Recherches et polémiques : rencontre avec le journaliste scientifique Martin Clavey

Publié par Pierre Gachod, le 16 janvier 2022   1.9k

Le 14 octobre 2021, Martin Clavey, journaliste scientifique indépendant a partagé son histoire avec notre promotion d'étudiants en communication scientifique. Rencontre.

Un parcours sinueux

En arrivant jusqu’à nous, Martin Clavey transporte avec lui un passé complexe. Initialement voué à travailler dans l’informatique, il fait un master en BioInformatique, à Rennes. Déjà à l'époque, il ne se voit pas dans la recherche. Une année en master de médiation scientifique à Bordeaux marque définitivement son changement d’ambition.

Hélas, cette année ne l’a pas aussi bien formé qu’il l’aurait voulu. Il compare ce master avec celui en journalisme scientifique de l'ESJ Lille qui, selon lui, l’aurait mieux exercé à la pratique, et aurait été plus formateur. En 2010, après un an à Bordeaux, Martin Clavey est le seul parmi ses camarades à vouloir faire du journalisme.

En France, tout le monde peut légalement exercer le métier de journaliste. Il n’y a, en théorie, aucune formation obligatoire à suivre. Ce constat repose sur le principe de la liberté de la presse. En pratique cependant, Martin Clavey confie que:

C’est plus simple de rentrer dans le journalisme après une école de journalisme. C’est un métier qui marche beaucoup par réseau. On peut se former par soi-même, mais un syndrome de l’imposteur peut arriver. Même si personnellement, le métier de passer l’information scientifique, m’importe plus que le titre.

Après son master, Martin connaît ses premières difficultés pour proposer son contenu. Il se tourne finalement vers la plateforme Hypotheses.org où il va travailler quelques années. Hypotheses est un site qui regroupe plus de trois mille “blogs” de chercheurs et chercheuses en Sciences Humaines et Sociales (SHS). Il s’occupait de créer du contenu, de valider le projet éditorial. Il ajoute que :

On a parlé de carnets de recherches plutôt que de blogs, ce qui permettait de “feinter” pour que les gens acceptent le format, et pour que les institutions puissent plus facilement financer ces projets. “Blog” était un peu dévalorisant, d’où l’importance de savoir adapter son discours.

Un réseau européen s’est créé autour d’Hypotheses. Permettre la réunion des SHS, des lettres, de la philosophie et de bien d’autres domaines a beaucoup plu à Martin Clavey. Il y a vu une ouverture à énormément de voies qui apportent des connaissances intéressantes à approfondir. Il y a travaillé jusqu’en 2015.


Le pigiste de presse scientifique : une profession très caractérisée

Cette année-là, EducPros lui propose de travailler pour leur site en tant que pigiste, et c’est ce métier qu’il pratique depuis. Il nous livre en détail tout ce qu'implique d'être un pigiste : les spécificités du métier, les difficultés rencontrées, et bien plus encore.

Un pigiste n’est pas embauché de façon permanente dans une revue. Il intervient ponctuellement. En tant que tel, Martin Clavey peut se retrouver à écrire régulièrement pour un même journal, voire avoir un accord avec un média particulier. Cependant il travaille, en soi, pour différentes maisons d'édition. Futura Science et Médiapart sont parmi ses employeurs récurrents. Ceux qui trouveraient ses domaines d'expertise intéressants, peuvent le contacter pour lui commander un article. Ils peuvent même proposer un thème et lui laisser le choix des sujets. Mais la plupart du temps, en particulier lorsque sa notoriété se construit, un pigiste doit faire le premier pas. Il doit proposer son travail à des médias, et les tarifs varient selon ces derniers.

Un pigiste peut être payé au nombre de signes (nombre de caractères et d'espaces), ou au feuillet. Le feuillet est un standard de page d’article, et correspond à mille cinq cents signes. Le média va payer son pigiste pour un certain nombre de feuillets. Le salaire n’est, du coup, pas stable. Martin Clavey précise même que :

Soit on est journaliste, et on a un salaire mensuel de base, soit on est pigiste, et on travaille à la mission. Mais on a quand même une fiche de paie à la fin du mois, par le média qui nous a embauché. Histoire de cotiser pour la retraite, etc.

