Fonder nos solutions sur la nature et la forêt pour mieux gérer les risques naturels liés à l’eau
Publié par Freddy Rey, le 18 juin 2024 1.5k
Les Solutions fondées sur la nature, ou comment aider la nature à nous aider
Les solutions fondées sur la nature correspondent à des applications de projets co-bénéfices, avec un gain pour la biodiversité et un gain pour la société. Parmi ce dernier, on peut citer la lutte et l’adaptation aux changements climatiques, la réduction des risques naturels, l’amélioration de la santé, la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau ou le développement socio-économique. Ce sont des enjeux forts qui ont fortement alimenté les discussions aux derniers Congrès français et Congrès mondial de la nature de l’UICN, au cours duquel a été lancé l’appel de Marseille appelant à « aider la nature à nous aider ».
Il s’agit d’un concept chapeau qui en englobe d’autres, comme l’ingénierie écologique. Cette dernière représente un savoir-faire permettant de concevoir des actions par et/ou pour la nature. L’ingénieur écologue est ainsi un véritable « architecte de la nature » : il s’en inspire et l’utilise, en même temps qu’il la protège, la restaure et la gère. Lorsqu’un projet fait appel à l’ingénierie écologique et qu’il présente une approche co-bénéfices, par exemple s’il présente un gain pour la nature tout en préservant la ressource en eau, il peut se prévaloir de représenter une Solution fondée sur la nature. Entre l’ingénierie écologique et une solution fondée sur la nature, il n’y a donc qu’un pas, l’un étant au service de l’autre.
Aménagement de génie végétal relevant du savoir-faire en ingénierie écologique, ou comment fonder une solution de prévention des inondations sur la nature
La gestion des risques liés à l’eau
L’eau fait souvent l’actualité, que ce soit pour ses excès (inondations récurrentes) ou son manque (sécheresses de 2022 et 2023). Elle est au cœur des préoccupations des décideurs, des gestionnaires et des professionnels. Par exemple, au Carrefour des gestions locales de l’eau à Rennes en janvier 2024 (CGLE), il a été fortement question de l’identification de solutions préventives et basées sur des mécanismes naturels pour une gestion durable de l’eau. Ailleurs, comme au Salon Cycl’eau de Toulouse en mars 2024, on a surtout fait la part belle au petit cycle : eau potable, eaux usées et eaux pluviales étaient mises à l’honneur, même si il y était aussi (un peu) question du grand cycle en général, et de la GEMAPI en particulier. Ainsi, progressivement, on s’intéresse de plus en plus à la réunification des cycles de l’eau. Au dernier CGLE, un espace complet du salon a même été dédié aux Solutions fondées sur la nature !
Au Carrefour des gestions locales de l’eau à Rennes en janvier 2024, un espace complet du salon a été dédié aux Solutions fondées sur la nature
Dans tous les cas, les collectivités se doivent de considérer la gestion de l’eau de manière globale et intégrée. La gestion de l’eau des rivières est en effet indissociable de celle de notre eau « dans les tuyaux », puisque l’eau fonctionne sous forme de cycle ! Une gestion réellement intégrée de l’eau peut ainsi permettre de mieux relier les problématiques, leur appréhension et leur gestion, entre opportunités et contraintes. Inondations, sécheresse, milieux aquatiques, ressource en eau : il existe des moyens de penser globalement la gestion du dénominateur commun qu’est l’eau. Quoi de mieux pour cela que les Solutions fondées sur la nature, qui affichent leurs ambitions multi-bénéfices ? La préservation et la restauration de zones humides, l’aménagement de zones d’expansion de crues au niveau de forêts alluviales, ou encore la création de bassins d’infiltration végétalisés, sont autant d’exemples d’actions « triple effets » qui permettent chacune de contribuer à réduire les risques d’inondation ou de sécheresse et à sécuriser l’approvisionnement en eau, tout en apportant des bénéfices pour la nature.
Zone humide : un exemple d’action « multi-bénéfices » qui permet de contribuer à réduire les risques d’inondation ou de sécheresse, à sécuriser l’approvisionnement en eau, et à lutter contre le changement climatique par séquestration du carbone, tout en apportant des bénéfices pour la biodiversité
Une nécessaire appropriation et confiance à asseoir pour ces solutions
Une certaine confiance dans les Solutions fondées sur la nature est encore nécessaire. Si on prend l’exemple des digues, l’enjeu est de protéger des biens et des personnes contre des inondations. Instinctivement, on pense à des ouvrages très rigides qui tiendront face à la puissance des crues, par exemple une digue en béton. Une digue construite uniquement avec du végétal peut-elle offrir la même protection ? La réponse est non. Mais on peut tout à fait envisager une solution mixte, où il s’agit de bien positionner le curseur par rapport à l’objectif visé. Ainsi, plutôt que de créer une digue en béton, on peut en bâtir une avec des enrochements. Et entre les blocs de pierre, on peut placer de la terre et de la végétation. On va donc pouvoir disposer d’une digue solide sur laquelle faire reposer une trame verte.
