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Le GABA : un neurotransmetteur bien excitant !

Publié par Antoine Depaulis, le 1 juillet 2016   250k

Le GABA est une petite molécule très abondante dans notre cerveau qui joue le rôle de messager chimique - ou neurotransmetteur - entre deux neurones. C'est LE neurotransmetteur inhibiteur de référence... mais pas toujours ! (1)

Le couple GABA-Chlore

Contrairement à la plupart de ces petits camarades neurotransmetteurs comme le glutamate, la dopamine, la sérotonine ou l'acétylcholine, le GABA (acide gamma aminobutyrique pour les intimes) est connu avant tout pour être inhibiteur. Quand il vient chatouiller l'un des deux types de récepteurs qui lui sont spécifiques à la surface des neurones, cela se traduit par un renforcement du potentiel électrique négatif de l’intérieur des neurones et donc une inhibition. Ceci réduit la probabilité que ces cellules s’excitent et transmettent de l’information sous forme de potentiels d'action. Pour l'un des récepteurs du GABA, appelé tout simplement "A" (on manque un peu d'imagination parfois, nous les chercheurs), cette interaction GABA-récepteur entraine une entrée d'ions Chlore (Cl-) dans la cellule et donc d'autant de charges négatives (alors que ce sont des ions chargés positivement pour le Sodium (Na+) qui entrent quand le neurotransmetteur est excitateur). Le récepteur GABAA est en effet intimement associé à un canal au Chlore, sorte de pore dans la membrane du neurone, qui ne laisse passer que les ions Chlore, un point c'est tout (2) !

Ce récepteur GABAA est très important dans le cerveau car on le trouve un peu partout, sur différentes sortes de neurone et il a été démontré qu'il est

Représentation schématique du récepteur GABA-A et du couplage au canal Chlore.

également la cible de médicaments comme les benzodiazépines (ou tranquillisants, comme le lexomyl ou le séresta) ou encore les barbituriques. Tous facilitent les effets inhibiteurs du GABA. Tout ça doit bien inhiber notre cerveau me direz-vous. Oui, mais pas toujours !



Le GABA contrôleur

Pour que le cerveau adulte fonctionne bien, c’est à dire ne pas être tout le temps inhibé, les neurones qui libérent le GABA restent minoritaires : moins de 10 % des neurones! Ce sont aussi le plus souvent des "interneurones" dont la cible principale, les cellules pyramidales (à cause de leur forme), libérent des neurotransmetteurs excitateurs (le glutamate en premier lieu). Ainsi, lorsqu’une cellule principale est excitée, elle active quelques autres cellules principales et transmet ainsi une information. Mais elle active aussi quelques interneurones GABAergiques, qui vont contribuer à inhiber l’activité locale. Tout reste donc sous contrôle. Personne ne s’emballe. L’inhibition veille... Tout va bien!

La complexité du cerveau fait qu'un neurone qui libère du GABA peut inhiber un autre neurone, lui-même GABAergique. L'inhibition d'une inhibition va donc entrainer une désinhibition des neurones en aval (par exemple des neurones pyramidaux). C'est un mode classique de fonctionnement de nos circuits neuronaux. Pour peu qu'un des maillons de ce circuit soit plutôt "tonique" en libérant du GABA régulièrement ou plutôt "phasique" en ne libérant du GABA que de temps en temps, uniquement lorsqu'il est mis en jeu, on obtient un système de codage de l'information très performant.

Le GABA bébé

Mais le GABA peut aussi être très excitant ! Dans le cerveau des très jeunes mammifères, il est pratiquement le seul neurotransmetteur à avoir tout ce qu'il faut pour jouer au messager : une unité de production, un système de libération couplé au calcium, des récepteurs en état de marche et un mécanisme ultra puissant de nettoyage pour vite éliminer le GABA une fois sa mission accomplie. Ce système est tellement parfait que c’est le premier à fonctionner. Et comme les autres systèmes de neurotransmission ne sont pas encore "mûrs", c’est le système GABAergique qui fait le boulot d’excitation. Mais à sa manière! Jamais trop. Toujours avec beaucoup de "self control".

Dans ce jeune cerveau, les concentrations en Chlore à l'intérieur des neurones sont bien plus élevées que chez l'adulte. La faute à qui ? Hé bien à ces protéines appelées KCC2 qui, au sein de la membrane des neurones permettent de faire sortir ce Chlore des cellules dans le cerveau adulte mais qui, chez le très jeune, ne sont pas encore en état de fonctionner. Inversement, les transporteurs qui font entrer le chlore (NKCC1) sont bien là, eux, et même plutôt actifs. Alors nos jeunes neurones sont bourrés de Chlore et quand les canaux spécifiques s'ouvrent, suite à l'activation des récepteurs GABAA, le Chlore sort au lieu d'entrer dans le neurone. Résultat : le neurone perd des charges négatives, on dit qu'il se dépolarise... bref, il est excité !

Cette théorie du "GABA excitateur" dans le cerveau immature a été en particulier développée par l'équipe de Yehezkel Ben-Ari à Marseille il y a plusieurs années et confirmée par de nombreuses équipes, même si, comme souvent, cette théorie fait encore débat (3). Il n'est pas certain en effet que ces transporteurs qui tardent à extraire le Chlore au cours du développement cérébral soient les seuls responsables des effets excitateurs du GABA. Quelqu'en soit la raison, ces phénomènes orchestrés par le « GABA qui excite » crée les premières activités dans le cerveau. Et ça, c’est fondamental! Si l'on empêche le système GABAergique de fonctionner correctement, le cerveau se développe très très mal. Touche pas à mon GABA. !

