Feux de forêts : Feu, la biodiversité ?

Publié par Titouan Tcheng, le 3 décembre 2021   5.5k

2021. Article écrit par Titouan Tcheng, étudiant M2BEE

Depuis quelques années, l’augmentation en fréquence et en intensité des feux de forêts inquiètent. Ils sont souvent dépeints dans l’actualité et perçus comme un témoin visible du réchauffement climatique et une menace constante pour la biodiversité. Pourtant, dans une certaine mesure, ces phénomènes sont aussi nécessaires à la survie de certaines espèces et à la biodiversité.

Janvier 2019, l’Amazonie s’allume. C’est le début d’un immense feu de paille. Huit mois plus tard, on ne dénombrera pas moins de 73 000 feux dans la forêt Amazonienne soit une hausse de 84 % par rapport à l’année précédente [1]. Une augmentation principalement due à la déforestation brésilienne. « Notre maison brûle » annonce Greta Thunberg au Parlement européen à l'occasion d'une réunion de la commission Environnement. En effet, et elle n’a pas fini de brûler. En Juin 2019, l’Australie prend la relève. Des feux de brousses sans précédents vont ravager le sud-est du pays durant huit mois, mettant en danger toutes les espèces endémiques présentes sur cette île-continent dont certaines sont même susceptibles de disparaître.

Kangourou géant dans une forêt Australienne en 2019. WWF Belgique

En 2000, il a été estimé que la surface annuelle de forêt perdue par les incendies était d’environ 350 millions d’hectares [2]. Cela représente environ sept fois la superficie de la France métropolitaine. À ce sujet, les experts sont formels : dans le futur ce chiffre va augmenter, principalement du fait du réchauffement climatique. D’ailleurs, c’est déjà le cas. En France, la surface brûlée en 2021 était quatre fois supérieure à la moyenne calculée entre 2008 et 2020 [3]. Depuis une dizaine d’années, les incendies de grandes ampleurs sont fortement médiatisés, et sont assimilés, par le grand public, à un témoin visible du réchauffement climatique Les feux de forêts sont alors perçus comme un danger pour la biodiversité dont l’homme serait l’unique cause.

Pourtant, ces feux ne sont pas un phénomène nouveau et récent, déclenchés par le réchauffement climatique. Il s’agit d’un processus naturel. Alors, ces feux sont-ils systématiquement une menace pour la biodiversité ? En réalité, ces perturbations sont essentielles à la survie de certaines espèces et parfois, elles sont même susceptibles de favoriser la diversité d’un milieu.

Pour comprendre cela, il faut avant tout présenter un phénomène fondamental régissant les interactions entre espèces. Il s’agit du principe d’exclusion compétitive. Dans un écosystème donné, les espèces interagissent entre elles. Parfois, elles s’entraident et partagent les ressources nécessaires à leur survie. Certaines espèces sont même complémentaires, lorsque l’une des deux ne peut pas vivre sans l’autre. C’est le cas, par exemple, des anémones de mer et des poissons-clowns. Le poisson trouve un abri au sein de l’anémone et en échange, il la protège des prédateurs. À l’inverse, lorsque les ressources sont limitées dans un milieu, les espèces peuvent entrer en compétition les unes avec les autres pour le partage de celles-ci, et comme dans toute compétition il y a des vainqueurs et des perdants. Lorsque deux espèces ont besoin des mêmes ressources pour survivre, la compétition entraînera nécessairement la disparition de l’espèce la moins à même de s’accaparer les ressources, c’est ce que l’on appelle le principe d’exclusion compétitive ou principe de Gause, dont la découverte est attribuée au biologiste du même nom. [4]

Mais alors, quel rapport existe-t-il entre les feux de forêts et la compétition ? Qu’il s’agisse des plaines, des déserts ou des forêts, les milieux naturels sont en constante évolution. Pour les forêts, les plaines sont progressivement peuplées par les buissons, puis par les arbres, il s’agit d’une succession écologique. Certaines perturbations, comme les incendies, ramènent une succession écologique à son état initial ou à un état intermédiaire si la perturbation est modérée. Pour les espèces, ces perturbations modérées sont une aubaine car elles permettent à des espèces en compétition de coexister là où, normalement, elles ne pourraient survivre ensemble. Cette théorie est connue sous le nom d’hypothèse des perturbations intermédiaires.

