Élections américaines, chaos déterministe et ordinateur quantique

Publié par Gérard Chouteau, le 8 novembre 2020   1.4k

Gérard Chouteau

Responsable de la mission PATSTEC (CNAM) pour la région Rhône-Alpes sud

Turbulences,
écoulements, orages, autant de phénomènes qui appartiennent à la
familles des systèmes qu'on peut décrire à l'aide de la théorie
dite du chaos déterministe.

Tous ces phénomène ont une caractéristique commune : il dépendent d'un grand nombre de paramètres reliés entre eux. On parle de rétroactions. Toute modification d'un paramètre entraîne des modifications d'autres paramètres du systèmes qui, en retour (rétroaction) modifient le paramètre initial. Ces interconnexions peuvent rendre l'ensemble du système instable (chaotique) et son évolution devient alors imprédictible.

La météorologie en est un bon exemple. On sait, en effet depuis les années 60 que le temps qu'il fait en un point d'un hémisphère terrestre dépend du temps qu'il fait dans l'ensemble des points de celui-ci. Autrement dit, à cause des nombreuses rétroactions entre les divers paramètres (pression atmosphérique, température, degré hygrométrique, vents, etc.) une variation, même infime de l'un d'entre eux, en un point quelconque de la Terre peut provoquer une instabilité catastrophique en un point situé à des milliers de kilomètres.

C'est ce que le météorologue américain Lorenz a appelé l'effet papillon lors d'une conférence scientifique en 1978. (Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?) Ce n'est qu'une métaphore bien sûr. Il n'empêche qu'elle peut être considérée comme le point de départ d'un nouveau champ de recherche qui connaîtra un rapide développement : l'étude des systèmes très sensibles aux conditions initiales.

De tels systèmes peuvent devenir imprédictibles. C'est par exemple, le cas de la météo dont les prévisions perdent beaucoup de fiabilité au-delà de huit à dix jours, à cause des nombreuses interactions non linéaires entre les différentes grandeurs physiques intervenant dans sa modélisation.

On rencontre de nombreux phénomènes sensibles aux conditions initiales et donc potentiellement instables ou chaotiques dans des domaines aussi variés que l'évolution des populations animales, les cours de la bourse, les écoulements turbulents, la formation des nuages et ...les élections américaines.

Le président américain est élu par un collège de grands électeurs issus du suffrage direct. C'est la règle « The winner takes all » attribuant la totalité des grands électeurs au parti majoritaire qui rend le système instable parce qu'il devient binaire. Dans chaque état un nombre très faible d'électeurs peut faire basculer le résultat dans un camp ou dans l'autre. Dans ces conditions aucune prédiction n'est possible. Il est assez injuste de dire que les sondages se sont trompés, parce qu'en réalité il leur était impossible de donner un résultat fiable.

Prenons l'exemple  d'un état de 10 000 000 d'électeurs, dans lequel l'élection s'est jouée à 3000 voix près, c'est à dire 0,03 % de l'électorat. Pour obtenir par sondage une prédiction fiable de ce résultat il faut interroger au moins 10 000 000 de personnes ! C'est à dire la totalité des électeurs, pour finalement arriver au résultat que chaque candidat a 50 % de chances de gagner ! Autant tirer à pile ou face. Cela confirme l'adage suivant lequel le meilleur sondage est l'élection elle-même .

Pour avoir une vue globale de la situation dans l'ensemble du pays il faudrait analyser finement tous les cas possibles dans les cinquante états des États-Unis, soit environ 4,5 millions de milliards de configurations !

Aucun des supercalculateurs actuels ou à venir ne permettra cette analyse dans un temps raisonnable, sauf l'ordinateur quantique dont une version expérimentale de Google traite d'ores et déjà plusieurs milliards de données simultanément.

En 1880, les Etats-Unis entreprirent le recensement de leur population. L'opération, entièrement manuelle prit neuf ans. A la fin du recensement la population avait évidemment considérablement augmenté, ce qui le rendait obsolète avant même sa publication. A la suite d'un concours lancé par le Bureau de Recensement américain, Hermann Hollerith inventa une machine à cartes perforées grâce à laquelle le recensement de 1890 ne prit « que » trois ans.

Carte perforée 80 colonnes (photo Wikipédia.org)

On peut considérer que l'invention de la carte perforée par Hollerith marque la naissance de l'informatique (Hollerith fonda sa propre société qui devint IBM). L'ordinateur quantique permettra peut-être de prévoir les résultats des élections américaines.

Doit-on en conclure que c'est pour résoudre des problèmes de comptage américains que l'informatique accomplit ses plus grands progrès ?


Processeur quantique Rigetti (IBM-Futura-sciences)