Dans ce contexte, le projet « SFN Soci’eau », appliqué au niveau de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, a montré la progressive intégration des Solutions fondées sur la nature pour la gestion globale de l’eau dans les programmes stratégiques de l’agence. Les scientifiques ont fait le constat de deux modalités d’intégration différentes entre le grand et le petit cycle de l’eau. Dans le domaine du grand cycle, les Solutions fondées sur la nature s’inscrivent dans la continuité des actions menées par l’agence, même si ce vocable n’était pas forcément employé par le passé. Dans le domaine du petit cycle, et plus particulièrement dans celui de la gestion des eaux pluviales, elles viennent plutôt préciser le format d’approche « co-bénéfices » de certaines techniques de gestion intégrée des eaux de pluie, en mettant l’accent sur leur plus-value « nature ».
Au niveau international, le projet « SFN : de la théorie à la pratique » a quant à lui mis en lumière des différences dans l’appropriation du concept entre la France et les États-Unis. Dans notre pays, ce sont les conservateurs de la nature (l’UICN et son Comité français) qui portent le concept. Ils mettent l’accent sur la prise en compte obligatoire dans les projets du gain pour la nature, tout en insistant sur l’approche co-bénéfices pour répondre à un autre défi sociétal. Aux États-Unis, c’est surtout l’organisation The Nature Conservancy qui développe le concept équivalent de Nature-based solutions. La prise en compte de la biodiversité par les décideurs apparaît plus secondaire, la réponse aux défis sociétaux, tels que la prévention des risques naturels, restant au cœur des décisions.
Les Solutions fondées sur la forêt
Dans le champ du défi sociétal de la prévention des risques naturels, les Solutions fondées sur la Nature utilisant la forêt sont nos alliées pour réduire les risques naturels et préserver la biodiversité. Les risques concernés sont les risques liés à l’eau que sont les inondations et les sécheresses, mais aussi les risques gravitaires tels que les chutes de blocs, les avalanches, ou encore les glissements de terrain. On peut aller jusqu’à parler de « Solutions fondées sur la forêt », qui peuvent être définies comme des projets qui aident à concilier la maîtrise des risques naturels avec les avantages de la biodiversité.
Ces solutions peuvent être très efficaces lors des fortes pluies génératrices de nombreux risques naturels, les inondations bien sûr, mais aussi les crues torrentielles et l’érosion superficielle des sols. La couverture végétale en général, et les forêts en particulier, peuvent en effet être de bons moyens de diminuer voire contrôler ces phénomènes.
Plus de biodiversité forestière permet-elle d’accroître l’efficacité du rôle de protection de la forêt vis-à-vis des risques naturels ?
Des guides existants (voir illustration) permettent de déterminer où, quand et comment intervenir sur les forêts protégeant contre ces aléas. Ce type de guide propose des méthodologies et des règles d'intervention déclinées par aléa et par type de formation végétale, appliquées plus particulièrement aux peuplements des Alpes du Sud françaises. Celles-ci peuvent néanmoins être transposées aux peuplements forestiers des Alpes du Nord, des Pyrénées ou d’autres zones montagneuses, ainsi qu'aux milieux non forestiers.
Destiné aux gestionnaires et aux aménageurs chargés de la gestion des forêts de protection, un guide de gestion des « Forêts de protection contre les aléas naturels » en montagne existe aux Éditions Quae, dans la collection « Guide pratique » : https://www.quae.com/produit/915/9782759209743/forets-de-protection-contre-les-aleas-naturels.
Du côté de la recherche, le projet international Smarter Targeting of Erosion Control (STEC) est un bon exemple de développement de connaissances pour améliorer les principes d’ingénierie forestière et de conception de Solutions fondées sur la forêt. Il s’est attelé à étudier la performance biophysique des techniques de contrôle de l’érosion et des sédiments. Il a notamment montré que le contrôle de l’érosion et de la sédimentation en contexte torrentiel a fait l’objet d’un grand intérêt par la communauté scientifique. Plus globalement dans ce même domaine d’application, si le vocable de Nature-based solutions n’a que peu été utilisé jusqu’aux années 2020, le lien peut facilement être fait entre les projets ayant mis en œuvre depuis des décennies des techniques dites de génie végétal, forestier ou écologique, et ceux d’aujourd’hui se revendiquant de la dénomination de Nature-based solutions ou de Forest-based solutions. Il reste cependant encore fort à faire pour accroître nos connaissances et notre savoir-faire quant à l’évaluation de l’efficacité des techniques utilisées sur le long terme, afin de bien concilier la prévention du risque avec l’amélioration de la biodiversité des milieux.
>> Pour aller plus loin :
- Lire l'article « Solutions fondées sur la nature : de quoi parle-t-on exactement ? » sur le site de TheConversation
- Découvrir le site du projet SFN De la théorie à la pratique (PAF) piloté par Joana Guerrin d’INRAE
- Découvrir le site du projet Smarter Targeting of Erosion Control (STEC)
>> Crédits : Freddy Rey