Par la suite - après une semaine de vie chez les rongeurs, plutôt vers la fin de la vie intra-utérine chez l’homme - les choses se mettent en place: le glutamate fait son job d'excitateur et la concentration du Chlore baisse dans les neurones. Le GABA assure alors ses ‘classiques’ fonctions inhibitrices....

Le GABA malade

Un des points très intéressants de ce concept de "GABA excitateur" est qu'il suggère que, même chez l'adulte, certains neurones pourraient fonctionner comme lors du développement et donc être excités par le GABA. Par exemple, dans certaines maladies, notamment celles où la régulation de l’activité fonctionne mal comme l’épilepsie. La démonstration a été faite il y a une quinzaine d'années par l'équipe de Richard Miles (Paris) en enregistrant l'activité électrique de neurones sur des tranches de cerveau de patients épileptiques. En effet, dans certains cas d'épilepsie qui résistent aux médicaments, le neurochirurgien peut enlever la région du cerveau qui est à l'origine des crises et qui a été préalablement localisée par les neurologues, les neurophysiologistes et les neuroimageurs. Avec l'accord du patient, ce petit bout de cerveau peut être conservé pendant 24h dans des conditions les plus physiologiques possibles et les chercheurs les plus habiles arrivent ainsi à enregistrer l'activité individuelle de neurones humains. Les connexions entre neurones demeurent et les activités épileptiques y persistent. Les chercheurs parisiens ont ainsi montré que dans un foyer épileptique environ 20% des neurones seraient excités par le GABA alors que leurs voisins restent inhibés (4). Chez ces neurones excitables, les protéines-pompes qui font sortir le Chlore de la cellule (KCC2) sont quasi absentes et celles qui l'aspirent dans le neurone (NKCC1) sont au contraire sur-exprimées, si bien que la concentration de cet ion négatif est anormalement élevée (5). Ces données révolutionnaires ont été depuis confirmées dans plusieurs préparations et dans des modèles animaux d'épilepsie. Mais dans tous ces cas pathologiques, nous sommes quand même très loin des conditions immatures du système nerveux. Certes, le GABA excite (un peu) mais le système excitateur (cellules principales et glutamate) reste tout à fait fonctionnel … et là rien ne va plus! L’excitation (glutamate + GABA) devient beaucoup trop forte et l’inhibition beaucoup trop faible : c’est la crise... d'épilepsie! Ou au mieux la survenue de décharges anormales pour les neurones.

Est-ce que ces neurones excités par le GABA sont responsables du déclenchement des crises d'épilepsie ? C'est une hypothèse très séduisante mais qui reste encore à démontrer. Si c'est le cas, alors comment les médicaments anti-épileptiques qui agissent souvent en augmentant la transmission GABAergique peuvent rester efficaces ? Faut-il plutôt bloquer les protéines-pompes qui font rentrer le Chlore dans les cellules et qui sont anormalement actives ou bien stimuler celles qui l'évacuent de la cellule ? Est-ce que d'autres maladies du cerveau impliquent un dérèglement de cet équilibre du Chlore dans les cellules nerveuses ? Dans les épilepsies dues à des malformations du cerveau ou à des tumeurs cérébrales, une étude récente montre qu'un mauvais contrôle du Chlore est à l’origine, à la fois de l’épilepsie et de la croissance des tumeurs (6). Mais, dans ce cas du moins, un autre ion, le Potassium, vient mettre son grain de sel et les choses se compliquent un peu...

Le GABA est donc un neurotransmetteur très excitant, notamment pour les chercheurs, mais pour comprendre tous les enjeux de sa régulation et corriger son dysfonctionnement, il va falloir encore un peu patienter...



>> Pour en savoir plus sur l'épilepsie : lire notre dossier sur l'épilepsie

>> Notes:

  1. Préparé avec la complicité de Gilles Huberfeld.
  2. Ou à la limite, leur proche cousin bicarbonate.
  3. Ben-Ari, Y., Woodin, M.A., Sernagor, E., Cancedda, L., Vinay, L., Rivera, C., Legendre, P., Luhmann, H.J., Bordey, A., Wenner, P., Fukuda, A., van den Pol, A.N., Gaiarsa, J.-L., Cherubini, E., 2012. Refuting the challenges of the developmental shift of polarity of GABA actions: GABA more exciting than ever! Front. Cell. Neurosci 1–18.
  4. Cohen, I., Navarro, V., Clemenceau, S., Baulac, M., Miles, R., 2002. On the Origin of Interictal Activity in Human Temporal Lobe Epilepsy in Vitro. Science 298, 1418–1421.
  5. Huberfeld, G., Wittner, L., Clemenceau, S., Baulac, M., Kaila, K., Miles, R., Rivera, C., 2007. Perturbed Chloride Homeostasis and GABAergic Signaling in Human Temporal Lobe Epilepsy. The Journal of Neuroscience 27, 9866–9873.
  6. Pallud, J., Le Van Quyen, M., Bielle, F., Pellegrino, C., Varlet, P., Labussiere, M., Cresto, N., Dieme, M.-J., Baulac, M., Duyckaerts, C., Kourdougli, N., Chazal, G., Devaux, B., Rivera, C., Miles, R., Capelle, L., Huberfeld, G., 2014. Cortical GABAergic excitation contributes to epileptic activities around human glioma. Science Translational Medicine 6, 244ra89.