Le Sénat admiratif du solutionnisme technologique à la chinoise... La "datazerition" de l'être humain...
Publié par Yannick Chatelain, le 23 juin 2021 2k
Le Sénat admiratif du solutionnisme technologique à la chinoise... La "Datazérisation"de l'homme : itinéraire d'un effondrement de notre humanité.
Un rapport sénatorial inquiétant préconise de pouvoir collecter des données personnelles sensibles en s’inspirant du modèle chinois.
Par Yannick Chatelain. Professeur Associé à Grenoble Ecole de Management GEMinsights Disseminator
Dans un rapport d’information fait au nom de la délégation à la prospective au titre évocateur : « Crises sanitaires et outils numériques, répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés ».
Les sénateurs en charge, Véronique Guillotin, Christine Lavarde et René-Paul Savary s’attardent longuement – dans ce document de 147 pages – sur la stratégie chinoise pour endiguer la pandémie en ne manquant pas de s’éblouir de son efficacité.
Ces derniers notent entre autres qu’elle a été « une grande réussite sur le plan sanitaire, avec officiellement 4846 morts pour 1,4 milliard d’habitants, soit 3 morts par million d’habitants, quand la France seule compte plus de 100 000 morts, soit 1633 morts par million d’habitants. ».rdCes derniers notent entre autres qu’elle a été « une grande réussite sur le plan sanitaire, avec officiellement 4846 morts pour 1,4 milliard d’habitants, soit 3 morts par million d’habitants, quand la France seule compte plus de 100 000 morts, soit 1633 morts par million d’habitants. ». d’habitants, soit 3 morts par million d’habitants, quand la France seule compte plus de 100 000 morts, soit 1633 morts par million d’habitants. ».
Il est vrai qu’au regard de sa grande transparence et depuis le début de cette crise, la crédibilité des chiffres annoncés par le gouvernement chinois est un argument de poids.
Quant à la sénatrice Christine Lavarde, co-autrice du rapport, elle juge bon d’indiquer :
"Dès le départ, nous savions que ce rapport allait susciter de vives critiques. Je comprends qu’il puisse heurter, car il va complètement à contre-courant de ce qui a été fait dans le cadre de la crise contre le Covid en France. Mais nous avons choisi d’être exhaustifs, et de l’argumenter par des exemples… !"
Il est vrai que s’appuyer sur de tels exemples et de tels chiffres communiqués par les autorités chinoises laisse… sans voix, tant la transparence du régime populaire de Chine dans cette crise et la véracité de ses dires (depuis son origine) peut être pour le moins sujette à caution.
Et ces mêmes sénateurs peuvent bien ajouter « Les chiffres officiels sont douteux, bien sûr, mais la maîtrise de la situation ne l’est pas ! » il n’en demeure pas moins qu’ils s’appuient sur des chiffres effectivement douteux pour étayer leur démonstration et marquer les esprits tout en les déjugeant seulement quelques lignes plus tard… Une approche pour le moins alambiquée.
Quant à la mirifique maîtrise évoquée, peuvent-ils citer leurs sources ? Les sénateurs pondèrent également leurs propos sur les méthodes utilisées pour arriver à ces résultats spectaculaires.
Ils précisent également :
"Le modèle chinois n’est évidemment pas transposable aux pays occidentaux."
Nous voilà rassurés… pas pour longtemps.
Leur logique d’argumentation demeure la même tout au long du rapport : critiquer des méthodes en donnant l’air de s’en offusquer pour mieux en vanter les mérites et les poser, au fil des lignes, comme aussi incontournables qu’inéluctables dans le cas d’une nouvelle crise.
Le « Crisis Data Hub »
Dans ses velléités de collectes de données sensibles massives la délégation sénatoriale suggère ainsi de créer une plateforme numérique qui prendrait le nom de « Crisis Data Hub », en référence au « Health Data Hub ». Notons que ce dernier avait fait l’objet de recommandations de la CNIL en matière de sécurisation. La Commission avait par ailleurs souligné l’impériosité d’un changement d’hébergeur de la plateforme qui avait fait le choix de recourir aux services de Microsoft.
Par ordonnance du 13 octobre 2020 le Conseil d’État avait reconnu l’existence d’un risque de transfert de données issues de la Plateforme des données de Santé (PDS) vers les États-Unis du fait même de la soumission de Microsoft au droit étatsunien et avait alors demandé que des garanties supplémentaires soient mises en place.
La CNIL avait ainsi obtenu des garanties de la part du ministère quant à un changement de solution technique permettant de supprimer ce risque dans un délai déterminé :
"Le ministère s’est engagé
à recourir à une solution technique permettant de ne pas exposer les
données hébergées par la PDS à d’éventuelles demandes d’accès illégales
au regard du RGPD dans un délai compris entre 12 et 18 mois et, en tout
état de cause, ne dépassant pas deux ans."
À ce jour la centralisation de l’ensemble des données de santé des Français continue sur le Cloud Microsoft.
