Les gratte-terres, la ville de demain
Publié par Maëlys Rosa, le 21 décembre 2021 6.8k
Photo © AB ENGINEERING (source)
Dans un monde où les villes ne cessent de s’étendre, dévorant l’espace et bétonnant la terre, multipliant les atteintes à l’environnement et fragilisant la biodiversité, il semble nécessaire de trouver des solutions. Et si celles-ci se trouvaient sous nos pieds ?
Gaëlle Rocher – 24 septembre 2122
Dans ce contexte de réchauffement climatique, de pollution de l’air ou encore de surpopulation, la France a cherché, comme d'autres pays avant elle, à conquérir de nouveaux espaces. C’est pourquoi en 2050, le territoire a décidé de ne plus voir toujours plus haut, mais de voir en profondeur, en mettant en place un projet de « ville souterraine ». Grenoble fait ainsi partie des premières villes à s’être porté volontaire pour enfouir sa cité dans le sol [1].
L’exploitation et l’aménagement de ces terres, selon de nombreux experts, permettraient d’alléger considérablement les efforts nécessaires pour atteindre 7 des 17 objectifs fixés par l’ONU en matière de pollution urbaine, de développement durable et de faim dans le monde [2]. Cela éviterait notamment d’empiéter davantage sur les espaces naturels et permettrait ainsi de redonner une place à la nature libre, si ce n’est sauvage, pour ce qu’il en reste. En effet, l’extension permanente du tissu urbain avait des impacts directs sur l’environnement et le milieu naturel, entraînant la destruction d’habitats, la perte d’espèces, l’imperméabilisation des sols, le risque de crues et d’inondations. D’autre part, le caractère de plus en plus inhospitalier de l’environnement avec une température qui, d’après les rapports d’évaluation du GIEC, devait augmenter d’ici la fin du siècle de 2.7°C par rapport à l’ère préindustrielle, avait donc poussé à l’exploitation des milieux souterrains considérés comme des oasis de fraîcheur.
Aujourd’hui, grâce aux nombreux projets de cités souterraines qui ont vu le jour aux quatre coins du monde, la hausse des températures s’avère être moins importante que ce qui avait été estimé, avec une réduction accrue des émissions de GES et un rôle prépondérant de la nature (captation du CO2 par le monde végétal). En effet, l’architecture de ces villes souterraines constitue des espaces écologiques qui favorisent les économies d’énergie et le respect de l’environnement dans lequel il est construit [3].
Les exemples de villes souterraines sont nombreux. Montréal, avec la création de la « ville intérieure », était probablement la ville la plus en avance sur l’utilisation des espaces souterrains. Un grand complexe créé dans les années 1960, avec plus de 33km de corridors, relie des dizaines de bâtiments qui sont à l’abri des intempéries de l’hiver québécois [4]. D'autres villes, comme Singapour, ont mis en place un projet «Science des villes souterraines », qui a mobilisé 300 000 mètres carrés en dessous de la terre sur 30 à 80 m de profondeur, afin d’y loger 4 200 personnes [5].
La reconstruction de Grenoble sous terre relevait du défi ; challenge que j’ai souhaité relever en devenant architecte il y a quelques années. Je voulais créer un style de gratte-terre à la fois innovant, lumineux (malgré son emplacement), ainsi qu’écologique. Je me suis ainsi inspirée du projet « Earthscraper », un vaste édifice enfoui dans le centre historique de Mexico, qui a été conçu par le cabinet d’architecture BNKR Arquitectura. Il représente une pyramide inversée de 65 étages [6]. J’ai ainsi conçu un modèle similaire avec des murs en pente et un immense plancher de verre permettant à chaque habitation de recevoir la lumière naturelle [7]. J’ai dû en premier lieu planifier et sélectionner le terrain afin de construire cet édifice. Il a ainsi fallu prendre en compte le type de sols, la topographie, le climat, le taux de précipitations et le niveau de la nappe phréatique. J’ai également dû me préoccuper de la gestion de l’eau nécessitant de mettre en place des techniques de drainage et d’utiliser des matériaux résistants à l’eau et assez solides pour supporter la pression souterraine. Il y a de nombreux avantages à construire des habitations sous terre car cet environnement constitue un isolant thermique naturel qui permet à la température de se maintenir à des niveaux constants. Les parois restituent pendant l’hiver la chaleur accumulée en été, et l’habitat reste au frais durant la saison chaude. Cela permet ainsi de faire des économies de chauffage et/ou de climatisation, qui rejettent du CO2 ainsi que des polluants, pouvant entraîner des pics de consommation d’électricité. Ces bâtiments ont également l’avantage de résister, grâce à leur ancrage dans le sol, aux nombreux sinistres tels que les tremblements de terre et les incendies qui ont tout de même augmenté avec le réchauffement climatique. L’un des principaux inconvénients reste l’humidité, mais grâce à des systèmes de gestion et de récupération de l’eau, les habitations souterraines atteignent une quasi-autosuffisance [8].
