Communauté

Mémoires du Futur

Transition écologiques ou multiples catastrophes-métamorphoses

Publié par Jean Claude Serres, le 22 décembre 2025

A ) Introduction 

Je partirai de l’interview de Cynta Fleuty (https://podcasts.lemonde.fr/chaleur-humaine/202512160600-climat-comment-resister-avec-cynthia-fleury#origin=podcast_home ) pour qui la transition énergétique ou climatique est une douce illusion : nous nous devons, individuellement, de regarder en face et d’envisager l’avenir dans ses multiples facettes et enjeux.  Face à cet avenir ( sur un horizon d’une à trois décades) à forte incertitude mais qui recèle une probabilité forte de violence et de dureté, le terme de transition rappelle la métaphore de la grenouille plongée dans une casserole dont l’eau tiède va la cuire lentement. Que nous propose cette philosophe et psychanalyste clinicienne ? Entre deux maux extrêmes : fermer les yeux en continuant son cheminement matérialiste-consumériste vers l’effondrement ou alors s'effondrer maintenant devant l'ampleur des menaces et dangers inévitables, chacun peut trouver, imaginer, inventer un chemin personnel humble et réaliste.

Développer le pouvoir d’agir individuellement tel un colibri ne s’oppose pas à l’agir collectif. L’un ne peut exister sans l’autre !  Notre façon de communiquer est conditionnée par l’usage de notre langue. le français  est une langue qui assigne, qui essentialise les objets de pensée. Ce qui conduit à favoriser le dualisme et les logiques d’opposition. Par exemple, on va opposer action individuelle et action collective alors que l’une ne peut exister sans l’autre. L’humain est un être  grégaire. il ne peut exister et se développer que grâce à la présence des autres. Pour approfondir les discussions nous pouvons quitter les logiques d'argumentation dualiste, quitter le verbe opposer pour le remplacer par apposer, et encore mieux par hybrider : hybrider l’action individuelle et l’action collective.  

L’expression “ développer le pouvoir d’agir individuel” peut être interprétée de mille façons, chacun des mots utilisés possède multiples significations, qui combinées conduisent à l'incompréhension collective lors d’un débat. Le chemin de la discussion profonde amène à questionner les différentes perceptions, compréhensions de l’expression choisie comme thème. Il conduit aussi à relier ces termes à d’autres absents du propos mais existent et orientent de manière souterraine le déroulement de la discussion. Ici  les termes à questionner sont : développer, pouvoir, agir, individuel tout autant que le contexte souterrain : politique, contexte de l’agir (ici transition écologique), agir, individuel, catastrophe, bifurcation, précarisation, violence, interdépendance entre multiples transitions ou catastrophes-métamorphoses. 

Une autre dimension est à questionner, celle du rapport d’échelle ( territoires, temporalités), concernant autant la prise en compte du diagnostic que des champs de l’action. Nous pouvons aboutir sans discussion profonde à l’opposition entre action militante penser et agir global collectivement et l’autre versant penser et agir localement dans une perspective individualiste. Nous pouvons au contraire hybrider un penser global pour une action locale à son inverse une pensée locale pour un agir global. Notre fonctionnement cérébral conscient nous conduit individuellement à focaliser la discussion, dans des argumentations linéaires évitant le complexe et le compliqué, faisant tendre à des propos simplistes et non pertinents.

Les rapports d'échelles induisent les choix multiples compliquant le questionnement : croisement des communautés de territoire et des communautés de destin aux horizons de 2035, 2040, 2045 par exemple : 

  • échelles de territoires : famille, hameau village ou quartier de grande ville, région , nation,  Europe 
  • communautés de destins : désocialisé, en survie, classes moyennes et aisées, engagées dans un système de croyance religieuse ou d’idéologie, de militantisme, sans croyance religieuse mais humaniste…. classes élitistes, très riches  etc..  
  • problématiques sectorielles (économie, écologie, numériques, familiale, organisation politique 
  • problématiques interdépendantes, vision globale

Le nombre de configuration à prendre en compte dans une vision globale tant pour le diagnostic  que pour l’élaboration des actions ou stratégies est considérable (de l’ordre de 300 à 400)  et hors de portée d’un simple atelier de discussion profonde. Cela relève d’un engagement personnel dans la durée en termes d’information, d’intégration, de reliances et d’élaboration d’une pensée globale.  L’échelle temporelle est un peu plus facile à aborder. A l’instant “t” nous ne vivons pas dans les mêmes temporalités sans tenir compte de l’âge administratif de chaque individu. Nous pouvons prendre en compte les âges corporels, psychiques et sociétaux. Dans les années 1970 un livre exprimait déjà ce décalage temporel : le choc du futur d’Alvin Toffler. 

Face à la prise en compte de cette complexité deux écueils se présentent à nous : le risque de saturation cérébrale ( Pascal Chabot - un sens à la vie : risque de digitose :  l’épuisement cérébral, l'éco anxiété et le burn out ) et la non prise en compte de la vision civilisationnelle que peuvent apporter Marc Halévy, Frédéric Lenoir, Jean Loup Amselle, Georges Balandier ou encore Jacque Attali. Cela demande sagesse et humilité face à la tâche, l’acceptation de l’incertitude, de l’incomplétude et ques les problématiques auxquelles nous sommes  confrontées, n’ont pas de solutions rationnelles : elles  s'inscrivent au coeur de l’évolution du vivant.

B ) Comment avancer individuellement et collectivement sur le développement du pouvoir d’agir ?

