayant un contact direct avec les décideurs politiques, sélectionnant et échantillonnant à partir d'une gamme d'informations et de sources possibles : dans des débats aussi importants que le nucléaire, la presse joue un rôle clé dans l'amplification sociale des risques (Espluga et al., 2009). Dans ce contexte, comment est transcrite dans la presse la transition énergétique, et plus particulièrement quels sont les discours associés à l’énergie nucléaire et éolienne en France ?

Le pays est historiquement attaché au nucléaire et la stratégie énergétique annoncée par le Président Macron indique qu’elle y reposera également sur le long terme. De nombreux scénarios prospectifs (RTE, ADEME, etc.) démontrent qu’avec ou sans énergie nucléaire, il est nécessaire d’augmenter nos capacités de production d’énergie renouvelable. À ce titre, la décentralisation de la production d’énergie renouvelable conduit à la multiplication des projets d’aménagement et donc à l’augmentation mécanique des points de friction avec la société civile dans les territoires d’implémentation. Pour rappel, la puissance moyenne d’un parc éolien terrestre en France est 10 MW, celle des installations de méthanisation de seulement 0,35 MW loin derrière les infrastructures énergétiques historiques comme le nucléaire (2000 MW en moyenne) ou les barrages hydrauliques (100 MW) et ces aspects de puissance sont particulièrement mis en avant par les détracteurs de l'éolien. Cette décentralisation pose d’autant plus problème que la sensibilité du public s’est accrue ces dernières années, à l’image de quelques contestations emblématiques comme celle lancée en 2020 par Stéphane Bern contre l’éolien. La social licence to operate est devenue aujourd’hui une question centrale dans l’élaboration de la stratégie des opérateurs d’infrastructures énergétiques.

Dans ce projet de recherche, nous étudions comment deux infrastructures énergétiques bas carbone construisent leur légitimité, à savoir l’énergie nucléaire omniprésente dans le débat politique depuis plusieurs décennies et l’éolien qui occupe une place de plus en plus importante dans les réflexions de la transition énergétique.

  • Comment se caractérise leur adhésion sociale en France et comment leurs images évoluent-elles au fil du temps ?
  • Est-ce que le nucléaire a récemment opéré un retour en force dans les débats publics, en témoignent les décisions politiques récentes de redévelopper des parcs nucléaires sur le territoire ?
  • Est-il possible d’identifier les évènements ou personnalités marquantes qui influencent les débats associés au nucléaire et à l’éolien ?
  • Quelle analyse croisée peut-on opérer : est-ce que la légitimité d’une infrastructure se renforce au détriment de l’autre ?

Méthodologie

Nous répondrons à ces questions grâce à l’analyse de plusieurs corpus de textes composés d'articles de presse nationale (Le Monde, Figaro, Libération pour représenter les journaux les plus vendus et les différents bords politiques français) et régionale (comme Le Parisien, Le Dauphiné Libéré, Ouest France, La Dépêche du Midi…) publiés entre 2005-2022, période que nous séparons en trois pour notre analyse : 2005-2010, 2011-2016 et 2017-2022.

Alors que la presse nationale indique la capacité d'influence du débat et de l'opinion publique (Mercado-Saez et al., 2019), la presse locale fournit des récits et les approches au niveau des territoires. Notre analyse portera sur trois niveaux :

  1. Une analyse longitudinale sur l'évolution de « l'image » et de l’adhésion sociale (entre 2005 et 2022) ;
  2. Une comparaison des niveaux d’adhésion liés à ces infrastructures entre les types de presses (régionale versus nationale) ;
  3. Une analyse croisée du traitement médiatique de ces deux infrastructures énergétiques (nucléaire versus éolien).

Nous optons pour deux méthodes successives et complémentaires d’analyse :

  1. Une analyse textuelle algorithmique via le topic modeling (via le logiciel IRAMUTEQ), permettant de faire émerger les grandes thématiques de ces articles sur une ou plusieurs périodes données et les mots qui y sont associés. Ceci permet d'avoir une première vue sur l'image que renvoient ces infrastructures dans la presse ;
  2. Une analyse qualitative sur ces classes et les citations d'articles qui y sont associées (via le logiciel Atlas Ti), afin de mieux comprendre leur contexte de production et donc, l'image de ces infrastructures.

La méthode générale est schématisée dans la figure suivante.

Nous pourrons ainsi mesurer l’évolution des principaux arguments dans le temps (économiques, géopolitiques, technologiques, écologiques), comparer le traitement médiatique national et régional. Nous pourrons aussi repérer certains évènements forts impactant l’image de ces infrastructures : comment se créée et se diffuse une « fake news » ou un « buzz ».

Equipe de recherche


Frédéric Bally est post doctorant au sein de la chaire Territoires en Transition et Energy for Society. Ses recherches portent sur la participation citoyenne dans les processus de maintien des infrastructures vertes urbaines et rurales, sur l’activisme de consommateurs au travers d’applications et sur l’encastrement territorial d’entrepreneurs sociaux et de plateformes.

Carine Sebi est professeure associée à GEM en économie spécialiste du secteur de l’énergie. Elle coordonne la chaire Energy for Society. Ses recherches portent actuellement sur la co-création de nouveaux services énergétiques, les politiques publiques en efficacité énergétique et les communautés énergétiques.

Thibault Daudigeos est professeur senior en Management et Doyen associé à la Recherche à GEM. Il s’intéresse au rôle croissant des entreprises dans nos sociétés. Il étudie comment ces nouvelles responsabilités transforment leurs stratégies, modes d’organisation et de gouvernance. Thibault est coordinateur de la Chaire Territoires en Transition et sera accompagné de son équipe pour réaliser cette étude.

Références :

  • Carlino, V. (2018). Temporalités de la controverse sur le nucléaire en Lorraine. Temps «long» des désaccords, temps «infini» des déchets radioactifs. Questions de communication, (34), 155-172.
  • Chateauraynaud, F. (2011). Sociologie argumentative et dynamique des controverses: l’exemple de l’argument climatique dans la relance de l’énergie nucléaire en Europe. A contrario, (2), 131-150.
  • Espluga, J., Farré, J., Gonzalo, J., Horlick-Jones, T., Prades, A., Oltra, C., & Navajas, J. (2009). Do the people exposed to a technological risk always want more information about it? Some observations on cases of rejection. Safety, Reliability and Risk Analysis, CRC Press, Taylor & Francis, Londres, 1301-1308.
  • Gamson, W. A., & Modigliani, A. (1989). Media discourse and public opinion on nuclear power: A constructionist approach. American journal of sociology, 95(1), 1-37.
  • Maillé, M. È., & Saint-Charles, J. (2014). Influence, réseaux sociosémantiques et réseaux sociaux dans un conflit environnemental. Communiquer. Revue de communication sociale et publique, (12), 79-99.
  • Mercado-Sáez, M. T., Marco-Crespo, E., & Álvarez-Villa, À. (2019). Exploring news frames, sources and editorial lines on newspaper coverage of nuclear energy in Spain. Environmental Communication, 13(4), 546-559.
  • Nisbet, M. C., Brossard, D., & Kroepsch, A. (2003). Framing science: The stem cell controversy in an age of press/politics. Harvard International Journal of Press/Politics, 8(2), 36-70.
  • Poumadère, M., Bertoldo, R., & Samadi, J. (2011). Public perceptions and governance of controversial technologies to tackle climate change: nuclear power, carbon capture and storage, wind, and geoengineering. Wiley Interdisciplinary Reviews: Climate Change, 2(5), 712-727.