Transition des stations de ski - Rencontre avec Pierre Olivier Garcia, chercheur en aménagement du territoire

Publié par Sandy Aupetit, le 15 mai 2023   1.2k

Pierre Olivier Garcia revient avec nous sur son étude de La Grave en moyenne montagne : une station alternative confrontée aux enjeux de la transition par temps de crises.

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Bonjour Pierre-Olivier Garcia, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Bonjour, je suis maître de conférences à l'Institut d'urbanisme et de géographie alpine et je suis chercheur au laboratoire Pacte. Je suis spécialiste des questions d'aménagement associés aux changements environnementaux globaux, et notamment au changement climatique.

Vous êtes chercheur et enseignez à l'institut d'urbanisme et de Géographie Alpine dans le domaine de l'aménagement : pourriez vous préciser en quoi consiste l'aménagement exactement ?

Pour moi, c'est la transformation intentionnelle des espaces habités et des territoires. Je cherche à savoir comment des acteurs publics, des collectivités territoriales ou des opérateurs d'aménagement tels que les opérateurs de station de ski, vont faire des aménagements lourds dans les territoires urbains, ruraux ou de montagne.

Dans le cadre de vos recherches, vous vous êtes intéressé aux évolutions suivies par la station de Montagne de La Grave. Celles-ci sont-elles liées au réchauffement climatique ?

Il s’agit d’une recherche menée depuis 2021 sur un téléphérique en très haute montagne à 3200m d'altitude. Je ne suis pas un spécialiste de l'environnement mais oui,  les effets du réchauffement climatique y jouent aussi un rôle important. Cependant en aménagement, « l'adaptation » au changement climatique est plus une catégorie d'action publique impliquant un certain degré de concertation et de coordination pour mettre en place des actions.

La Grave est une commune de 400 habitants environ, et les réflexions portées sur l’avenir du  téléphérique ne rentrent pas dans le cadre des « plan climat » par exemple. C’est d’abord économiquement que l’on peut considérer que le territoire s’adapte ici.

Quelles sont les spécificités de ce territoire, les aspects de son histoire ou son identité essentiels pour comprendre cette évolution et les nouvelles trajectoires qu’il connaît  ?

La Grave est située à 1500 m d'altitude à la marge de 3 départements, on y voit s'élever la Meije jusqu’à à 3500 m d’altitude, où se situent des glaciers importants mais menacés. Le territoire n'atteint pas plus de 800 habitants. Il s’est peu développé face aux 2 Alpes et l'Alpe d'Huez : des méga stations du « tout ski » et du tourisme de masse, développé à partir des années 60 puis 70, et ce qu'on a appelé le « plan neige » en France.

L’une des spécificités de La Grave, c’est justement de ne pas avoir suivi ce modèle, en préférant créer le Chazelet : une petite station de ski , dirigée et possédée par la collectivité et tournée vers d’autres pratiques. Parmi elles, l’exploitation d’un projet de téléphérique proposé par Denis Crécelle, permettant  aux  touristes de bénéficier d’un spectacle à couper le souffle en 40 minutes, sans monter à pied 1700m  de dénivelé. Le maire de La Grave ira jusqu’à négocier l’entrée dans le dispositif des Parcs Naturels des Écrins sous condition de pouvoir construire cet équipement. Le téléphérique ouvre alors, déjà doté d’un restaurant dans les années 70  permettant une halte aux touristes avant le Dôme de la Lauze à 3600m. Malheureusement, ça n’a pas marché à terme. Dans les années 80 tout le projet a périclité. 


Vue du téléphérique et des paysages de La Grave (image Libre de Droit)

Comment la station a-t-elle survécu à l'époque ?

Une première forme d’adaptation a eu lieu dans les années 90 quand est arrivée la culture du free-ride : la collectivité a alors essayé de développer un modèle innovant. Ce qui a bien fonctionné, puisque dans les faits La Grave est même devenue l’un des “paradis des riders”. On y a organisé le derby de la neige, et ça a attiré énormément de monde à l'international… Toute la structure économique de la Grave s’est portée sur le tourisme de ski alternatif, valorisant “la culture de la poudreuse” et des courses de free-ride hallucinantes.

Mais ce modèle se construit à contre-courant et se heurte à deux limites : quand on est au Dôme de la Lauze, on est à 400m à pied de la dernière remontée mécanique des 2 Alpes. Il y a tout un aspect de l’adaptation qu’essaie de développer La Gave qui provient de cette concurrence, du doute de savoir “si l’on va ou non se faire manger par les 2 Alpes”. Et bien sûr, il y a aussi la menace des enjeux liés à la sécurité et au réchauffement climatique. 

Pourriez vous revenir sur ces enjeux que vous évoquez et nous dire ce qui les caractérise le plus ?  

Une station de moyenne montagne comme celle de La Grave ne peut accueillir du monde que quand y a de la bonne poudreuse. Sans poudreuse il n’y a personne, d’autant qu’ il n’y a pas de dameuses à La Grave, et pas de canon à neige : d'ailleurs le premier tronçon est fermé depuis longtemps et ils ont failli annuler le derby en 2023. Un glacier ça bouge, ça craque, il y a des crevasses, ce qui pose des problèmes en termes de sécurité. Par ailleurs l'équipement créé dans les années 70 est obsolète. Enfin, une autre question est de savoir si l’on reconnaît l'existence du changement climatique , et si l’on tient compte de la “dépendance au sentier” des acteurs de La Grave, qui est très importante et même caractéristique de sa situation.

