CoVid19 : Raisonner dans l'incertitude - Que faire lorsqu'on ne sait...rien ?

Publié par Laurent Vercueil, le 29 mars 2020   1.9k

Il n'existe actuellement aucun traitement "établi sur les preuves" de la pandémie CoVid19. Certainement doit-on attendre encore plusieurs semaines (1) avant de pouvoir démontrer scientifiquement la supériorité de l'une des différentes options (2) actuellement en évaluation. L'objectif étant de parvenir à des préconisations de santé publique, au bénéfice du plus grand nombre. 

Mais en attendant, qu'est-ce qu'on fait ? 

Rien ? 

Bien sûr que non. De nombreuses polémiques sur le sujet reposent sur un malentendu : On fait mine de croire qu'il est impossible d'agir dans l'incertitude. Que le souci éthique, la rigueur de la démarche scientifique, sont des boulets qu'on met aux pieds de soignants impuissants à sauver des vies.  On oppose, comme dans les tribunes que publie Le Monde de Dimanche 29-Lundi 30 mars, la méthode pragmatique du médecin et le souci de fiabilité scientifique du méthodologiste. 

Rien n'est plus faux. 

La recherche du meilleur soin à proposer à un malade précis, à un moment donné (c'est à dire, dans l'état des connaissances disponibles à ce moment - fussent-elles de qualité médiocre) relève de la pratique médicale quotidienne. La pandémie CoVid19 ne relève pas d'une autre méthode. Lorsqu'il sera possible de disposer de données objectives, contrôlées, démontrant l'efficacité d'un traitement et le caractère acceptable de sa tolérance, des recommandations générales, publiques, gouvernementales, pourront être émises. Elles seront alors suivies, sauf à s'exposer, pour le prescripteur, à devoir rendre des comptes sur le bien-fondé d'une pratique alternative (ce qui peut, bien entendu, être le cas, dans des situations cliniques spécifiques). En revanche, tant que ces règles de prescription ne sont pas déterminées, la charge revient au médecin de faire au mieux avec ce qu'il a (3). Les patients d'aujourd'hui sont traités, bien sûr, sans attendre les résultats des études. 

En pratique clinique, et quelque soit le niveau de certitude atteint dans un domaine, il est attendu du médecin qu'il prodigue des soins "attentifs et consciencieux". Des soins qui mobilisent l'attention et la conscience (entendue ainsi au sens de "conscience morale") sont des soins qui tiennent compte des connaissances - notamment dans leur caractère limité, voire incertain, et qui procèdent d'une analyse fine ("attentive") de la situation clinique, dans sa singularité. 

Il n'y a aucun divorce, aucune incompatibilité entre l'approche scientifique, rigoureuse et évaluative, des questions de santé, et le soin apporté à une personne donnée. Mais une décision de politique de santé qui nous concerne tous, et une décision médicale au chevet d'un malade en particulier, n'ont pas la même teneur, la même portée, bien que la seconde puisse se revendiquer de la première, le cas échéant. Les polémiques reposent souvent sur une confusion. 


NOTES

(1) Délai qui dépendra toutefois de la taille de l'effet. Les analyses intermédiaires, si un traitement s'imposait très nettement par rapport aux autres, pouvant amener rapidement à la conclusion qu'il n'est pas éthique de poursuivre une randomisation, si les données montrent qu'il existe une perte de chance pour les patients qui ne recevraient pas le traitement efficace.

(2) Les différentes options qui sont en  cours d'évaluation sont 1) le remdésivir, un bloqueur de l'ARN polymérase virale, 2) l'association lopinavir et ritonavir (Kaletra), utilisé contre le VIH, dont un essai négatif (absence d'effet significatif) a été publié le 18 mars dans le NEJM, 3) la même association lopinavir et ritonavir plus l'interferon Beta, 4) l'hydroxychloroquine (associée à l'azithromycine), dont le moins que l'on puisse dire est que le niveau de preuve est à ce jour sur-vendu, 5) le tocilizumab, 6) le favipiravir, 7) ou même, la perfusion de plasma de sujets convalescents.   

(3) Et il dispose de nombreuses options, les traitements faisant l'objet d'essais actuellement étant déjà commercialisés et disponibles dans d'autres indications (ce qui ne manque pas de poser des problèmes d'approvisionnement pour des affections chroniques habituellement traitées par ces mêmes médicaments - l'antibiotique azithromycine, par exemple, est très utile aux patients souffrant de mucoviscidose). Prescrire hors indication établie implique la responsabilité du prescripteur, d'où la nécessité de pouvoir justifier l'attitude thérapeutique adoptée "dans l'état actuel des connaissances". 


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