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Le tourisme et les sciences : un mélange pas si nouveau

Publié par Emilie Demeure, le 11 décembre 2020   3.9k

Il est 9h30, nous sommes le mardi 24 Novembre 2020, bien installés, nous assistons en visioconférence au tout premier atelier des journées d’étude « Culture scientifique et transition touristique : quels enjeux pour les territoires alpins ? ». Deux intervenants chercheurs vont discuter sur le sujet : « Ce que la culture scientifique fait au tourisme et réciproquement », Pascal Mao du laboratoire PACTE et Marie Christine Bordeaux du GRESEC et de l’Université Grenoble Alpes. 


Pascal Mao:

Nous attaquons tout de suite sur les origines de l’association des mots tourismes et sciences. Cela remonte au 19ème siècle dans une multitude de langues. Dans chaque langue, il y avait une nuance, comme des feuilles appartenant à la même branche. Derrière toutes les terminologies, quatre formes de tourismes scientifiques différentes ressortent :  

  • Tourisme d’aventure  

  • Culture à contenu scientifique  

  • Eco-volontariat scientifique 

  • Tourisme de chercheur scientifique  

Ces quatre formes ne sont pas complètement dissociables, elles peuvent s’hybrider et être complémentaires entre elles.

Après cette introduction sur le tourisme scientifique, Pascal Mao nous partage son expérience en Patagonie Chilienne. Il y a mené deux projets de recherche sur un endroit où il n'y a rien, c'est-à-dire sans ou presque de recherche et de tourisme,  laissant la place pour faire différemment. 

Le but de ce partenariat est de faire participer des gens à la recherche, mettre en réseau des acteurs pour les rendre partie prenante de ce projet. En effet, le projet pilote est de montrer que dans plein de domaines scientifiques il est possible de créer une dynamique territoriale. Pour illustrer, Pascal Moa nous donne comme exemple des éco-volontaires en archéologie à la recherche des vestiges des ethnies natives disparues. Tous les projets de recherches qui ont lieu en Patagonie servent à enrichir  les collections chiliennes.

Après 10 ans de travails collectifs en Patagonie Chilienne, Pascal Mao ne distingue plus quatre formes de tourismes scientifiques mais neuf qui sont les suivantes : 

  • Exploration scientifique

  • Voyages éducatifs et culturels

  • Explorations culturelles

  • Eco-Volontariat Scientifique

  • Ecotourisme à dimension scientifique

  • Explorations scientifiques et éducatives

  • Explorations sportives avec alibis scientifiques

  • Voyages éducatifs et d’apprentissage

  • Le voyage de tourisme scientifique intégral

Nous finissons avec ce constat pour la présentation de Pascal Mao, maintenant, laissons place à Marie-Christine Bordeaux.


Marie-Christine Bordeaux :

Nous commençons par l’histoire de la Culture Scientifique, Technique et Industrielle (CSTI). La culture scientifique est une expression popularisée à présent et qui est facilement marquée par le sceau de l’évidence. Cependant, il y a des tensions entre le projet originel et l’objet CSTI. 

Le projet s’inscrit dans une époque où il y a un déficit d’accès à l’éducation, rendant nécessaire le partage de ce savoir parce que les sciences sont dites motrices de connaissance et de progrès. 

L’objet lui, se réfère à une politique publique qui prend une structuration plus élaborée en France au début des années 1980 avec la création du premier Centre de CSTI à Grenoble en 1979 par exemple. La création de ces structures a été accompagnée de mouvements militants et intellectuels incarnée par Jean-Marc Lévy-Leblond (quelques travaux en annexe).

La CSTI a évolué au fil des années et est devenue une espèce de fourre-tout par l’action des différents lobbys et la crainte d’oublier quelque chose de très important. Par exemple, la lutte femmes-hommes fait partie de la définition accumulative d’objectifs de la stratégie nationale de la CSTI (2017). 

Après ce passage sur la CSTI, nous passons à la question du tourisme. Marie-Christine Bordeaux nous dit qu’il existe déjà un tourisme scientifique :

  • Les musées et écomusées

  • Les espaces muséographiques d’entreprises

  • Les espaces muséographiques de centres de recherche 

  • Les espaces muséographiques de structures diverses (touristiques, environnementales, …)

Le tourisme scientifique peut s’inscrire dans un tourisme alternatif et dans un développement de la définition de la culture. Il y a de nos jours une prise en charge du développement de la culture de manière locale induisant un investissement des territoires ruraux. 

Maintenant : Faut-il définir et/ou cerner le tourisme scientifique ? 

Marie-Christine Bordeaux nous avoue qu’elle ne sait pas le définir et qu’il faut plutôt essayer de le cerner. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Après deux présentations extrêmement riches, il est temps du débat animé par Mikaël Chambru où les chercheurs répondent aux questions du public. C’est parti !


Le tourisme scientifique n’a-t-il pas une image de tourisme « réservé » à une élite ? 

Pascal Mao : « La culture scientifique est un bien public maintenant avec de plus en plus d’accès libre. Le tourisme peut être une manière de réintégrer ce qui a parfois été oublié : proposer de nouvelles formes de médiation pour que tout un chacun puisse en profiter. »

Marie-Christine Bordeaux : « On s’illusionne toujours du ressenti des publics vis-à-vis des sciences, de ce que l’on essaye de leur transmettre. La méfiance que la culture scientifique peut procurer restreint le cercle des publics. » 


Dans le cadre de l’opposition historique du 19ème siècle entre la vulgarisation scientifique et la science populaire (participation du public à la science) : Le tourisme scientifique ne se rapproche-t-il pas davantage de ces connaissances populaires ? 

Marie-Christine Bordeaux : « Pour la co-construction des savoirs il faut du temps. Le temps est l’ennemi de l’expérience touristique traditionnelle. C’est différent si on parle d’un tourisme engagé. »

Pascal Mao : « Les outils de sciences participatives sont aussi anciens que la connaissance. Il n’est pas très pertinent de différencier complètement les deux. »


Le tourisme scientifique, n’est-il pas un moyen de donner du sens à ses vacances ? En quoi y-a-t-il une réinvention de la médiation scientifique ?

Pascal Mao : « Le tourisme scientifique peut renouveler l’expérience touristique. C’est aussi le moyen de mettre en valeur des écosystèmes peu ou pas accessibles. Faire le tour du monde en peu de temps n'a pas vraiment de sens, il vaut mieux aller plus doucement. Voyager oui mais voyager utile !» 

C’est sur cette dernière intervention de Pascal Mao que se clôture ce premier atelier des journées d’étude.


Emilie DEMEURE


Pour aller plus loin : 

Un live tweet  a été réalisé par une étudiante du master CCST de Grenoble qui complète ce résumé, voici le lien : https://twitter.com/LeaLhmr/status/1331161365290119168

Travaux de  Jean-Marc Lévy-Leblond : 

  • L’Esprit du sel : science, culture, politique, Paris, Fayard, 1981

  •  Mettre la science en culture, Anaïs, 1986

  • La science en mal de culture, Futuribles, 2004

  • Revue Alliage qu’il a fondé en 2021

Sur la stigmatisation des touristes, un livre qui fut précurseur : J.D. Urbain "L'idiot du voyage".

Pour plus d’informations sur les journées d’étude « Culture scientifique et transition touristique : quels enjeux pour les territoires alpins ? » : https://maestro.hypotheses.org/1027