Bien sûr, elle ne fonctionne que dans le cas où les perturbations sont « intermédiaires », c’est-à-dire ni trop rares, ni trop fréquentes. Ce dernier point en particulier pose quelques problèmes. En sciences, les termes « rare » et « fréquent » n’ont pas de sens s’ils sont employés seuls. Lorsque l’on qualifie quelque chose de « rare », on est en droit de répondre « rare, mais par rapport à quoi ? ». Cela vaut pour tous les adjectifs de description. Par exemple, un immeuble de 15 étages est grand par rapport à l’homme, mais petit par rapport au Mont Everest. Ici, le terme « intermédiaire » a contribué à soulever de nombreuses critiques à l’égard de cette théorie, bien qu’elle soit vérifiée dans de nombreux cas.

Cette théorie nous indique toutefois que lorsque les perturbations sont intensifiées et augmentent en fréquence dans le temps, alors la biodiversité est irrémédiablement menacée. Certes, les feux de forêts sont bel et bien nécessaires à la survie de certaines espèces dans un milieu, mais à l’origine, il s’agissait de perturbations naturelles contribuant à maintenir un équilibre. Le réchauffement climatique, ainsi que la pression humaine (tourisme de masse dans les secteurs vulnérables, accidents domestique dans les secteurs forestiers, accidents de la route , actes de vandalisme etc.) ont contribué à intensifier ces perturbations, poussant ainsi les feux de forêt au-delà du cadre naturel. Dès lors, d’après l’hypothèse des perturbations intermédiaires, il devient clair que l’augmentation en fréquence de ces phénomènes pose effectivement un risque majeur pour la biodiversité des espaces concernés.

Cependant, l’appropriation médiatique des feux de forêts en tant que « témoin du réchauffement climatique » pose une question fondamentale sur la relation humain-nature puisqu’elle traduit une méconnaissance globale des milieux naturels et de leurs fonctionnements. Bien que cela soit fait à des fins de sensibilisation, ce qui est essentiel dans le contexte actuel, cette vision médiatique pousse le public à penser que les feux de forêts ont pour seules origines les activités anthropiques, faisant ainsi entrave aux connaissances scientifiques sous-jacente. Si, dans le passé, l’humain avait tendance à se dédouaner des phénomènes dramatiques desquels il était responsable, c’est maintenant l’inverse qui se produit : l’humain s’attribue tout ou partie de la responsabilité dans les processus régissant les milieux naturels et, plus généralement, le système terre, en omettant souvent les processus bio-géo-physiques.

Ainsi, la sensibilisation est nécessaire pour trouver collectivement une solution au réchauffement climatique et au déclin de la biodiversité. Toutefois, celle-ci ne doit pas être menée au détriment (ou sans prendre en compte) des connaissances scientifiques disponibles. Enfin, qu’il s’agisse du GIEC , chargé de prévoir les effets du réchauffement climatique, ou de l’IPBES, chargé d’anticiper les conséquences de l’érosion de la biodiversité, les chercheurs sont formels et les prévisions indiquent toutes qu’en cas d’inaction de la part de l’espèce humaine, les conséquences sur la biodiversité et le système climatique seront gravissimes et irréversibles. [6] [7]

Récemment, différents outils ont été développés en France par le CNRS afin d’améliorer la lutte contre les incendies. Le programme GOLIAT, développé en 2020 en Corse, permet, à l’aide de drone et de simulations météorologique (vents, précipitations, etc.) d’anticiper la propagation d’un feu. Pour rappel, avec 15 millions d’hectares de forêts, la France est le troisième pays le plus boisé d’Europe. [8]

Références :

[1] La déforestation à l’origine des dramatiques incendies en Amazonie – France Inter – 23 Août 2019 - https://www.franceinter.fr/environnement/la-deforestation-a-l-origine-des-dramatiques-incendies-en-amazonie

[2] Feux des forêts et d’autre vegetation – Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture – 1er Octobre 2021 - https://www.fao.org/forestry/f...

[3] Incendies en Grèce, Finlande, Algérie… visualisez l’ampleur des feux en Europe et dans le bassin méditerranéen – Le Monde – 20 Août 2020 - https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/08/20/incendies-en-grece-finlande-algerie-visualisez-l-ampleur-des-feux-en-europe-et-dans-le-bassin-mediterraneen_6091904_4355770.html

[4] The competitive exclusion principle, Hardin, Science, Avril 1960

[5] Theory of marine communities : the intermediate disturbance hypothesis, Dial and Roughgarden, Ecological Society of America, 1998

[6] Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. E. S. Brondizio, J. Settele, S. Díaz, and H. T. Ngo (editors). IPBES, 2019

[7] Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, V. Masson-Delmotte, P. Zhai, A. Pirani and others, IPCC, 2021

[8] Des outils pour «prévoir» les feux de forêt ?, Anaïs Culot, CNRS, 2020, https://lejournal.cnrs.fr/arti...