Colin Van Reeth : émerveiller de nature
Publié par GREC Alpes Auvergne, le 19 juin 2025
Colin Van Reeth est chercheur en écologie au Centre de Recherches sur les Ecosystèmes d’Altitude (CREA Mont-Blanc), une ONG scientifique de recherche. Il revient ici sur les liens entre biodiversité et climat et l’enjeu de renouer avec le vivant grâce à la science participative et l’émerveillement.
Quel est votre domaine de recherche et son lien avec le climat ?
Je travaille en tant qu’écologue au CREA Mont-Blanc à Chamonix, d’où l’on peut observer le changement climatique depuis nos fenêtres. Bien que je ne sois pas climatologue, le climat fait partie de mes sujets d’étude car c’est une variable explicative incontournable quand on s’intéresse à la biodiversité et au vivant. Mon travail porte notamment sur la phénologie, c’est-à-dire l’étude des rythmes saisonniers chez les plantes et les animaux, qui dépend fortement du climat. Avec la hausse des températures, le développement des arbres a, par exemple, tendance à démarrer de plus en plus tôt au printemps. Le programme participatif PhénoClim retrace ce décalage des saisons chez les arbres grâce aux observations faites sur le terrain de particuliers ou d’écoles. Cela permet de comprendre l’impact du changement climatique sur les saisons.

@CREA Mont-Blanc
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur ces sujets ?
Avec des collègues et des amis, on s’est rendu compte qu’il y a eu un élément déclencheur dans chacune de nos vies. Dans mon cas, c’est un professeur de biologie inspirant qui m’a ouvert les yeux sur le sujet et donné l’envie de m’y intéresser. Puis des opportunités m’ont ouvert cette voie. Après un stage de fin d’études au Laboratoire Agronomie et Environnement de l’université de Lorraine, un sujet de thèse m’intéressait sur les pollinisateurs, qui est d’ailleurs encore un sujet que je traite aujourd’hui. A la fin de ces années de doctorat, ma volonté de faire de la recherche différemment s’est renforcée. La dimension sociétale des recherches du CREA portée par son statut d’association m’a plu. Il accorde une liberté scientifique de faire de la recherche rigoureuse sans avoir la pression des centres académiques. Le tout avec la conviction qu’une partie du changement s’opère par l’action et l’implication du grand public, des scolaires, des décideurs. La science participative peut ainsi être un levier pour remettre la question de la biodiversité au centre du débat public, et éveiller sur la démarche scientifique. J’ai l’impression d’avoir plus de facilité pour faire changer les choses au sein du CREA qui a un engagement fort, bien que l’ONG ne soit pas militante.
Quelle place occupe la médiation dans votre activité ?
La médiation s’est intégrée progressivement dans mon travail au CREA où nous sommes persuadés que le regard sur le vivant doit changer, et pour cela il doit être accompagné et réfléchi. Nos modes de vie souvent déconnectésde la nature nous éloignent du vivant et c’est au renforcement de ce lien que nous souhaitons agir en impliquant un public aussi divers que possible. Le programme de recherche participative Wild Mont-Blanc par exemple mobilise 20 000 bénévoles à travers le monde et consiste à faire identifier des animaux sauvages pris en photo par des pièges photographiques sur le site en ligne. Il y a beaucoup de mauvaises réponses mais une fois toutes combinées, on arrive aux bonnes identifications dans 98% des cas. Il y a une forme d’expérience de nature qui s’opère et qui permet de créer du lien avec le vivant par le biais du numérique.

@Vanille Polladou
Quelles sont vos actions de médiation ?
Le lien à la nature se construit essentiellement au cours de sa jeunesse, c’est pourquoi une partie de notre effort de médiation se concentre sur les publics scolaires en les immergeant dans le monde de la recherche pendant une semaine. Ils peuvent ainsi prendre part à nos missions sur le terrain et l’élaboration de protocoles scientifiques en parallèle d’échanges sur le changement climatique, la biodiversité, les montagnes. Je travaille également à titre personnel avec des associations sur les enjeux liés à la biodiversité urbaine. Le Rucher des forges à Annecy par exemple organise des promenades pédagogiques en ville afin d’observer les insectes. On se balade avec un filet à papillon dans le but d’aller à la rencontre de ce vivant habitant les villes qui peuvent être de véritables réservoirs de biodiversité. Il y a plus de 300 espèces d’abeilles sauvages rien que dans la ville de Lyon. J’aime bien montrer le vivant là où on ne l’attend pas. C’est un objet d’émerveillement différent qui permet de rappeler que la nature commence au coin de la rue. Cette nature plus commune a tendance à passer inaperçue voire même à être invisibilisée.
Qu’est-ce qui vous anime encore aujourd’hui dans ce que vous faites ?
J’aime beaucoup pouvoir croiser différentes disciplines. Nous avons la chance au CREA de pouvoir mener des recherches diverses. Par exemple, bien que l'objet central du CREA soit l'observation des écosystèmes, nous menons en parallèle une étude sociologique auprès des bénévoles qui nous aident afin d’évaluer l’influence de leur engagement sur leur lien à la science et à la nature. Nous avons également la volonté de créer un observatoire de la biodiversité du Mont-Blanc dans l’objectif d’avoir une vision globale du massif pour comprendre davantage le fonctionnement de son écosystème. Comprendre les interactions entre les différents éléments, observer et mesurer les relations entre les milieux, activités, usages tels que le pastoralisme, les loisirs, nous permet de mieux évaluer les effets du changement climatique et d'accompagner l'action en fournissant des indicateurs pour l'aide à la décision. Pouvoir donner des éléments de réponse aux acteurs du territoire qui s’interrogent sur la gestion de la biodiversité dans la vallée est stimulant. Enfin, un autre moteur à mes yeux est de créer de l’émerveillement, un sentiment, quelque chose qui se transforme éventuellement en élan, en action.
Vous pouvez retrouver les publications de Colin Van Reeth ici.
Louise Chevallier