Ségolène Marbach : des ambitions fortes pour Territoire de sciences

Publié par Lola Steve, le 25 juin 2025   1

Créé en 2021, Territoire de sciences regroupe deux équipements majeurs, la Casemate, lieu incontournable de la culture scientifique à Grenoble et premier CCSTI Français, mais également Cosmocité, le nouveau centre de sciences de la métropole créé en 2023. Nous avons rencontré sa nouvelle directrice, Ségolène Marbach, qui nous parle de son parcours et de ses ambitions pour Territoire de sciences.

Pour réécouter l'émission "Ségolène Marbach : des ambitions fortes pour Territoire de Sciences" diffusée le 18 mai 2025 sur RCF Isère, ça se passe juste ici !

RCF Isère : Vous êtes directrice de Territoire de sciences depuis janvier 2025, mais avant ça vous avez travaillé pendant 14 ans aux presses universitaires de Grenoble. Est-ce que vous pouvez revenir un peu sur votre parcours ? 

Ségolène Marbach : “Ma formation, c'est une formation d'édition, c'est pour ça que j'étais aux presses universitaires de Grenoble. Donc mon métier, c'était de faire des livres. Faire des livres, c'est aussi être un petit peu passeur de sciences, surtout quand on est dans l'édition universitaire. Donc j'ai passé toute ma carrière dans l'édition pour en venir à l'édition universitaire. Et à la suite logique de ça, je suis arrivée à Territoire de Sciences en changeant du coup de média, mais pas de mission.”

Pourquoi Territoire de sciences ?

“J'ai eu la chance de visiter Cosmocité il y a un an à peu près, et de me rendre compte, du fabuleux instrument que c'était pour la culture. J’ai trouvé qu’il y avait un côté totalement émerveillant dans l'expérience qu'on pouvait vivre à Cosmocité. À partir du moment où j'ai visité cet endroit, il était quelque part un petit peu dans ma tête, comme ça, comme une petite lumière où je me disais, ça doit vraiment être sympa de faire de l'édition ou de la médiation scientifique pour un public jeune. C'est très important de faire connaître la science dès l'enfance, dès l'adolescence, enfin, le plus tôt possible dans la vie. Donc quelque part, il y avait cette petite chose qui brillait à l'intérieur de ma tête. Et puis un jour, j'ai vu qu'il y avait une offre d'emploi et j'ai répondu en me disant, après tout, pourquoi pas ?”

Quel regard vous aviez sur la structure de Territoire de sciences avant d'arriver au poste ?

“Je la connaissais très mal, je ne connaissais même pas du tout le nom de Territoire de Sciences. Donc c'est super que vous ayez envie d'en parler pendant une émission, parce que pour les gens, ça n'existe pas vraiment, ce n'est pas une réalité. La réalité, c'est ces deux établissements que sont Cosmocité et la Casemate, qui est très connue des grenoblois depuis 1979, comme vous disiez, c'est le plus ancien CCSTI de France. Grenoble a inventé beaucoup de choses et en particulier les lieux de culture scientifique et technique. Donc pour les grenoblois, la Casemate existe, elle a une réalité. Depuis de nombreuses années, les jeunes peuvent aller voir des expositions, venir faire des choses au Fab Lab, fabriquer, réaliser des objets, réparer, etc. Et puis de l'autre côté, il y a Cosmocité, qui est sorti de terre il y a très peu de temps et qui a ouvert en 2023 seulement. Moi, j'avais cette idée que c'était un endroit qui faisait un peu briller les yeux, qui était tout nouveau, avec une salle immersive et un planétarium où on peut voir les étoiles à n'importe quel moment de la journée. De découvrir l'univers comme ça au milieu de la métropole grenobloise, c'était formidable ! Et puis la Casemate, alors je me rendais bien compte que c'était un endroit avec une histoire forte, mais on en entendait un petit peu moins parlé ces derniers temps, ce qui est normal en fait, puisque toute l'énergie de l'équipe de Territoires de Sciences était focalisé sur Cosmocité. Donc mon image, c'était l'image d'un endroit où finalement on pouvait faire plein de nouvelles choses.”

