La moulinette : « Hacher menu » les projets de culture scientifique

Publié par Echosciences Grenoble, le 23 septembre 2019   990

Un article de Richard-Emmanuel Eastes, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) publié sur The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Depuis le printemps 2019, le Réseau romand Science et Cité met à la disposition des acteurs et actrices de la culture scientifique un outil d’aide à la conception et au suivi de leurs projets : La moulinette.

Cet outil inédit ne s’accompagne d’aucun conseil méthodologique, ne contient aucune recette toute faite. On pourrait s’en étonner, mais c’est ce qui constitue sa force et sa spécificité. La réflexivité et l’empowerment, tels sont en effet les objectifs de ses concepteurs.

Rappelons que la médiation n’est pas qu’une pratique d’éducation informelle d’un public béotien, consistant à simplifier des savoirs complexes. Il s’agit plus largement d’un ensemble de démarches et pratiques destinées à rapprocher la connaissance spécialisée des besoins auxquels elle pourrait répondre, à l’appliquer aux questions socialement vives et à favoriser l’élaboration commune de connaissances entre spécialistes et groupes de citoyens concernés.

Réflexivité indispensable

Pratiquer la médiation culturelle, c’est exercer un véritable métier. Les connaissances techniques et académiques en sont l’un des piliers, certes. Mais la connaissance des publics, la maîtrise de la pédagogie et la compréhension des modes de production et de diffusion des savoirs y sont tout aussi essentielles. Ces missions nécessitent donc une démarche aussi réflexive que possible, interrogeant les objectifs de ses acteurs à l’aune des attentes et besoins de leurs publics.

Pourtant, cette réflexivité est difficile à atteindre, car cela suppose de remettre en question des approches intuitives, souvent mues par la passion et par le désir de partager ses propres connaissances. Pour ne pas être simplement égoïste ou prosélyte, voire condescendante et finalement contre-productive, elle doit donc miser sur une décentration radicale.

Dans le cas de la science et de la technologie, il est probable que le besoin de réflexivité soit encore plus fort que dans celui de toute autre forme de médiation culturelle, à proportion même de leur impact sur l’évolution de la société.

Tout « progrès » scientifique et technologique disruptif s’accompagne en effet de bouleversements de l’ordre social, de controverses sociotechniques, d’effets secondaires d’ordres sanitaire ou environnemental, voire de questions éthiques qui interrogent in fine son acceptabilité sociale.


À lire aussi : Apprendre à construire le désaccord pour réinventer le dialogue sociétal


Mission citoyenne

Dans ce processus, la médiation scientifique et technique est un acteur déterminant, au sens où elle a tout autant pour mission de promouvoir les applications vertueuses des avancées de la science que d’en interroger les éventuels effets pervers. Sans compter qu’elle tire autant sa légitimité de sa capacité à écouter les peurs et objections de ses publics qu’elle doit souvent ses financements à sa capacité supposée à fabriquer de l’acceptabilité sociale, justement.


À lire aussi : Les jeux de discussion : comprendre et se comprendre


Face à tant de pressions et d’enjeux, les acteurs de la culture scientifique peuvent avoir besoin d’outils pour trouver la juste voie entre l’enthousiasme zélé qui les a probablement poussés dans cette voie professionnelle, et la prudence. Une prudence éminemment nécessaire, face à des publics qui ne souhaitent plus seulement collectionner des informations mais également les articuler à leurs valeurs, pour exercer leur pouvoir de citoyens et de consommateurs.

Dans ce contexte, il convient de promouvoir par tous les moyens une médiation scientifique autocritique et responsable. C’est dans cet esprit que « La moulinette » a été élaborée par des spécialistes de la médiation scientifique suisses et français, universitaires comme acteurs de terrain.

Le résultat prend la forme d’un site web, structuré autour de 11 questions ou chapitres telles que : Pourquoi ? Comment ? Quand ? Avec quels risques ? Il propose à ses utilisateurs un cheminement à géométrie variable en fonction de leurs besoins.

Une fois les questions sélectionnées, le site génère automatiquement des fiches au format pdf, chacune comprenant à son tour des sous-questions qui invitent les utilisateurs à positionner leurs réponses sur différents diagrammes : sliders, pourcentages, matrices, QCM, etc.

Accompagnement sur mesure

En passant son projet au crible des catégories proposées par « La moulinette », on génère ainsi des réflexions précieuses concernant l’ensemble des facettes de l’action envisagée : de ses propres motivations initiales aux impacts escomptés et réels, de la nature des publics visés aux formes possibles de l’activité en passant par la recherche de fonds et les risques encourus.

Un effort particulier a notamment été porté sur l’analyse des motivations (individuelles ou institutionnelles) ayant présidé à la conception de l’activité de médiation et sur la réflexion relative à ses « non-publics », c’est-à-dire aux catégories de personnes s’en trouvant exclues pour des raisons conscientes ou inconscientes.

Par ailleurs, ce travail aidera les médiatrices et médiateurs scientifiques à mieux décrire leurs projets quand ils devront les présenter au grand public, à une structure de financement ou encore à un nouvel employeur. « La moulinette » est donc non seulement un outil de réflexivité, mais également un outil d’empowerment des actrices et acteurs de la culture scientifique, comme doivent l’être leurs propres actions pour leurs publics.

La moulinette, site web.

Multiples usages

Ces fiches imprimables ont été pensées pour répondre aux multiples situations auxquelles sont en général confrontés les professionnels de la médiation, seuls ou en groupes. La moulinette peut en effet être utilisée en tant qu’outil :

  • d’aide à la conception d’un projet, pour n’oublier aucune de ses dimensions importantes (check list),

  • de suivi de projet, sous forme de guidelines permettant de conserver le cap initial,

  • d’évaluation a posteriori d’un dispositif, éventuellement par comparaison avec les réponses aux mêmes questions données lors de sa conception,

  • de formation initiale des médiateurs et médiatrices, dans leurs cursus de formation et/ou lors de leur arrivée dans une organisation de culture scientifique,

  • de documentation d’activités stabilisées, voire de formation des médiateurs et médiatrices sur un dispositif donné (rôle de transmission),

  • de formation continue pour se replacer de temps en temps dans une posture réflexive,

  • de communication avec l’équipe de médiation, la direction, les partenaires, les bailleurs de fonds… autour d’un dispositif de médiation donné.

Mettre en pièces son projet de médiation et ses idées d’activités pour en interroger toutes les dimensions, en recenser les différentes facettes, les analyser et assumer ses choix en toute connaissance de cause, tel est le service que tente de rendre « La moulinette » à celles et ceux qui partagent leurs connaissances scientifiques au quotidien.

Mis gracieusement à disposition en échange de leurs retours sur leurs usages, l’outil se veut collaboratif pour servir au mieux et le plus longtemps possible les intérêts de la communauté.The Conversation

Richard-Emmanuel Eastes, Head of the academic development : University of applied arts and sciences Western Switzerland (HES-SO, Suisse), Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.