Destin d'objets scientifiques et techniques : Petite histoire d'un générateur de chocs (6/10 – année 2018)

Publié par ACONIT (Association pour un Conservatoire de l'Informatique et de la Télématique), le 13 juin 2018   2.8k

Photo d'en-tête : Condensateurs sphériques reliés par les résistances de charge

Par Xavier Hiron, chargé de mission collections, ACONIT, en collaboration avec Gérard Chouteau*

L'objet que nous vous proposons de découvrir aujourd'hui va nous emmener jusqu'à Villeurbanne, dans la banlieue nord-est de Lyon. S'il est exceptionnel par sa taille, ce n'est pourtant pas un objet unique, ni même un objet rare. Mais s'il a accaparé notre attention, c'est parce qu'il illustre de manière aiguë la question de la conservation d'une certaine catégorie d'objets scientifiques et techniques contemporains.

Témoin de l'histoire d'un site

Nous sommes arrivés un matin de décembre sur le site d'essais de GE Power, qui appartient au géant américain de l'énergie, General Electric. Nous avions été contactés à propos d'une pièce destinée à être démantelée. Cependant, même son propriétaire avait du mal à se faire à cette idée.

Nous avons été reçus par Marc Vittoz, ingénieur et chef de projets d'essais diélectriques, et Amelie De Phuoc, son assistante technique. La pièce à propos de laquelle nous nous étions déplacés est un générateur de chocs datant de 1953. Cet appareil de 13,50 mètres de haut à l’origine (sa configuration actuelle a été réduite d’environ 2 mètres), de type générateur de Marx (voir en annexe), reproduit des tensions électriques continues jusqu’à 400 kilovolts, dans le but de tester des composants soumis à des surtensions internes ou externes. Ce qui veut dire en clair que ce type d'appareil sert à tester la qualité des isolants utilisés dans les équipements électriques de très grande capacité.

Le site sur lequel il est installé a un peu plus de 100 ans. Il a été créé par l’entreprise Delle (nom d’un village suisse situé proche de la frontière jurassienne) qui a décidé, pour s’ouvrir au marché français, d’implanter un site à Lyon en 1912. Du fait de la guerre, l’entreprise doit déménager à Villeurbanne. Son champ d’action est la construction d’équipements électriques de moyenne et haute tension, de disjoncteurs, d’aiguilleurs à huile, etc. L’entreprise devient florissante lors du boom technologique de l’après seconde guerre mondiale, avec un apogée dans les années 1950-60. Le site compte alors 4000 employés, tandis qu'actuellement son effectif est redescendu à 1500 employés. 

Dans ce contexte économique favorable, Delle et Alsthom, qui sont deux gros concurrents de l'époque, s’associent pour développer des alternateurs, et surtout pour disposer d’un centre d’essais commun (tout en restant concurrents !), avant la livraison de leurs matériels à la clientèle. Cette association conduira en 1970 au rachat de Delle par Alsthom. Le centre d’essais diélectriques perdure : il permet de préparer les qualifications réglementaires des isolants qui sont ensuite validés par le centre d’essais EDF de Clamart, en région parisienne.

En 2010, suite au Grand emprunt et à l’essor des énergies décarbonées, le site devient un Institut de recherche sur les énergies renouvelables, notamment sur la problématique de la stabilité des réseaux.

Le générateur de chocs dans sa configuration de décembre 2017 - photo ACONIT

De la technique au patrimoine

En créant de très hautes tensions (ou surtensions), il est possible d'analyser la capacité de mise en défaut et de réaliser un test grandeur nature de coupure des disjoncteurs (cas normal). Cette méthodologie datant de 1925-26 est la première à avoir été appliquée en France, voire dans le monde.

Du point de vue patrimonial, trois transformateurs ont été installés sur le site de Villeurbanne entre 1925 et 1937, ainsi qu’un petit laboratoire annexe pour lequel fut commandé le générateur de chocs fournissant 245 kW de puissance et alimenté par un chargeur de 2 millions de volts. Le générateur déploie ses propres condensateurs en ligne (ou en parallèle), pièces sphériques en métal reliées par des résistances de charge (tubes en verre). Des électrodes donnent des impulsions, ou ondes électriques, qui initient la libération quasi instantanée de l’énergie emmagasinée dans les différents condensateurs (amorçage en série). Les bras qui relient les parties actives sont remplis d’huile, comme isolant thermique.

L’appareil a été fabriqué à Aix-les-Bains par une petite entreprise spécialisée dans la fabrication d'équipements électriques sur-mesure, la Société savoisienne de constructions électriques. Ce qui a particulièrement intéressé Gérard Chouteau dans la démarche entreprise par GE Power, c'est qu'il a pu faire à cette occasion le rapprochement avec les générateurs de chocs utilisés en batterie dans le laboratoire du Professeur Lionel Félici, à Grenoble. Ce chercheur de l'entourage de Louis Néel a investigué le champ des possibilités d'exploitation technique offertes par les ondes électromagnétiques. Du contexte matériel de ces recherches initiales, il ne reste malheureusement quasiment rien, si ce n'est une masse d'archives scientifiques difficiles d'accès aux non spécialistes du domaine.

Assurer une pérennité ?

Nous avons donc effectué une campagne de photographies la plus complète possible et compilé un maximum d'informations concernant cette pièce, afin de renseigner des fiches d'identification de l'appareil et de ses annexes sur une base de données nationale. Car vous l'aurez bien compris, il ne fut évidemment pas possible de conserver le générateur de chocs à cause de sa taille impressionnante. Il a été démantelé dans le courant du mois de janvier 2018, avec le bâtiment qui l'abritait. Cependant, à défaut de la pièce elle-même, notre action a permis de mettre en valeur une partie des informations associées à l'objet, comme son devis initial et ses plans d'origine, et ainsi de conserver la mémoire de son activité. Ce qui constitue, somme toute, le rôle essentiel dévolu à la mission nationale de sauvegarde du patrimoine scientifique et technique contemporain (PATSTEC) dont l'ACONIT assure à ce jour la délégation au niveau du territoire de l'académie de Grenoble.

Remerciements : merci à l'entreprise GE Power d'avoir pris l'initiative d'entamer une démarche encore trop rare dans le domaine industriel.

*Gérard Chouteau est vice-président de l'association ACONIT et responsable de la délégation Rhône-Alpes-sud de la mission PATSTEC pour la sauvegarde du Patrimoine scientifique et technique contemporain, gérée par le Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM).


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