Territoires de Sciences, c'est un EPCC, un établissement public de coopération culturelle, est-ce que vous pouvez nous préciser un peu ce que ça signifie et qui sont les parties prenantes ? 

“Oui, c'est un gros mot un peu comme ça, un EPCC !  Je vais même vous dire pire, c'est un EPCC et en plus c'est un EPIC. Alors un EPCC, c'est un établissement public de coopération culturelle. Il y a coopération et il y a culture dedans, ce qui veut dire que des institutions se sont mises autour de la table pour créer quelque chose qui portait une mission pour elles. Ces institutions, ce sont la métropole de Grenoble premier chef, la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de l'Isère, mais également l'Université Grenoble Alpes et la région académique. Ces cinq établissements ont décidé de confier leur mission de culture scientifique et technique à Territoires de Sciences. Pour ça ils le financent en partie, il y a aussi une partie qui doit être des ressources que nous devons développer, trouver nous-mêmes, on ne prend pas que de l'argent public, on prend de l'argent public pour faire une mission. On fait également payer des entrées, on essaye d'avoir une forme de rentabilité pour être le plus vertueux possible dans la trajectoire budgétaire de l'établissement. Et quand je vous disais EPIC, ça veut dire établissement public d'intérêt commercial, ça veut dire qu'effectivement on a le droit de vendre des choses, en l'occurrence on vend des places pour voir des films de planétarium, pour visiter des expositions sur la Terre et l'Univers, pour s'abonner à un fab lab et venir créer des choses à la Casemate par exemple.”

On a déjà essayé d'évoquer les différents équipements et événements qui sont portés par Territoires de Sciences, est-ce qu'on en a oublié ?

“Oui ! On a oublié la Fête de la Science et toute la partie d'animation territoriale dont on est en charge aussi. On a deux très beaux lieux, mais on a aussi une équipe de 30 personnes qui doit se mettre au service. Parmi ces 30 personnes, il y a 11 médiateurs scientifiques, dont le métier est vraiment de partager la science pour le grand public. Et donc la mission de ces médiateurs, c'est aussi d'aller sur le territoire pour porter les missions de diffusion de la science ailleurs que dans nos murs. Le premier événement qui porte cette mission-là, c'est la fête de la science qui se déroule au mois d'octobre chaque année, avec une thématique nationale. Cette année, c'est “Intelligence” et ça se passe du 4 au 14 octobre.

À cette occasion-là, on est coordinateurs, ce qui veut dire que toutes les initiatives qui veulent naître autour de la fête de la science, où que ce soit dans le territoire du département, on les recense et on les rassemble sur une plateforme et on fait de la communication autour pour que tout le monde sache qu'est-ce qui se passe autour de chez soi autour des thématiques scientifiques et en particulier de l'intelligence. Donc ça, c'est la grande mission territoriale de Territoire de Sciences. Mais on a aussi tout un tas de petites actions plus spécifiques qu'on mène en partenariat avec des petites structures, par exemple les médiathèques. On a aussi un FabLab mobile, c'est-à-dire un camion qui s'appelle la Casemate nomade, qui peut sillonner le territoire avec des machines à commandes numériques qui sont les mêmes que celles que nous avons à Grenoble. Elles partent avec un camion, on s'installe quelque part, on accueille les gens, on leur apprend à utiliser ces machines et ils peuvent conduire leurs projets. On peut rester une semaine dans une médiathèque, on forme à ce moment-là les médiathécaires à l'utilisation des machines et eux peuvent à nouveau faire venir le public, les aider à créer leur projet. Donc on essaye par plein de petites actions, il y en a plein d'autres, je pourrais vous en dire d'autres ! Donc il y a plein de petites actions comme ça qui nous permettent de diffuser la science sur le territoire, en tout cas au moins pour l'instant dans le périmètre du département.”

