Violences policières ≠ Violences de policiers

Publié par Yannick Chatelain, le 23 décembre 2020   1.7k

Si « violences policières » s’est progressivement substitué au terme « bavure » autrefois utilisé, « violences policières » est différent de « violences de policiers » !

Analyse par : Yannick Chatelain


« Je peux vous dire qu’il y a des violences policières si ça vous fait plaisir, on ne va pas jouer à ni oui ni non.»

C’est ce qu’a déclaré le chef de l’État le 4 décembre lors d’une interview accordé à la chaine Brut, tout en ajoutant que le terme était devenu, au fil de l’eau, un « slogan pour des gens qui ont un projet politique ».

Une violence est une violence, elle est d’autant plus grave lorsqu’elle est commise par une personne missionnée pour protéger les biens et les personnes. La problématique que le président analyse comme un « slogan politique » l’est dans la mesure où l’expression en elle-même est à mon sens inappropriée de par ce qu’elle véhicule.

Si « violences policières » s’est progressivement substitué au terme « bavure » autrefois utilisé, « violences policières » est différent de « violences de policiers », l’expression actuelle suggère ipso-facto des forces de l’ordre devenues dans leur ensemble plus violentes et une police dont la population devrait se défier.

Outre ces considérations, le fait est que les violences de certains policiers portée à notre connaissance par les réseaux sociaux et rangée dans la catégorie « violences policières » blesse au sens propre comme au sens figuré, tant les citoyens qu’un corps de métier au service de la nation.

La réalité des chiffres des violences policières

Sans disposer des chiffres 2020, tenons-nous en aux chiffres : en 2019, l’IGPN a été chargée de 1460 enquêtes judiciaires, soit une hausse de 23,7 % par rapport à 2018, dont 868 portant sur des violences volontaires, soit une hausse de 41 % en un an (+256). Ces saisines intègrent des interventions lors de manifestations, des opérations de contrôles et des soupçons de violences sur des personnes retenues.

Il est pour autant impossible d’en tirer des conclusions sur une dérive. Comme le rappelle Brigitte Jullien, la directrice de l’IGPN « ces saisines de l’autorité judiciaire ne constituent pas une présomption de faute des agents ».

Par ailleurs, et pour complexifier les choses, cette institution créée en 1854 – et qui pourrait faire l’objet d’une réforme – fait régulièrement l’objet de critiques de « son manque de transparence, surtout quand il s’agit de dossiers de violences policières ».

Ce que l’on peut affirmer avec certitude est que la remontée d’informations sur des soupçons de dérapages sont le fait de citoyens ayant entre autres pour arme non létale des smartphones, ceux-là même qui sont directement ciblés dans l’usage qu’ils en font par l’article 24.

L’article 24 ne sert ni la police, ni les citoyens

Paradoxalement la première des protections des personnes et de la police dans une démocratie va de pair dans notre société avec la démocratisation des technologies et des réseaux sociaux.

Si on ne peut contester que ces derniers puissent éventuellement être utilisés de façon malveillante et d’ores et déjà faire l’objet de lourdes sanctions (dénonciation calomnieuse ou autre… pouvant délibérément mettre en danger la vie d’un policier) on ne peut dans le même temps contester que sans les réseaux sociaux et des vidéos amateurs certaines affaires d’une extrême gravité auraient été passées sous silence.

Si nous gardons à l’esprit qu’une police non contrôlée est le corollaire d’un État autoritaire, il relève du simple bon sens que le droit de regard du citoyen sur les agissements de sa police constitue un garde-fou indispensable au fonctionnement serein d’une démocratie.

C’est ce droit de regard qui pourrait être remis en cause par le très controversé Article 24 de la proposition de loi sur la « sécurité globale » qui prévoit de pénaliser la diffusion malveillante de l’image des forces de l’ordre.