Le modèle chinois comme source d’inspiration démocratique
Comme je l’évoquais et dans le cadre de la création de cette plateforme la délégation énonce que le « modèle chinois n’est évidemment pas transposable aux pays occidentaux ».
« Et dans le même temps » (puisque faire cohabiter des propos diamétralement opposés semble désormais devenu un usage en politique pour faire cohabiter de façon décomplexée le tout et son contraire) en fonction de la gravité de la crise elle imagine des outils d’information et de coordination allant jusqu’à des scénarii coercitifs pour les « mauvais citoyens »… dessinant sans sourciller les contours d’un régime autoritaire « déclenchable » à l’envi.
Lorsqu’il s’agit d’imaginer, il ne s’agit pas de se priver :
" On pourrait imaginer que seules les personnes diagnostiquées positives, soit moins de 0,1 % de la population fin mai 2021, soient soumises à des mesures d’isolement, mais que ces mesures soient étroitement contrôlées (par une géolocalisation en direct par exemple) et sévèrement sanctionnées (par une amende prélevée automatiquement, par exemple). Aucune autre restriction ne serait imposée au reste de la population ni à la vie économique et sociale en générale, et l’épidémie pourrait être freinée plus vite."
Et d’ajouter pour légitimer cette folie :
"Dans un tel exemple, des technologies intrusives sont nécessaires, et des traitements de données dérogatoires aussi : il s’agit en effet de croiser des données personnelles, y compris des données sensibles relatives à l’état de santé, avec des données de géolocalisation et des données bancaires. Rien d’impossible techniquement, et rien de très exceptionnel en comparaison de ce que font les GAFA à des fins purement commerciales."
Pour rappel à cette délégation audacieusement liberticide qui compare, ce qui n’est en rien comparable, au regard – et dans le cas évoqué – de la sensibilité extrême des données qui imposent des traitements extrêmement précautionneux, est-il utile de rappeler à ces démiurges technosolutionistes que :
- Les usagers ne sont pas toujours informés des pratiques des GAFAM, pas plus que l’on ne peut postuler qu’ils les acceptent et les cautionnent.
- Les GAFAM ont été régulièrement poursuivis par l’UE pour leurs pratiques de collectes de données et leur usage dévoyé. Le 21 janvier 2019 la CNIL a infligé à Google sa toute première amende au titre du RGPD (Règlement général sur la protection des données) huit mois après l’entrée en vigueur de ce texte européen encadrant l’utilisation des données personnelles… WhatsApp a été condamné à 50 millions d’euros d’amende pour manque de transparence. Etc.
L’argument est donc nul et non avenu. Mais puisque selon cette cellule prospective la RGPD apparait être une entrave à un hygiénisme débridé, et puisqu’en prospective le droit européen et international, les droits fondamentaux des hommes peuvent être foulés aux pieds… prospectivement, pourquoi se priver de prospectiver à l’envi.
Postuler l’irresponsabilité des citoyens pour faire oublier la responsabilité des États : mode d’emploi
Aussi imaginons toujours : dans la tonalité d’un rapport qui s’appuie sur un modèle chinois si « performant » en termes de gestion de crise sanitaire, ce dernier ne manque pas d’évoquer tous les outils technologiques à disposition qui ont été utilisés ici et là par d’autres États – dont certains sous tutelle chinoise – pour en vanter les mérites et transformer sur simple décision une démocratie en enfer.
Parmi lesquels « le contrôle des déplacements (bracelet électronique pour contrôler le respect de la quarantaine, la désactivation du pass pour les transports en commun, etc. » comme ils le rapportent avec, à la lecture, une forme d’émerveillement :
"Une spécificité de Hong Kong mérite d’être signalée : le recours à des bracelets électroniques pour assurer le respect de la quarantaine, en complément d’autres mesures telles que les visites inopinées, les appels vidéo surprise, et bien sûr les sanctions dissuasives (amende de 641 dollars et 6 mois d’emprisonnement."
N’en déplaise à ces audacieux démiurges promoteur d’une « datazerisation » de l’humain, leur rapport n’est pas sans faire penser à une sorte d’hagiographie des pratiques des régimes autoritaires les plus intrusives et coercitives, dont la Chine.
Que les régimes autoritaires et leurs pratiques brutales soient une source d’inspiration pour des pays « démocratiques » interpelle. Ne vaudrait-il pas mieux parler d’une source d’expiration ?
N’en déplaise également à ces audacieux rapporteurs et à René-Paul Savary qui assume, pour ses pairs, un texte provocateur, cette période appellerait à une pause, à de la tempérance et non pas à déclencher une surenchère de polémique ostentatoire : l’histoire dira la réalité de ce qui s’est passé dans ce monde, elle séparera le bon grain de l’ivraie.
Et plutôt que de postuler et de prétendre anticiper une irresponsabilité des citoyens, elle dira la responsabilité des États.