Selon Martin Clavey, il faut compter environ soixante-dix euros par feuillet dans un média généraliste. Pour un média spécialisé, la somme serait plutôt autour de quatre-vingt-dix euros. Le pigiste peut aussi être payé à l’article. Dans tous les cas, une des particularité du journaliste pigiste est qu’il doit:

Gérer son budget, savoir faire un travail “gratuit”, de recherche documentaire, mais en demander la rémunération après… Il ne va pas écrire de la même façon selon le média donc on ne peut pas écrire l’article en avance et chercher le média après.

Les sujets politiques autour de la recherche, la robotique et l’informatique sont les domaines de prédilections de Martin Clavey. Des sujets vastes, qui comptent de nombreux angles pour les aborder. Un de ses derniers travaux est une enquête pour Médiapart sur la situation actuelle des filières informatiques à l'université. Pour arriver à un article fini, Martin Clavey se prononce sur ses étapes de production:

Mon temps de travail ? Pour une enquête et sa rédaction, c’est 1 ou 2 semaines cumulées environ. Mais c’est très étalé dans le temps : entre la commande de l’enquête, la réalisation, la rédaction, la publication au bon moment, la veille pour savoir si l’article ne devient pas obsolète, etc.


Comprendre la recherche pour mieux en parler

Pour trouver des sujets d’articles autour des sciences, Martin Clavey explique qu’il faut comprendre le fonctionnement de la recherche. La création d’un réseau comprenant des acteurs et actrices académiques aide le journaliste à mieux s’y retrouver. L’utilisation de réseaux sociaux comme Twitter permet également d’avoir des interactions rapides et directes avec des experts.

Une autre spécificité du pigiste est qu’il peut demander à recevoir un article scientifique quelques jours avant sa publication. Ce fonctionnement, que l'on nomme "l'embargo", permet aux journalistes de travailler avec un peu d'avance, même si l’article final ne peut être publié qu'à partir d'une date donnée par la source. C’est à ce moment-là de la rencontre avec les étudiants, que Martin Clavey décide d’aborder le sujet des publications scientifiques.

Un des aspects discuté, est celui des pré-publications. Il s’agit de publier un article scientifique avant qu’il ne soit relu par les pairs. Cela permet de mettre en libre accès des articles qui seront, après un certain temps, dans des revues payantes. Cette pratique est beaucoup utilisée dans les domaines de l’astronomie et de la médecine. Martin Clavey nuance :

On utilise les articles pré-publiés pour faire de l’Open documentary. Mais la prépublication est dangereuse parce que le grand public peut s’approprier des articles complètement farfelus…

À terme, les travaux des chercheurs et chercheuses ont pour objectif d’être publiés dans des magazines scientifiques plus ou moins prestigieux. On associe à chaque magazine un critère nommé “l’impact factor”. Selon le magazine, il est plus ou moins important. La revue Science, par exemple, en a un jugé élevé. Dans les deux ans qui suivent sa publication, plus un article de recherche est cité, plus l’impact factor du journal va augmenter. L’idée derrière ça est de déterminer quelles revues sont les plus prestigieuses. Martin Clavey critique ce facteur et dit :

Certaines publications vont être dans des journaux avec un facteur élevé, ce qui est terrible pour les bons articles publiés dans revues qui n’auront pas un bon impact factor…

Pour conclure sa rencontre avec les étudiants, Martin Clavey parle de l’impact des articles écrits par les journalistes. Aujourd’hui, la question de l’influence de leurs productions se pose. Avant, au format papier, il n’y avait pas de débat. Avec l’arrivée du numérique, un nouveau mode de paiement a vu le jour : la rémunération au clic.

Être payé au succès, ça a été fait aux États-Unis, mais ça a fait un peu scandale. En France, Il y a des lois, et les syndicats soutiennent le paiement au feuillet. Cela dit, ce n’est pas très intéressant parce que mettre des trucs qui vont faire que les gens cliquent plus, ça n’a pas d’intérêt pour l’article… Les rédacteurs scientifiques qui écrivent des blogs, comme Marc Gozlan, sont un peu payés comme ça. Même s’il y en a de moins en moins…


Article rédigé par Pierre Gachod, Nolane Langlois et Guillaume Froment dans le cadre du cours "Découvrir les métiers et les environnements professionnels" encadré par Marion Sabourdy, au sein du Master de Communication et Culture scientifiques et techniques de l'Université Grenoble Alpes.