Vous avez commencé à en parler, est-ce que vous pouvez nous repréciser les missions de Territoire de sciences ?

“Alors il s'agit de diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle. On parle de CSTI. Ça à beaucoup de sens, en particulier dans le territoire grenoblois, qui est un grand territoire industriel où historiquement les relations entre recherche, université et industrie ont toujours été fortes et ont créé un écosystème aussi économique avec des entreprises qui sont appuyées là-dessus. Donc nous notre mission c'est de faire connaître au grand public les développements de la science, c'est de faire réfléchir les gens sur ce qu'est-ce que la science, comment la science transforme notre société, quelles sont les grandes questions que la science pose à la société. Donc c'est pas que faire découvrir la science au sens où on fait une petite manip dans un laboratoire, ça fait pof et il y a une goutte qui sort. C'est pas que ça, c'est aussi former les esprits à comprendre ce que c'est que la démarche scientifique, ce que c'est que la démarche et ses erreurs, comment on reconnaît une science d'une pseudo-science, comment la science nous pose des questions sur la transformation du monde. Et parmi les axes forts qui traversent la mission de territoire de science aujourd'hui, il y a en particulier les questions qui concernent la transition environnementale, le développement durable et les questions climatiques. Il y a aussi les questions de l'éruption du numérique et en particulier de l'intelligence artificielle dans notre société.

C'est des questions scientifiques, c'est des questions qui nous touchent tous. Et puis il y a aussi la question de l'égalité homme-femme et comment on fait venir davantage de femmes dans les sciences. Donc toutes ces questions-là, elles traversent la plupart des actions que nous menons, que ce soit dans une exposition, que ce soit dans un film de planétarium.

On va toujours questionner ce qu'il y a derrière la science, l'usage de la science, l'usage de la technologie. Donc on n'est pas uniquement dans une espèce de découverte-émerveillement, mais aussi dans un questionnement nécessaire de la place de la science aujourd'hui, la place du progrès, de l'usage des technologies. Pour nous, il faut qu'elle soit au service de l'homme. En tout cas, dans ce qu'on veut mettre en avant à Territoire de sciences c'est qu'il y a cette vision que la science doit être au service de l'humanité et pas à l'inverse. Ce n'est pas la science à tout prix, c'est la science pour l'humain.”

Comment travaillez-vous avec les autres structures de la culture scientifique qui ne font pas partie du Territoire de Sciences ? 

“Alors ça, c'est quelque chose qui me motive énormément. C'est-à-dire que j'ai toujours aimé le travail en réseau, le travail mutualisé. Je viens des presses universitaires de Grenoble, on l'a dit tout à l'heure, c’est une coopérative. Et donc, quand on travaille pendant 15 ans dans une coopérative comme ça, on est marqué par des valeurs qui sont des valeurs de transmission, de partage, de collaboration et non pas de compétition. Donc, pour moi, il est hyper important que Territoire de Sciences travaille avec les autres structures, on fait donc des passerelles tout le temps. Dans la métropole, il y a, par exemple, le Muséum d'histoire naturelle, qui est le plus important. On fait des passerelles également avec tous les musées départementaux. Ce n'est pas forcément la culture scientifique, mais c'est aussi la culture. Et en fait, quand on fait des rapprochements entre culture et science, entre art et science, il se passe toujours de belles choses. Donc, on travaille énormément  là-dessus, en tout cas, depuis que je suis arrivée, je mets beaucoup l'accent sur la collaboration avec les institutions. On essaie de faire des choses autour de la colline de la Bastille, par exemple, avec le musée archéologique de Grenoble et avec le musée dauphinois. On a également des réflexions en cours avec le musée Hébert. Donc voilà, on essaye de travailler avec les autres en se disant que de toute façon, on a la même mission et que plus on fait de passerelles, plus on se renvoie les choses les uns vers les autres, et plus on va toucher du monde, plus on va être efficace aussi dans notre action. Je trouve que c'est une belle façon de fonctionner.”

