Le CO2 : un déchet à valoriser ?
Publié par Elsa Morin, le 2 juin 2025 220
Et si on voyait le dioxyde de carbone comme une ressource plutôt qu’un déchet ? Des chimistes de l’Université Grenoble Alpes travaillent depuis 2020 à produire du méthane à partir de CO2, grâce à une molécule inspirée de la nature.
Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement de la planète. L'un des plus importants défis auxquels notre société est confrontée aujourd'hui est la réduction de la concentration dans l'atmosphère de ce CO2. Pour y parvenir, il nous faut en premier lieu réduire nos émissions de CO2 et utiliser des énergies renouvelables à la place des énergies fossiles.
Mais que faire des secteurs difficiles à décarboner (ciment, chimie, acier) ? Face à ces difficultés, certains sont tentés de le capturer et de le stocker dans des formations géologiques adaptées : on appelle cela le CCS (Carbone Capture and Storage).
Mais des chimistes voient une autre voie possible pour ce déchet qu’est le CO2 : le valoriser en le transformant en un autre produit. La phrase la plus célèbre en chimie n’est-elle pas celle de Lavoisier disant que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ?
Au Département de Chimie Moléculaire de l’Université Grenoble Alpes, Carole Duboc, directrice de recherche CNRS, s’intéresse aux voies de transformations du CO2, et tente de fermer le cycle du carbone.

Le ciment, secteur difficile à décarboner. Crédits : Declan Sun, unsplash
Le cycle du carbone déréglé
Dans le cycle naturel du carbone, la capture et la production de CO2 sont à l’équilibre puisqu’elles reposent principalement sur deux mécanismes naturels complémentaires : la photosynthèse, qui capture du CO2, et la respiration cellulaire, qui en émet. Or, de par leur utilisation incontrôlée des énergies fossiles, les humains ont considérablement augmenté la concentration en CO2 dans l’atmosphère. En effet, en brûlant pétrole dans leurs voitures, charbon dans leurs usines et méthane (gaz) dans leurs chaudières, ils ont libéré dans l’atmosphère du CO2, qui était jusqu’alors enseveli sous terre. Déréglant ainsi le cycle du carbone terrestre.
Un CO2 difficile à activer
Les chimistes de Grenoble ne sont pas les premiers à avoir pensé à valoriser le CO2. Gaz abondant, peu cher, cause du changement climatique : les raisons de s’y intéresser sont nombreuses.
Mais plus facile à dire qu’à faire ! En effet, le CO2 est particulièrement difficile à faire réagir, on dit qu’il a une « grande inertie cinétique ». Un peu comme quelqu’un qui resterait affalé sur son canapé, le CO2 a besoin de l’aide d’un ami pour se bouger. C’est le rôle du catalyseur ! Le catalyseur est une molécule qui a pour rôle de permettre à une réaction, d’augmenter sa vitesse, ou de choisir sélectivement un produit pour la réaction. Mais n’importe quel catalyseur ne fait pas l’affaire. Pour transformer le CO2 en un produit donné, le catalyseur doit avoir les bonnes qualités requises. Comme en amitié, une alchimie doit être présente pour que la relation prospère – ou en termes chimiques, pour que la réaction opère.

La chimie bioinspirée en laboratoire. Crédits : Carole Duboc & Damien Jouvenot
S’inspirer de la nature... pour construire un catalyseur !
Connaissez-vous la règle des 5R dans la gestion des déchets ? Refuser, Réduire, Réutiliser, Recycler, Rendre à la terre.
En recherche, ces principes s’appliquent tout autant, que ce soit pour éviter le gaspillage de produits chimiques ou pour capitaliser sur d’anciens travaux ! Ici, Carole Duboc et ses collègues ont réutilisé un de leurs anciens catalyseurs déjà connu pour sa capacité à produire de l’hydrogène, mais en lui donnant un nouveau rôle : réduire le CO2 en méthane.
Pour concevoir ce catalyseur, les scientifiques s’étaient inspirés de la nature. Deux enzymes naturelles peuvent produire de l’hydrogène ou réduire du CO2, et elles contiennent toutes deux un complexe constitué de Fer et de Nickel entourés d’atomes de Soufre. En copiant la nature, iels ont pu concevoir au sein du laboratoire une molécule plus petite mais qui contenait tous les éléments importants dans une disposition similaire.
Ces éléments sont abondants dans la nature, s’en servir à la place des métaux nobles classiquement utilisés (platine, iridium, etc.) permet de réduire l’impact environnemental du procédé tout en diminuant son coût. Et également de le sécuriser grâce à un approvisionnement en métaux locaux, le Fer et le Nickel étant présents dans les sols européens.
Depuis 2020, les scientifiques de Grenoble étudient ainsi les mécanismes chimiques à l’œuvre, élaborent des modèles plus performants, faciles à produire et à utiliser pour catalyser cette transformation du CO2 en méthane.

Le catalyseur bioinspiré et la réduction du CO2 en méthane (CH4). Crédits : Carole Duboc et al, ACS Energy Letters
Stocker de l’énergie : l’éternel défi
L’intérêt porté au méthane a redoublé ces dernières années suite aux conflits géopolitiques avec la Russie, un de nos principaux fournisseurs de méthane sous forme de gaz. Transformer le CO2 en méthane permettrait de nous approvisionner en énergie, et de réutiliser toutes les infrastructures déjà présentes pour l’utilisation de ce gaz.
Cependant, il ne faut pas oublier que la combustion du méthane… émet du CO2 ! L’utilisation de ce gaz n’aurait donc de sens qu'en cycle fermé : le méthane serait fabriqué à partir du CO2 capté en sortie d’usine, ou de CO2 déjà présent dans l’atmosphère. Lors de sa consommation, le méthane libérerait autant de CO2 que ce qu’on aura capté pour le fabriquer. Ce qui ne générerait donc pas d’augmentation de la concentration en CO2 dans l'atmosphère.
Est-ce réalisable ? Dans quelles conditions ce procédé pourrait-il fonctionner ? Quelles quantités seraient en jeu ? Autant de questions qu’il reste à élucider, la recherche sur la transformation du CO2 étant encore au stade fondamental.
Sans oublier qu’il est nécessaire de penser une telle innovation technologique dans son contexte structurel. Car comprendre la chimie ne suffit pas en soi, il faut également comprendre quels sont les impacts environnementaux, comment les évaluer, et définir des mesures socio-économiques pour que la valorisation du CO2 soutienne réellement l'économie circulaire et soit neutre sur le plan climatique.
Ainsi, Carole Duboc coordonne le projet DéfiCO2, qui rassemble 14 laboratoires couvrant les domaines de la biologie, de la chimie, de la physique, des sciences de l’ingénieur, des sciences socio-économiques, socio-technologiques et des sciences humaines et sociales.
Source : Repurposing a Bio-Inspired NiFe Hydrogenase Model for CO2 Reduction with Selective Production of Methane as the Unique C-Based Product, Md Estak Ahmed, Suzanne Adam, Dibyajyoti Saha, Jennifer Fize, Vincent Artero, Abhishek Dey, and Carole Duboc, ACS Energy Letters 2020 5 (12), 3837-3842
Article rédigé dans le cadre de la formation « Vulgarisation scientifique à l’écrit » destinée aux personnels de recherche de l’Université Grenoble Alpes et encadrée par Marion Sabourdy, Responsable éditoriale d’Echosciences Grenoble à Territoire de sciences