Expérimenter le développement durable à l’épreuve des dissensus : l’aménagement des stations de sports d’hiver dans le PNR des Pyrénées catalanes, d’après les travaux de Benjamin Thicoïpé

Publié par Lola Steve, le 24 décembre 2025   1

C’est lors du séminaire annuel intitulé : “Science et société” organisé par la MSH Alpes et le Gresec et coordonné par Mikaël Chambru que nous avons pris connaissance des travaux de Benjamin Thicoïpé, doctorant au CERTOP.  Dans le cadre d'une convention CIFRE au sein du PNR des Pyrénées Catalanes, il réalise sa thèse “Expérimenter le développement durable à l'épreuve des dissensus : l'aménagement des stations de sports d'hiver dans le PNR des Pyrénées Catalanes”. Ainsi, pendant plusieurs années, à la fois chercheur et salarié pour le PNR, il a observé les réunions, les discussions et les pratiques des acteurs locaux pour tenter d’expliquer pourquoi la transition écologique des stations de ski est si difficile à mettre en œuvre.

 Le parc naturel régional des Pyrénées catalanes

Situé dans le sud de la France dans un territoire montagneux, le parc naturel régional des Pyrénées Catalanes englobe la totalité de l’Ouest du département. Ce parc dépend aujourd’hui d’une économie majoritairement touristique et connaît des cycles importants comme au début du 20e siècle avec l’essor du thermalisme, ou plus tardivement encore avec le développement des sports d’hiver. Certaines communes se composent aujourd’hui à 90% de résidences secondaires, témoignant ainsi de l’importance du tourisme dans la vie quotidienne.

Néanmoins, le parc compte 241 espèces protégées au niveau national ainsi que de nombreuses zones humides abritant plusieurs espèces différentes d’animaux. Mais alors, comment concilier les différentes politiques publiques liées au tourisme avec les enjeux environnementaux du territoire ? 

Des visions qui s'opposent 

En 2014, certaines communes s'engagent, en signant la nouvelle charte du PNR, à ne pas étendre leurs domaines skiables. Néanmoins, dès 2015, un nouveau projet de liaison entre les trois domaines skiables concernés voit le jour, avec pour ambition, le développement massif des infrastructures et des domaines. Cette contradiction suscite de nombreux débats et Benjamin Thicoïpé montre que ce projet révèle une difficulté des stations de ski à changer de modèle et à s’orienter vers un modèle plus durable. C'est donc dans ce contexte, que le PNR décide d’élargir la réflexion notamment aux questions de gouvernance.

Force est de constater qu'au sein même du territoire, entre techno solutionnisme et régulation, de forts dissensus sont présents et les acteurs ne possèdent pas tous la même vision en ce qui concerne le développement du territoire. D’un côté, pour de nombreux élus, l'idéologie de développement continue de dominer. Ils s’appuient notamment sur le discours des locaux où la modernisation des communes et l’implantation des stations sont liées, afin de crédibiliser leur discours et sur l’importance du tourisme pour développer l’économie locale. Benjamin Thicoïpé témoigne, l’activité économique est assimilée à la vie et pour les élus  "Sans activité économique, c’est le désert”. 

De l’autre côté, le conseil scientifique alerte sur les limites environnementales du territoire. Seulement, les résultats de leurs recherches ne sont pas pris en compte dans les décisions politiques locales, allant jusqu’à provoquer la démission d’une partie du conseil en 2019. 

Enfin, plus récemment des associations locales se mobilisent. Elles défendent les espaces naturels et proposent des modèles alternatifs, moins dépendants des infrastructures lourdes.

Les freins et leviers à la mise en œuvre d'une politique de développement durable 

De ce fait, le territoire se trouve au cœur d’un dissensus rendant difficile l’émergence d’une politique commune. Par ailleurs, au sein même de la gouvernance du PNR, des tensions sont présentes et les points de vue sont doubles entre poursuite du développement et maintien de la préservation du territoire, il ne convient donc plus, à l’échelle du territoire, d’appréhender le PNR comme homogène. De la même manière, les stations de ski renforcent aussi le pouvoir local avec des adaptations pour pérenniser l’activité de ski mais paradoxalement, imposent également sur certains territoires davantage de prise en compte de l’environnement et une transition vers la diversification touristique.

Ainsi, pendant plusieurs années, Benjamin Thicoïpé assiste aux réunions des équipes du PNR, mène des entretiens et observe les pratiques quotidiennes des élus, techniciens, scientifiques et porteurs de projets. Cette immersion lui permet de dépasser les discours officiels et d’observer directement les tensions sur le territoire. Il décrit notamment des conflits interpersonnels, des pressions exercées sur les techniciens chargés d’appliquer les politiques environnementales, ainsi que des tentatives de mise à l’écart des avis scientifiques lorsque ceux-ci freinent certains projets d’aménagement.

Les freins à la transition écologique apparaissent aussi au sein des institutions. Benjamin Thicoïpé constate que le pouvoir économique local et le pouvoir politique sont étroitement liés. Les maires des stations de ski sont fortement représentés dans les instances décisionnelles, tandis que les ouvriers et employés le sont beaucoup moins. Cette situation pose une question centrale : comment des acteurs dépendants de l’économie des sports d’hiver peuvent-ils porter des politiques qui risquent de remettre en cause leurs propres intérêts ? À l’inverse, les associations locales constituent un levier important. Leur mobilisation, de plus en plus structurée, montre que la transition écologique ne relève plus uniquement du politique, mais aussi de l’engagement citoyen. 

Les travaux de Benjamin Thicoïpé nous montrent que, dans le PNR des Pyrénées catalanes, les enjeux environnementaux sont aujourd’hui bien identifiés par l’ensemble des acteurs. Toutefois, cette reconnaissance ne suffit pas à provoquer une transition effective des stations de ski. Le territoire reste marqué par de forts dissensus opposant une vision du développement centrée sur la croissance économique à des propositions portées par les scientifiques et les associations, davantage axées sur la préservation des milieux et la diversification des activités. Si le dialogue reste indispensable, ces désaccords persistants rendent difficile l’émergence d’une politique commune. Le développement durable apparaît alors comme un processus encore inachevé, construit dans la confrontation des points de vue plutôt que dans le consensus.

Article co-écrit par Aline Faure et Lola Steve

Pour aller plus loin retrouvez les travaux de Benjamin Thicoïpé : https://certop.cnrs.fr/thicoip...