Pour la France, elle dira la réalité de l’absence, qui a semblé récurrente, d’anticipation, elle reviendra analyser les tenants et aboutissants d’un manque de moyens humains et de matériels flagrants : des lits d’hôpitaux insuffisants en France au regard de la population.
Elle rappellera aux oublieux, à ces oublieux, le montage médiatisé d’un hôpital militaire aussi vite monté que démonté, les vols de masques sur le tarmac, une stratégie de vaccination qui ne mérite pas de commentaires.
Elle reviendra sur nombre de décisions incompréhensibles niant l’humain.
Il aurait été souhaitable que ces « provocateurs » prêtent davantage attention au rapport de la Commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion. Quant au technosolutionisme aveugle nonobstant cette intention qui se veut louable, « Datazeriser » les citoyens, postulé a priori inconséquents « pour leur bien », afin de mieux les contrôler et les contraindre… au cas où…Cela va dans le sens de l’acceptation de la négation la plus absolue de notre humanité… C’est oublier bien vite les pas inacceptables en inhumanité qui auront été infligés à des êtres humains durant la période… Une négation de l’humain sur laquelle je reviendrai. Ainsi ce rapport n’a de cesse de vanter les mérites d’outils numériques intrusifs totalement incompatibles avec un fonctionnement démocratique. Ce texte n’est pas seulement provocateur, à moins d’être en déficit de reconnaissance et de notoriété, ce dont je ne peux préjuger. Sous couvert d’une simple provocation ce texte surréaliste pose les jalons pour fabriquer un consentement et soumettre demain la population à l’acceptation d’une surveillance hygiéniste massive. Il s’inscrit dans la poursuite débridée de collectes de données sensibles en prévision d’un pire annoncé.
" Contrôler de manière numérique le respect des règles, y compris en agissant de manière intrusive et dérogatoire."
Voilà des mots pour le moins glaçants. Il faut les lire pour le croire. Une chose est certaine en matière de prospective pour préconiser la mise en place d’outils supposés préventifs que ne renierait pas une dictature. Les mots sont parfaitement bien choisis. Je note en outre que cette délégation se retranche derrière une comptabilité froide du nombre de morts, derrière les chiffres mirifiques (en nombre de vies épargnées) évoqués qui seraient le fruit de mesures coercitives les plus extrêmes et d’outils technologiques les plus intrusifs. À aucun moment ne sont évoquées les dérives terribles auxquelles nous avons assisté en matière de négation de l’être humain et de son humanité. Combien de pays, dont la France ont laissé des êtres humains mourir dans la solitude, laissant des proches désemparés et sans possibilité ni d’accompagnement ni de deuil !
Je note en outre que cette prospective n’évoque nullement les dégâts collatéraux psychologiques irréversibles ayant parfois abouti au pire, les vies brisées qui viendront vraisemblablement augmenter en silence le nombre de décès directement imputables à une gestion de l’humain sans plus d’humanité.
Alors s’il fallait tirait des conséquences directes de cette régression en humanité inédite en temps de paix… il serait souhaitable de ne pas réduire l’humain à de la data à contrôler, surveiller, contraindre, à défaut de le penser responsable, à moins de persister dans la folie mâtinée de transhumanisme qui consistera à tuer la vie obstinément pour sauver l’Homme de la mort avec encore plus d’entrain.
La "datazerization" de l’Homme : la négation de son humanité !
La peur, la propagande, la culpabilisation récurrente de la population, l’infantilisation humiliante, la disqualification de toute forme de rébellion à l’absurde semblent avoir eu raison de la raison au pays des Lumières.
Durant la crise la population a été rudoyée et de nombreuses fois soumise à des décisions arbitraires, la dernière en date étant la décision de la fin du port du masque en extérieur, une nouvelle décision faite dans une cacophonie de l’exécutif. Et comme si cela n’était pas assez, cette réflexion prospective qui souhaite, selon ses propres mots, « provoquer » a réussi son coup et peut être satisfaite.
Il me semble toutefois que ce rapport est bien plus grave et inquiétant qu’une simple provocation : il vise insidieusement à ancrer dans les esprits la nécessité d’un toujours plus de surveillance de masse, quoi qu’il en coûte des droits humains, en agitant le chiffon rouge d’un pire à anticiper : une bien triste destinée technosolutioniste pour notre humanité et nos modèles démocratiques.
Nous sommes passés du principe de précaution à la tolérance zéro.
Nous voilà entrés dans le fantasme et la poursuite illusoire de la mort
zéro au mépris du simple droit de vivre. Une chose est certaine, la
mort zéro n’existe pas ! A contrario, la mort clinique des démocraties est en ligne de mire… L’enfer étant naturellement pavé de bonnes intentions. Dormez intranquille.
YC
Article Original publié le 22/06/2021 sur CONTREPOINTS
Photo crédit : Nan Palmero sur Flickr / Licence : Attribution 2.0 Generic CC BY 2.0)