« Polygraphe », le nouvel outil pour surveiller les avis en ligne !

Publié par Yannick Chatelain, le 11 janvier 2023   960

Tremblez « fake reviewers » ! « Polygraphe », le nouvel outil de la DGCCRF pour surveiller les avis en ligne entre en action  !

Article Original, publié le 10 Janvier 2022 à lire sur Contrepoints.

Par  Yannick Chatelain Professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM)

Interdits en France, les faux avis en ligne demeurent légion et ce quelle que soit la taille de l’entreprise.

Ces avis touchent également les professions libérales : médecins, dentistes, etc. Dès lors que des avis peuvent être déposés sur votre activité, vous êtes concernés ! Qu’ils soient positifs – pour vanter artificiellement les mérites d’un produit ou d’un service – ou négatifs pour dénigrer les services des concurrents, les usagers que nous sommes auront pu constater que la bataille est toujours vive notamment pour l’hôtellerie, la restauration, le tourisme… trompant le consommateur et faussant la concurrence.

Les enjeux demeurent de taille

Selon une étude IFOP réalisée en 2021 pour le compte de Guest Suite les avis clients influenceraient 75% des consommateurs dans leur choix de marque ou de produit. Notons à ce titre qu’en 2023 les faux avis, ou « vrai faux avis, demeurent ipso facto un véritable business. Reputationstacker a par exemple « pignon sur le net » et assure une prestation – moyennant finance – permettant d’« obtenir plus d’avis en ligne et transformer vos clients en fans enthousiastes sur n’importe quel site d’avis en ligne ».

Le marché étant porteur les méthodes sont diverses et plus ou moins élaborées pour ne pas dire alambiquées et sophistiquées.

Le mardi 22 février 2022 aux États-Unis, Amazon a ainsi porté plainte contre deux sociétés spécialisées dans la publication d’avis sur des produits, les sociétés AppSally et Rebatest. le géant de la vente en ligne les accuse « de mettre en relation des vendeurs et des internautes prêts à laisser des avis positifs en échange de produits ou de bons-cadeaux. »

En France, comme je le rappelais en introduction et pour ce qui concerne les professionnels donner un avis frauduleux est constitutif d’un délit. Nous y reviendrons. Si d’un côté le marché des faux avis prospère, l’usager et les professionnels ne sont pas pour autant démunis car de nombreux outils existent pour se faire une idée sur la crédibilité des avis sur un site… : des outils gratuits Fake Spot, The Review Index (produits Amazon) ; des solutions payantes permettant aux professionnels de « faire le ménage » comme Fake Review Detector, The Transparancy Company

Que font les entreprises ?

La qualité des avis est un enjeu important pour ne pas dire vital pour les entités ou individus concernés.

Comme le disait fort justement l’artiste et écrivain Thomas Paine (1737 – 1809) :

    « Il est plus facile de garder intacte sa réputation que de la blanchir quand elle est ternie. »

Les ténors du Net en sont conscients et ne lésinent pas sur les moyens : des firmes comme Amazon ont fait de la lutte contre les faux avis un élément de leur stratégie ! En développant ReviewMeta l’objectif de la société est naturellement de garantir au vendeur comme aux usagers un service d’avis de qualité… TripAdvisor assure de son côté être en mesure de repérer les avis rémunérés. L’entreprise a publié en 2019 un premier rapport sur la transparence des avis… suivi d’un second en 2021 relayé par The Guardian. L’entreprise s’y félicite d’avoir pu détecter 67,1 % des faux avis en amont de ses publications, d’avoir pénalisé 34 605 établissements pour activités frauduleuses et banni 20 299 membres !

Si la plateforme est si active dans sa lutte c’est qu’elle a souvent été remise en cause sur le sujet et c’est peu dire ! L’histoire du Net et des fakes reviews n’oubliera pas « le cas d’école Tripadvisor » ! En 2017 la e-réputation de la plateforme avait été sérieusement entachée : un journaliste anglais, Oobah Butler, avait créé le restaurant fantôme The Shed of Dulwich et avait réussi à le faire devenir numéro un des établissements de Londres sur la plateforme #NoComment.

De son côté, Google opte pour la pédagogie et invite les usagers à vérifier certains points pour identifier les fake google reviews :

  • Faites attention aux détails.
  • Regardez la complexité des mots.
  • Vérifiez les points d’exclamation répétés.
  • Examinez le nom et l’avatar de l’évaluateur.
  • Signalez les avis sans commentaires.
  • Vérifiez si l’auteur de l’avis a évalué d’autres établissements.
  • Regardez à quelle fréquence l’examinateur laisse des avis.

Vous aurez compris qu’ils s’agit d’une démarche personnelle qui demande par ailleurs un certain savoir-faire et une capacité d’analyse qui peut se révéler assez subjective.. Combien s’y attèleront ?

Que dit la loi ?

L’article du Code de la consommation Article L111-7-2 en vigueur depuis 2016 définit les obligations relatives aux avis. La DGCCRF indique que « dans le souci de protéger davantage les consommateurs contre certaines pratiques commerciales relatives aux avis de consommateurs, le Code de la consommation interdit, depuis le 28 mai 2022, deux nouvelles pratiques commerciales : affirmer qu’un avis a été déposé par un consommateur qui a acheté ou utilisé le produit qui fait l’objet de l’avis sans que le professionnel n’ait pris de mesures pour le vérifier ; diffuser ou faire diffuser de faux avis ou de fausses recommandations sociales ou modifier des avis de consommateurs pour promouvoir des produits. »

Polygraphe : une solution miracle ?

Le 15 décembre, la CNIL a examiné un arrêté de Bercy pour confirmer la mise en place de l’outil « Polygraphe » qui va de fait bientôt entrer en action. Le nom de « Polygraphe » n’a pas été choisi par hasard : pour rappel, le polygraphe est surtout utilisé comme moyen d’enquête dans certains pays, notamment pour éliminer des suspects. Selon des études scientifiques, le test polygraphique est exact dans plus de 90 % des cas.

En se dotant de cet outil, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) se donne pour objectif premier de cibler les professionnels donnant des avis frauduleux.

Le défi tel que défini par l’équipe composée du data scientist Gabriel Bastard et du développeur Luc Salommez se décompose en trois axes principaux :

  1. La récupération des données pertinentes sur des plateformes web proposant des avis de consommateurs : texte du commentaire, informations sur l’entreprise ou produit faisant l’objet de l’avis, note attribuée, informations sur l’utilisateur ayant posté l’avis, etc.
  2. L’analyse des données extraites pour identifier les commentaires suspects à l’aide de différents indicateurs de suspicion définis avec les enquêteurs expérimentés sur ce sujet.
  3. La visualisation des résultats sous forme d’une interface à destination des enquêteurs.

Aussi, et par-delà l’examen de la CNIL qui a jugé l’outil conforme à notre législation, sans plus de détails que celles énoncées sur l’ensemble des données qui seront récupérées – dont naturellement des données personnelles – et qui seront mises à disposition des services, il serait donc fort probable que dans les mois à venir le Conseil constitutionnel reviennent sur les « informations sur l’utilisateur ayant posté l’avis, etc. » et en limite un certain nombre de fonctionnalités.

"La corde du mensonge est courte. " proverbe arabe

À suivre…

Photo credit: inky on VisualHunt