Sandrine Mathy : l'économie à +2°C
Publié par GREC Alpes Auvergne, le 12 juin 2025 160
Sandrine Mathy est directrice de recherche au CNRS au laboratoire d’Economie Appliquée de Grenoble (GAEL) en économie de l’environnement, de l’énergie et de la santé. Impliquée depuis le début de sa carrière dans la médiation, elle revient sur la place importante que cet exercice occupe dans son travail et partage ses réflexions sur le rôle des scientifiques face aux enjeux sociétaux.
Comment votre domaine de recherche est-il lié au climat ?
Mon travail en économie de l’environnement consiste à évaluer les politiques publiques dans ce domaine, comme la taxe carbone, et les enjeux de leur mise en place. J’étudie notamment les politiques d’atténuation, c’est-à-dire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au début de ma carrière, il y a une vingtaine d’années, l’atténuation était privilégiée en pensant qu’elle diminuerait le besoin d’adaptation des territoires. Mais au fil du temps, la question de l’adaptation s’est de plus en plus posée et cet aspect m’intéresse désormais aussi et plus précisément les enjeux d'interaction entre les deux, voire même de maladaptation, comme la climatisation qui augmente les émissions de gaz à effet de serre par exemple. Une autre dimension extrêmement présente dans mes recherches est la question des synergies entre réduction des émissions de gaz à effet de serre et autres bénéfices notamment sanitaires à travers la réduction de la pollution ou encore le déploiement de la mobilité active.
Comment en êtes-vous arrivée à étudier ce sujet ?
Je ne me destinais pas à la recherche. J’ai trouvé cette voie après avoir fait une prépa et une école d’ingénieur (ENSTA) où les perspectives ne m’emballaient pas, mais les cours d’économie de l’environnement me passionnaient. J’ai eu l’occasion de partir en Inde et ça a été le déclic. J’ai pris conscience des enjeux de pollution et de santé publique qui contraignent le développement du pays. Je me suis dit qu’élucider comment articuler le développement économique et humain avec le respect de l’environnement était ce que je voulais faire de ma vie. J’ai donc poursuivi avec une thèse sur l’intégration des pays en développement dans les politiques climatiques (ndlr : soutenue en 2004), ce qui m’a permis de mettre le pied dans la recherche. Aujourd’hui je continue sur ce chemin, toujours animée par ces questions d’équité et de justice sociale.

Intervention de Sandrine Mathy lors de la 4e édition de l'école d'été "Autour du 2°C" en juin 2023 @La Fabrique Média
Cette sensibilité à votre domaine de recherche influence-t-elle votre vie personnelle et votre engagement dans la médiation ?
Non seulement ma vie professionnelle influence ma vie personnelle mais l’inverse est aussi vrai. C’est l’œuf ou la poule, je ne saurais pas dire laquelle agit en premier mais il y a une émulation certaine entre les deux. En ce moment je partage beaucoup avec ma sphère privée mes travaux actuels sur les questions de mobilité et leurs bénéfices sanitaires et environnementaux avec le projet MobilAir. J’essaie de diffuser ces connaissances afin que les personnes de mon entourage s’en imprègnent. C’est très important pour moi. C’est aussi un moteur dans mon travail de pouvoir mener des recherches à finalité sociétale. Et la médiation fait partie de nos missions en tant que scientifique : la recherche publique est notamment financée par les impôts de nos concitoyens et les résultats doivent donc leur parvenir en retour. J’ai également été engagée au niveau associatif en tant que présidente de Réseau Action Climat pendant 6 ans, une association de lutte contre le changement climatique à vocation de plaidoyer auprès des acteurs publics.
Quelles actions de médiation menez-vous ?
Je fais beaucoup d’interventions auprès du grand public et des articles de vulgarisation, liés à mes sujets de recherche où à l’occasion de la sortie des rapports du GIEC. Je participe à des comités scientifiques comme celui du GREC-AA ou de Capitale verte 2022 (Grenoble, Capitale verte et transition) de l’agglomération grenobloise. J’organise également une école d’été “Autour du +2°C” depuis 2017 sur les enjeux de l’interdisciplinarité de la recherche sur le changement climatique. C’est une occasion d’échanger sur les enjeux science-société et le positionnement du chercheur. Cette question occupe beaucoup de jeunes scientifiques qui participent à cet évènement. S’ils travaillent sur les problématiques climatiques et écologiques c’est aussi parce qu’ils y sont sensibles, et même inquiets. Je constate une éco-anxiété croissante chez la nouvelle génération de chercheurs et chercheuses, qui à la fois les anime mais aussi les paralyse. Une jeune doctorante qui faisait sa thèse en partie aux États-Unis se questionnait énormément sur le fait de prendre l’avion pour s’y rendre par exemple. Les jeunes scientifiques, davantage confrontés à l’urgence climatique, s’interrogent sans doute encore plus sur la finalité de leurs recherches et leur positionnement en tant que chercheur dans la société.
Comment conciliez-vous votre travail de recherche avec vos convictions personnelles face à l’urgence climatique ?
Notre rôle en tant que scientifique est d’éclairer la décision publique. Avec des recherches portant sur des applications concrètes, mon envie d’être entendue et comprise des décideurs publics est certaine. Et lorsqu’il y a des reculs, je suis découragée et je peux avoir l’impression de ne servir à rien. Je suis même choquée de certaines situations comme l’emploi du mot « éco-terroristes » pour désigner les défenseurs de l’environnement ou la « criminalisation » de leurs actions. C’est pour cela que je suis allée témoigner au procès d’un jeune activiste de Dernière Rénovation accusé de trouble à l’ordre public après une action de sensibilisation sur le périphérique de Lyon. C’était important pour moi d’apporter mon expertise pour témoigner de l’urgence climatique et du manque d’ambition des politiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. A mes yeux, ce n’est pas du militantisme que d’œuvrer à préserver le climat mais notre responsabilité en tant que citoyen. C’est agir pour le bien-être collectif. Ça devrait être la norme.
Vous pouvez retrouver les travaux et projets de Sandrine Mathy sur le site du laboratoire GAEL.
Louise Chevallier