Dans la phase initiale de penser globalement l'interaction, l’interdépendance des problématiques et des stratégies de résolution il devient indispensable de condenser cette réflexion en problématiques racines sans simplification abusives et en s'insérant dans la réalité des contraintes économiques, politiques et structurelles (limites des ressources et des comportements humains.  


1) le penser global du diagnostic structurel 

Quand on prend en compte au niveau national l’évolution historique nous pouvons imaginer une apogée “civilisationnelle” entre la révolution et les conquêtes napoléoniennes (20 millions d’habitants, première armée du monde vs USA  millions de personnes ). LA diffusion de l’esprit des lumières comme les colonisations manque l’étendu mondiale de la culture et des méfaits de la france. Aujourd'hui le monde a changé, les USA première puissance mondiale pèse 350 millions d’habitants versus 67 millions pour la France. Demain, vraisemblablement la chine puis l’inde prendront le relais des USA. 

Nous pouvons considérer que la France demain lourdement endettée, désindustrialisée et possédant une très faible autonomie de vie confortable va entrer dans un régime de précarisation et de marginalisation. Nous pouvons le constater à une échelle plus petite : les 15 métropoles drainent l’emploi et les revenus, précarisant et marginalisant  une néo-colonisation touristique du monde rural, périphérique. En fait, la précarisation globale de la nation pèse sur les plus démunis et accroît la fracture sociale. L’injustice sociale  va s'étendre dans le futur proche avec la redistribution du travail via la puissance de la numérisation sociétale. 

La nation aura de plus en plus de mal à partager l’accès à la santé, à la nourriture saine, à la culture et à l’éducation réservées aux élites métropolitaines.


2) le penser global des stratégies orientant les actions locales 

Oser penser la maîtrise des risques globaux induit une fragilisation mentale liée à l'éco anxiété, l’incapacité à réduire ces risques globaux, à l’incertitude et aux manques chroniques de moyens. Les pistes stratégiques en environnement complexe sont vraisemblablement paradoxales, systémiques et démocratiquement non acceptables, induisant des régimes politiques plus dirigistes voire autoritaires.  

Les travers ou dérives sociétales potentielles (accroissement de la pauvreté, radicalisation des postures, recul des droits des femmes et des minorités) vont obliger à établir les priorités d’actions à chacun des  niveaux de communautés de territoire. Par exemple, la lutte contre la dérégulation climatique pourrait être abandonnée aux profits d’autres combats. Prendre de face certaines catastrophes climatiques auront un effet sans doute plus efficace sur l’ensemble de la population comme des instances gouvernementales qu’une  transition, tranquille, volontaire et finalement très marginale.  

Une économie de guerre (précarisation structurelle) paraît indispensable à mettre en œuvre à chaque niveau territorial. Dans chaque territoire des groupes ou réseaux d’influence contribuent à la vitalité du village mais aussi à certaines formes de conflictualité, voire de violence verbale ou physique. Dans chaque village peuvent émerger des forces “ennemies” ou vues comme telles. Certains vont poindre du doigt les usagers du tout automobile, des “réseaux complotistes”  mais aussi des idéologies machistes ou de destruction du bien commun démocratique. Il suffit de changer de camps pour identifier l’ennemi porteur du wokisme, les destructeurs de l’identité traditionnelle, le multiculturalisme, l’écologisme radical,  etc. 


3) le penser agir local d’adaptation, d’humanisation et de résilience

 Les pistes locales consistent  à regrouper, à créer, voire à inventer des formes de communautés de destin compatibles. A l'intérieur de ces réseaux des actions individuelles et collectives ( l’un ne va pas sans l'autre) pour s’épauler et faire face de façon solidaires  aux multiples catastrophes-métamorphoses que nous allons traverser dans les prochaines décennies. 

Les pistes concrètes sont  sans doute : 

  • le développement des circuits courts de nourriture saine 
  • l’humanisation des rapports entre personne pour équilibrer le rapports aux outils numériques qui réduisent les réunions et discussions profondes en présentiels 
  • la faculté de chacun à devenir un aidant non professionnel complémentaire aux institutions débordées
  • le soutiens des personnes victimes de maltraitance ou en difficultées faces aux mutations brutales 
  • l’acceptation, la compréhension et l’impossible réduction de nos sociétés modernes ingouvernables
    
    4) les choix de vie, d'adaptation et d’engagement personnels

 Les actions individuelles ne s’opposent pas mais s’hybrident naturellement aux actions collectives. On peut même dire que les actions individuelles sont collectives. Que l’on œuvre dans le militantisme ou dans l’ordre de la mission personnelle, chacun peut se retrouver ressources des autres s’il s’engage en profondeur dans sa mission, dans son militantisme.  

Jeanne Benameur, romancière, nous délivre deux messages essentiels : développer la joie de vivre  est un acte politique ; prendre le temps d’écrire et aussi un acte politique.

C ) En synthèse : pour développer le pouvoir d’agir 

On ne peut être aidant, ressource ou facilitateur pour d’autres si l’on n’est pas chacun aidant, ressource ou facilitateur pour soi- même. Créer ou participer à un atelier de parole, de discussion en profondeur respectant les principes de la communication assertive, de la communication non violente, du bâton de parole. Ritualiser ce type d'atelier est un bon chemin. trois familles de thématiques sont à proposer : offrir du sens à la vie - questionner comment on pense ce que l’on pense ou que l’on exprime - aborder les conditions de vie, la condition humaine  et ses problématiques. Créer des moments sérieux, alterner avec des moments plus festifs, créatifs, artistiques et amener aussi des moments de partage en  cheminant en nature.  

cf article précédent : du Penser global à l'agir local Mai 2023  https://www.echosciences-greno...