Pourriez vous préciser cette notion de “dépendance au sentier” ? Qu'implique-t-elle par exemple pour le cas de la Grave ? 

S’inscrire dans une “dépendance au sentier” signifie que plus on s’inscrit dans une trajectoire, plus il va être compliqué d'en sortir. Pour faire un parallèle: c’est plus facile de changer de filière en Semestre 1 d’une Licence 1, qu’en Semestre 2 d’une Licence 2. Ce concept en sciences politiques renvoie à une intuition à l'échelle individuelle, et à l'émergence de difficultés au moment de changer de ligne en quelque sorte. La Grave est économiquement structurée autour des activités du téléphérique car il est aussi la voie d'accès à d’autres activités.  Les recettes vont à l'hôtellerie-restauration, aux gens qui louent les machines, donc les retombées sont énormes pour le territoire, mais les conséquences aussi si tout s’arrête. Le moindre changement prend une dimension très importante pour toute la commune.

Quels sont les projets d’adaptation du territoire dans les années à venir ? 

Il y a une énorme controverse à La Grave, autour d’un projet qui consiste à déconstruire les 2 téléskis et à aménager un 3ème tronçon du téléphérique pour monter jusqu’à 3600m. La neige fond en bas, et donc on va plus haut. Cela a plein d'avantages, notamment celui de permettre une activité multi-saisonnale et de produire de la valeur économique, sans compter sur la ressource neige.

Là encore on peut parler d’adaptation, mais sans lien nécessaire avec le changement climatique, puisque l’enjeu est d’abord économique. A 2400m, il y a une toute petite station avec des jeux en bois et des activités pour les enfants. L’idée de faire monter le téléphérique à 3600m avec à l’arrivée un restaurant moderne et panoramique, va introduire une forme de tourisme contemplatif. Il ne s’agira donc plus de faire de l'alpinisme mais de voir de beaux paysages. 

Mais ce projet fait débat.  Les opposants à la municipalité, tout en déplorant la faible concertation ayant précédé le projet d'agrandissement du téléphérique, défendent aussi l’idée qu’il faut inventer d'autres rapports à la nature; et qu'on arrête d'aménager les glaciers, qui sont en train de disparaître.Des reproches qui rejoignent d’ailleurs ceux des autorités environnementales d’états,notamment régionales; reprochant le fait que les scénarios du changement climatique ne soient pas suffisamment pris en compte alors qu’il y à urgence. D’après un article sorti récemment dans Le Monde, depuis 1970 un volume équivalent à une couche de 28m de glace répartie sur tous les glaciers du monde a fondu en raison du changement climatique.

Vous nous avez expliqué jusqu’à présent vos travaux, mais comment obtenez-vous ces résultats ? Quelle est votre méthodologie sur le terrain ?

En géographie, la question de savoir comment s'organise l'espace et comment cet espace va ensuite impacter la manière dont les sociétés s'organisent est partout. C’est la grande spécificité de la géographie par rapport à la sociologie par exemple. Puis vient la spécificité des territoires : je ne pouvais pas vous parler de La Grave  sans vous montrer le schéma de la station (voir ci-joint à l’article). Ce qui se passe à La Grave peut se passer presque pareil ailleurs, mais il y aura toujours une spécificité territoriale à laquelle il faut être attentif. 

Dans le cadre de mes recherches, j’ai utilisé des frises chrono-systémiques, une méthode développée au labex ITTEM. Elles prennent la forme de frises chronologiques imprimées, commentées par les habitants, les usagers et les professionnels des stations que nous avons interrogés. Il s’agissait de faciliter l’entretien par un support, en figeant les perceptions de chacun peu à peu pour les étudier. La frise présentait aussi des données objectives concernant la station et abordait des thèmes importants du projet de téléphérique et de la controverse :  l'espace récréatif, l'imaginaire autour de la protection de la montagne, des glaciers, du changement climatique etc.

Pour conclure, une question un peu plus personnelle : auriez vous un conseil à donner à des étudiants qui envisagent de s’orienter vers la recherche ? 

Un conseil ? Je dirais ne pas confondre remise en cause et réflexivité. Quand on fait de la recherche il faut savoir être réflexif, c'est-à-dire accepter que ce qu'on pensait avant était un peu faux et ne pas le vivre comme une remise en cause complète de ses choix passés. Malheureusement l'erreur est encore trop souvent considérée comme une faute.  En recherche il faut pouvoir en permanence dire qu'on s'est planté et l'assumer. Car raconter ce qui ne marche pas et pourquoi permet de l’améliorer !

Article rédigé par Lisa Fereyre et Raphaël Corsino


Cet article a été rédigé par les étudiant·e·s suivant l'enseignement transversal "Vulgarisation scientifique et écriture journalistique" proposé à l'Université Grenoble Alpes (UGA). Cet enseignement est encadré par Sandy Aupetit, chargée de médiation scientifique à l'UGA et Laura Schlenker, professeure associée au Master CCST de l'UGA et co-fondatrice de La Fabrique Média


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