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Quelle protection juridique pour les lanceurs d’alertes ?

Publié par Arthur Larpent, le 22 octobre 2018   2.1k

Le 15 octobre, la Maison des Sciences de l’Homme de Grenoble a accueilli Olivier Leclerc, directeur de recherche au CNRS de Lyon, pour une intervention axée sur le statut juridique des lanceurs d’alertes. Retour sur ce séminaire proposé par la communauté Humagora.

Un statut particulier

Depuis quelques années, de nombreux acteurs du monde scientifique et technique se sont fait remarquer par une activité “dénonciatrice”, une volonté de tirer la sonnette d’alarme sur leur domaine d’expertise. Parmi les plus connus, on peut citer Irène Frachon, qui s’est illustrée dans l’affaire du Mediator, ou encore Edward snowden, dénonciateur des activités troubles de la NSA outre atlantique. Deux exemples qui illustrent bien la diversité de profils de ce qu’on appelle couramment les lanceurs d’alerte. Mais si leurs profils sont effectivement très varié, le soutien médiatique dont ils bénéficient l’est également, et leur situation professionnelle subit souvent le contrecoup de leur prise de parole.

Car le lanceur d’alerte prend la parole sans y avoir été sollicité, contrairement à un expert qui répond à une commande. De fait, les rapports entre les lanceurs d’alerte et les organismes dont ils dénoncent l’activité relèvent bien souvent d’une relation salariale entre employé et employeur. Autrement dit, le lanceur d'alerte est sous contrat et s’expose à des rétorsions s’il venait à diffuser des informations ternissant la réputation de son employeur. C’est pourquoi il lui est possible de bénéficier d’un statut juridique qui vient se superposer à son statut initial pour empêcher les rétorsions ou en être indemnisé.

Comment obtenir cette protection ?

La législation actuelle est basée sur un texte de 2016 : la loi Sapin 2. Ce n’est pas le premier dispositif de protection des lanceurs d’alerte, mais c’est le dernier en date, et surtout le seul à utiliser le terme “lanceur d’alerte”. Néanmoins, pour bénéficier de la protection, il faut bien sûr répondre à plusieurs critères. Ainsi, ne sont concernés que des personnes physiques signalant une menace ou un préjudice pour l’intérêt général de façon “désintéressée et de bonne foi”. On notera donc l’impossibilité d’avoir recours à l’anonymat en oeuvrant à travers une association, puisque le dispositif concerne uniquement les personnes physiques. 

D’autre part, la procédure à suivre est inaliénable : il faut d’abord s'adresser au supérieur hiérarchique, puis aux autorités judiciaires, et c’est seulement ensuite que le signalement peut être rendu public. De fait, si la procédure n’est pas respectée, la protection n’est pas accordée. Un cheminement qui peut s’avérer compliqué si un de ses acteurs est impliqué dans les faits à mettre en lumière. Enfin, la demande nécessite notamment un investissement financier personnel du demandeur, sans possibilité de soutien externe. Autant de freins qui limitent l’accès à ce dispositif... 

En conclusion, la protection juridique des lanceurs d’alerte a certe le mérite d’exister, mais elle peut encore être améliorée. Elle soulève en vérité un problème plus vaste :  celui de la démarcation entre discrimination et liberté d’expression.