Ainsi et pour l’exemple sous sa mouture actuelle, l’affaire dite de la « Contrescarpe », dans laquelle un ex-collaborateur du président est accusé d’avoir usurpé la fonction de policier, interpellé et violenté un couple de personnes qui venait de lancer des projectiles vers des CRS lors d’une des manifestations du 1er mai 2018 à Paris n’aurait vraisemblablement pu voir le jour.

La scène filmée par des témoins et diffusée sur les réseaux sociaux le 1er mai aurait très bien pu être qualifiée de malveillante en pointant une intentionnalité de déstabilisation de l’exécutif et ne jamais être médiatisée.

Sous la pression et l’impulsion du président de la République pour tenter de mettre un terme à une crise politique, la majorité s’est engagée à réécrire l’article décrié ; mais cela n’a pas empêché le conseil de l’Europe de réagir fortement.

Dans une lettre adressée le 15 décembre aux membres de la commission des lois de la Chambre haute et à son président, François-Noël Buffet, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović écrit : « Le texte de cet article tel qu’il est soumis à votre examen demeure, à mon sens, insatisfaisant du point de vue du respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales« , tout en appelant le Sénat à amender ce texte lorsqu’il l’examinera en mars 2021.

En outre, l’article en l’état ne servirait ni la police ni les citoyens, il ne pourrait qu’attiser le feu de la défiance et de la suspicion des citoyens envers sa police, une suspicion n’ayant pas sa place dans une démocratie.

« Violences policières passives » ?

D’autres situations ne servent nullement les policiers et les gendarmes qui voient leur image écornée et qui sont jugés durement par la population comme étant les responsables d’une forme de violence policière passive !

Lorsque des biens sont attaqués en présence des forces de l’ordre, l’observateur se demande légitimement pourquoi celles-ci n’interviennent pas. Lorsque des saccages se déroulent devant elles et qu’elles restent statiques son premier réflexe peut être alors de… se tromper de responsables.

C’est indéniablement une forme de « violence policière passive » que de ne pas protéger des biens ; pour autant les forces de l’ordre présentes ne peuvent être mises en cause car il est dans l’ordre des choses et dans l’ordre républicain qu’elles obéissent précisément à des ordres et a fortiori à des non-ordres.

La question de leur instrumentalisation par le politique n’est pas nouvelle et peut alors se poser. Conséquemment à cette forme d’inaction, la société est alors perçue comme ultraviolente, un mouvement peut de ce fait être disqualifié et les forces de l’ordre pointées du doigt injustement.

Pour conclure

Qu’il s’agisse de l’article 24 à vocation originelle de « protéger la police », ou des « violences policières passives » que je souligne, les deux mettent en évidence le caractère rétrograde, historique et endémique de la culture d’État monarchique français qui n’est pas l’apanage de l’exécutif actuel.

À ce titre les enjeux de l’article 24 sont majeurs. La démocratisation de la technologie et des réseaux sociaux est un moyen de contrôler d’éventuels abus. Certes, les images peuvent être dérangeantes et mettre en difficulté tant le politique que des policiers dans l’exercice dévoyé de leur mission ; pour autant, elles sont indispensables car ce sont des images et des faits qui ont ainsi conduit l’ONU à réclamer à la France une enquête sur « l’usage excessif de la force » lors des manifestations des Gilets jaunes.

Par-delà ses institutions notre démocratie a besoin de ce type de garde-fou afin de ne jamais franchir la ligne rouge ténue entre une volonté sécuritaire et une dérive autoritaire.

Yannick Chatelain

« Ce sont les démocrates qui font les démocraties, c’est le citoyen qui fait la République»

Georges Bernanos

Yannick Chatelain, Docteur en Administration des Affaires, est professeur associé à Grenoble École de Management, et chercheur associé à la Chaire DOS « Digital, Organization and Society ». Ses travaux portent sur les usages d’Internet, le contrôle social, la contre-organisation sociétale et la liberté d’expression.

La version originale de cet article  a été publiée sur Contrepoints