J’ai également intégré à la maquette de mon gratte-terre un étage entièrement dédié à la culture de plantes. En effet, les souterrains sont facilement utilisables pour l’agriculture. Afin d'éviter de perdre des terres arables en surface, des cultures sont ainsi produites sous le sol afin de continuer à nourrir une population croissante. L’objectif est d'augmenter l'offre de produits alimentaires sans avoir à cultiver à la surface et à empiéter sur les espaces naturels, tout en favorisant l’autonomie alimentaire. Une grande quantité de plantes sont ainsi cultivées dans la ville souterraine, notamment le soja et le lupin, grâce à l’identification de la fréquence optimale sur le spectre de la lumière qui permet la réalisation de la photosynthèse et ainsi la croissance des végétaux sous terre. Nous avons utilisé un système de transmission de la lumière naturelle grâce à des câbles de fibre optique qui sont reliés à des paraboles pivotantes. Ces dernières captent les rayons du soleil et la lumière du jour est ainsi acheminée dans des villes souterraines [2].
L’humain a également besoin de se sentir connecté à la nature pour vivre. Elle lui permet de se ressourcer, de décompresser et de respirer. C’est pourquoi la végétalisation de la ville et des parcs souterrains a été aménagée afin d’assurer la bonne qualité de l’air et la bonne santé de ses habitants. C’est ainsi que nous, architectes, nous nous démenons pour parvenir à trouver diverses solutions pour combattre la crainte naturelle de l’homme de l’enfermement, en utilisant des illusions d’optique d’espaces ouverts et lumineux. Des lumières vives imitant les propriétés de la lumière du jour permettent effectivement de vivre dans les souterrains pendant de longues périodes. Je propose également avec mes confrères diverses activités comme des ateliers de méditation qui ont lieu dans les parcs ou encore de la sylvicothérapie afin de nous assurer que nos chers locataires se sentiront bien dans ce nouveau gratte-terre. Il est cependant impossible pour l’humain de vivre éternellement sous terre, le manque de soleil provoquant divers problèmes de santé, comme les troubles du sommeil et de la fonction hormonale [5]. Les habitants de Grenoble ont donc la possibilité de sortir à l’extérieur. Cela dit, le temps de sortie reste réglementé et limité afin de réduire les risques de détérioration de la nature.
L’agglomération grenobloise étant dorénavant sous terre, il a été possible de revaloriser sa surface. Dans un premier temps, l’éclairage urbain ainsi que les routes ont été totalement retirés afin qu’ils n’aient plus aucun impact sur la faune sauvage et ne constituent plus une barrière à son déplacement. Le décroissement des activités humaines à l’extérieur a occasionné également le développement des espèces floristiques. Les plantes aquatiques et les microorganismes permettent aussi de limiter la contamination des eaux superficielles et souterraines de la ville. Seuls quelques professionnels, tels que les scientifiques et les gestionnaires de l’environnement, ont accès sans limite à la surface afin de continuer à étudier la biodiversité et d’en réapprendre son fonctionnement avec une présence quasi nulle de l’homme.
Construire des espaces souterrains afin de gagner de l’espace est indéniablement une excellente idée pour préserver la nature en surface. J’espère que mon projet vous plait et que vous êtes prêt à emménager sous mon beau plafond de verre. En espérant vous voir nombreux à notre atelier de méditation, au cœur de nos belles pelouses fleuries !
Bibliographie
[1] « L’Earthscraper verra-t-il le jour ? ». AB ENGINEERING
https://www.ab-engineering.fr/learthscraper-verra-t-il-jour
[2] « L’avenir de l’humanité est-il sous terre ? Des chercheurs ont un plan ». Futura planète. (10 mai 2019).
[3] Bioalaune. « Gratte-terre, demain nous vivrons tous sous terre ». Bio à la Une. (20 juin 2013).
https://www.bioalaune.com/fr/actualite-bio/7459/gratte-terre-demain-nous-vivrons-tous-sous-terre
[4] « Les sous-sols urbains, plus qu’un gain de place, une intelligence pour la ville de demain ». Demain la ville. (05 février 2018).
https://www.demainlaville.com/sols-urbains-intelligence-ville-demain/
[5] Smaili A. « En 2050, vous vivrez sûrement sous terre à cause du manque de place ». Daily geek show (28 avril 2015).
https://dailygeekshow.com/vivre-sous-terre/
[6] Van Ossel D. « La ville du futur sera-t-elle souterraine ? ». rtbf. (19 novembre 2019).
https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-ville-du-futur-sera-t-elle-souterraine?id=10369189
[7] « Villes de Demain : « Earthscraper » ou le gratte-terre de Maxico ». Smartaddict.
http://www.smartaddict.fr/villes-de-demain-earthscraper-ou-le-gratte-terre-de-mexico/
[8] ROBLIN S. « Les maisons enterrées : habitat du futur ? ». Construction 21 France. (02 mars 2017).
https://www.construction21.org/france/articles/h/les-maisons-enterrees-habitat-du-futur.html