Les Grands Moulins de Villancourt : hier, aujourd'hui, demain ...

Publié par Laurent Ageron, le 25 avril 2016   3.4k

Légende photo : le site des Moulins de Villancourt vu depuis les champs, emplacement aujourd'hui du centre aquatique Flottibulle (archive personnel d'Angel Jimenez. Non datée, après 1947)


Retrouvez tous les mois un épisode relatant la vie de ceux qui ont façonné ce site emblématique de l'agglomération grenobloise. Réalisation : service des archives municipales de la ville de Pont de Claix.


Chapitre 10 : Une première page se tourne


Le 25 juin 1986, quand René Ferradou, petit-fils du propriétaire du moulin de Villancourt, répond aux questions d'Anne Cayol Gérin. Il a soixante et onze ans ; son témoignage est très précieux car il est le seul qui rend compte de cette période où, dans les années vingt, il venait avec ses frères passer ses jeudis au moulin (1) …


« Il y avait une prairie avec des agrès, je faisais de la balançoire et des anneaux (…). Alors on venait tous les trois, avec mes frères, depuis Grenoble, à vélo, on avait le goûter dans les sacoches (…) ; Et puis on allait voir la farine (…), y’avait des blés durs, y’avait des semoules, y’avait toute sorte de choses et après écrasement on voyait cette farine qui descendait par des petits couloirs vitrés ; on pouvait lever le tiroir et faire des prélèvements de farine pour voir si elle était bien moulue (…). Puis on était couverts de farine, c’était, merveilleux ! Je regardais volontiers charger et décharger les sacs de blé́ qui arrivaient de la gare (…), il y avait des charrois de chevaux, avec deux chevaux, des sacs de blé́. Et tout ça était pointé à l’entrée, par un comptable, ça partait sur des diables, dans les silos. Et puis la même chose pour la sortie de la farine. C’était passionnant à voir ! »


Grâce à son témoignage, il est possible de dater le remplacement des chevaux par les camions, tout comme l'électrification du moulin et l'abandon de la roue à aube :


« Mon grand-père avait plusieurs camions Berliet, à bandage plein et avec transmission par chaîne du pont arrière, ça faisait un boucan d’enfer (…) Je connaissais tous les ouvriers : ils se mettaient un sac, comme un bonnet, ça leur pendait dans le dos, comme les charbonniers, et ils transportaient ces sacs qui faisaient bien 80 ou 100 kilos. Sur les épaules, là, en travers. Puis d’un coup d’épaule, ils les balançaient. C’était quelque chose ! C’était pas mal outillé à l’époque, pour un moulin ; y’avait des tapis roulants (…) mais les sacs de blé́ étaient transportés sur des diables (…) ces sacs de grains partaient dans un coin, dans le silo, il y avait un silo par catégorie de grains. Alors je me souviens tout le monde avait une terreur folle des rats ; on nous lançait sans arrêt : « attention ! Mangez pas les graines ! », « Il y a des grains empoisonnés » ! (…) Parce qu’il y avait énormément de rats, des rats des champs qui venaient là. Puis alors, ce qui me passionnait, c‘était la roue à aube (…) Il y avait une énorme roue à aube entrainée par ce ruisseau qui longeait le cours Jean Jaurès, jusqu’à Pont de Claix. Quand on prenait le tramway par exemple, on longeait ce ruisseau (…). Cette roue à aube était énorme, elle faisait 3 mètres de haut sur 2 m 50 de large, elle entraînait les vieilles machines, avant qu’il y ait l’électricité́. »


Précieux le témoignage de Monsieur Ferradou l'est aussi pour ce qu'il révèle de la vie dans le moulin, le travail difficile pour les ouvriers, mais l'ambiance familiale qui règne :


« Et puis il y avait une petite passerelle avec un parapet pour éviter de tomber dedans parce que c’était quand même dangereux ; alors on nous tenait par la main, pour nous faire visiter ça, mon grand-père avait dit : « Attention ! Surveillez-les ! ». Et alors, j’ai un souvenir très précis de la passerelle là, qui faisait beaucoup de bruit. On n’était pas très haut, et on courait dessus parce qu’on trouvait ça formidable. Les camions étaient garés là-bas au fond (…). J’ai assisté à un incendie par un camion dans le garage là-bas (…). Ils étaient préhistoriques ces camions, il suffisait que des gouttes d’essence tombent sur un tuyau d’échappement un peu brûlant... On avait téléphoné à mon père et il s’était précipité sur le téléphone, pour appeler les pompiers. Et à l’époque, les pompiers étaient avenue Félix Viallet et ils avaient de vieux camions, ils mettaient bien une demi-heure, trois quarts d’heure pour venir. Enfin, ils avaient éteint l’incendie ! ».

Claude Ferradou crée dans les années 1970 le centre de généalogie du Dauphiné, il est membre de l'académie delphinale et a publié dans la revue des Amis de la vallée de la Gresse (2) une chronique intitulée « Histoire de ville, histoires de vies : un siècle à Pont de Claix, 1830-1930 » : on y apprend que l'un des principaux contribuables – qui fait commerce de boucherie - de la ville de Pont de Claix est, à l'orée du XXème siècle, l'aïeul de René Ferradou, Jean Larat : sa fille étant devenue veuve à 28 ans, elle a épousé en seconde noces Albert Ferradou, né également vingt-huit ans plus tôt, à Bourg-de-Péage, dans la Drôme, et employé comme comptable au moulin Gatel de Pont de Claix. Si ce dernier s'associe très vite à un ancien marchand de grains aux halles de Grenoble pour fonder la banque Ferradou-Lambertin & Rafin (qui devient à partir de 1901 la banque Ferradou & Cie ), il crée dès 1910 la société des moulins de Villancourt avec cinq autres associés, à laquelle son fils Denis prendra très vite part , « jusqu'à , écrit Claude Ferradou, sa cession à la société des biscuits Brun en 1928 » ; et d'ajouter : « cette société étant déjà depuis plusieurs années en relations étroites avec la minoterie et la banque. Les moulins de Villancourt deviendront d'ailleurs assez vite une affaire de famille puisque Théodore Bonnot, époux de Jeanne Valette petite fille de Jean Larat y exercera également plusieurs années les fonctions de directeur. » Est-il le directeur qui en 1927 assiste à la construction des trois petites maisons, sur le terrain occupé actuellement par le centre aquatique, destinées à accueillir chacune deux familles d'ouvriers ? On ne le sait pas mais on sait en revanche que dès 1928, Claire Mallard, épouse Darré puis Touche, dont Gaëtan Brun a fait son héritière, impose à la tête des moulins de Villancourt son frère Michel.


(1) Entretien réalisé par A. Cayol-Gérin dans le cadre de son étude patrimoniale « Moulins de Villancourt, 110 ans de mouture».
(2) Pour ne pas oublier, revue d'histoire des Amis de la vallée de la Gresse et des environs, semestriel, N° 67 juin 2011, pages 24 à 36.