On peut le voir, c'est un métier qui est très diversifié. Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans vos missions ? 

“Je pense que c'est ce bouillonnement créatif. Je travaille avec des gens qui sont très créatifs, qui ont toujours plein de bonnes idées et plein d'envie. C'est épuisant et en même temps, c'est complètement passionnant. On passe de la sonde Voyager à une question sur les femmes et les sciences. Quand on fait un éditaton, par exemple, à la Casemate, on travaille avec des publics divers et variés. Ça, c'est aussi fabuleux par rapport à mon ancien métier. Je ne voyais jamais mon public ou rarement. En tant qu'éditrice on est derrière son écran, on fait des livres et ensuite, il nous échappe. On voit rarement notre public. Ici, le public, on le voit, il est là le soir quand il y a des conférences, il est là dans le planétarium quand il y a des films et des séances et il interagit avec nous. Et donc, ça, c'est vraiment une découverte pour moi et un vrai bonheur.”

Et inversement, quels sont les plus grands défis que vous essayez de relever ?

“Le défi principal, c'est de faire en sorte que cet établissement puisse continuer sa mission en ne coûtant pas trop aux collectivités qui sont nos financeurs. En essayant donc de trouver un modèle économique qui permette à la fois de faire venir un public qui est très éloigné des sciences et qui, pour nous, devrait presque ne pas avoir à payer. Et aussi un public qui va venir pour profiter aussi avec des moyens de l'offre culturelle qu'on peut lui faire, en particulier à Cosmocité avec ces deux salles dont je vous parlais tout à l'heure, ce planétarium qui est vraiment très chouette et la salle immersive qui est unique en France. 

Il y a des tas de choses qu'on peut faire qui sont hyper ludiques, mais qui sont toujours liées au sujet scientifique. Donc, l'idée, c'est qu'avec ces instruments-là, avec la programmation qu'on va faire à la Casemate, d'arriver à allier le public qui a besoin de venir à la science gratuitement et le public qui peut payer et qui peut permettre, du coup, une forme de rentabilité économique pour une structure qui, certes, est financée, mais ne peut pas uniquement reposer sur le financement.”

Tout à l'heure, on évoquait votre vision de ce qu’était Territoire de Sciences, maintenant que vous êtes en charge, quels sont vos objectifs pour la structure ? 

“Mes objectifs pour Cosmocité, c'est de renouveler l'offre qu'on va faire au niveau des films de planétarium et des contenus de la salle immersive, mais ça coûte très cher, donc c'est un petit peu long. Et puis aussi des ateliers qu'on propose et des visites guidées, donc renouveler l'expérience du visiteur. Sur la Casemate, le projet est de grande ampleur. On voudrait que ce lieu, qui est presque en plein centre de Grenoble, soit un lieu qui s'ouvre davantage sur le grand public. Nous avons donc pour projet d'y faire un café des sciences, qui pourrait du coup faire venir du monde. Peut-être de faire des expositions, de faire circuler davantage les choses entre le Fab Lab et ce qui se passe dans le reste de la Casemate. Avoir une programmation culturelle et événementielle de plus en plus riche, avec de plus en plus de formats, les plus dynamiques possibles.  Donc pas de conférences à la papa où on parle pendant une demi-heure et ensuite il y a trois questions, mais plutôt des choses interactives, des formes de médiation modernes, dynamiques, qui font venir un public beaucoup plus jeune. Voilà le projet pour la Casemate, que ça devienne un lieu de vie dans le quartier Saint-Laurent et que ça revivifie aussi cet endroit qui est un endroit magnifique, une très très belle place et qui pour l'instant n'est que traversée par les joggers qui montent à la Bastille, alors qu'elle pourrait être vraiment un lieu d'accueil et de vie de tout le quartier.”


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