Projet alpAlga : le sang des glaciers - Rencontre avec Alberto Amato

Publié par Sandy Aupetit, le 20 avril 2023   1k

Le projet de recherche alpAlga vise à étudier les algues présentes sur les glaciers des Alpes. Alberto Amato nous parle des enjeux du projet, du lien avec le changement climatique et de sa contribution.

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Bonjour Alberto, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Bonjour à tous je suis Alberto Amato, chercheur en génie génétique. Je travaille au CEA dans une unité mixte de recherche qui s'appelle LPCV, Laboratoire de Physiologie Végétale et Cellulaires. Mon projet de recherche principal, c'est l'étude des lipides qui font partie des algues et leurs voies de synthèse. Je tente d’identifier les gènes qui sont responsables de la production de ces lipides. 

Qu’est-ce que le projet alpAlga ?

Le projet alpAlga est le premier projet en France qui vise à étudier la biodiversité des neiges des Alpes. Bien que le nom parle d'algues, on a trouvé plein d'autres représentants de la biodiversité et on travaille aussi sur d'autres organismes.

L'idée c'est que les algues des neiges produisent ce qu'on appelle la neige rouge. Ce sont des algues qui ont une très forte coloration rouge due à un pigment appelé l’astaxanthine.

A cause du réchauffement climatique et de l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère, les algues poussent mieux, et on observe donc plus de taches rouges. La problématique, c'est que la couleur rouge de ces algues diminue la réflexion du rayonnement solaire (albédo), ce qui entraîne une augmentation des températures et, par conséquent, une fonte plus rapide de la neige rouge par rapport à la neige blanche.

En connaissant les mécanismes qui conduisent ces algues à avoir une croissance plus importante dans les conditions environnementales qu'on a maintenant, cela pourrait nous aider à ralentir ce processus. Le manque de connaissances sur l'écosystème des neiges nous ferait perdre des informations d'un point de vue biologique et écologique.

Cellules d’algues rouges au microscope

Pourquoi étudier les microalgues ? Quels sont les intérêts et enjeux de l’étude?

L’enjeu est de comprendre pourquoi et comment ces algues arrivent à pousser dans un environnement si hostile, parce qu’en haute montagne il fait très froid et il y a beaucoup de lumière. Ce qui nous intéresse c’est que le rayonnement UV est plus élevé qu’au niveau de la mer. Non seulement ça peut nous donner des indices sur la manière dont ces algues se développent physiologiquement parlant, mais aussi sur certaines de leurs fonctions biologiques. Et au delà de ça, c’est important de garder une trace de ce qu’auront été les environnements de haute montagne quand les glaciers et les neiges pérennes disparaîtront d’ici 50 ou 100 ans.

Comment et pourquoi ces microalgues sont-elles apparues dans les montagnes?

C’est la question du projet. Ce qui nous échappe, c'est que quand on trouve une tache rouge à un endroit très spécifique, en haute montagne, l'année d'après 99 % du temps on retrouve la même tache au même endroit.

On se demande où ces algues vont quand il n’y a pas de neige. Est-ce qu’elles restent dans le sol ? Est-ce qu’elles se font transporter par le vent ? Est-ce qu’elles apparaissent ailleurs et quand la neige fond, est-ce qu’elles se font transporter dans ces endroits-là ? Les endroits qui récoltent ces algues ont-ils des configurations de sol spécifiques ?

Quelles sont les méthodes utilisées pour étudier les microalgues ?

On a une approche génétique et c’est plutôt moi qui m’occupe de cette partie-là. Ce qu’on a fait jusque là c’est de récolter le plus d’algues possible, pour extraire de l’ADN et le séquencer pour avoir un génome complet. Ce qu’on cherche dans ce génome, ce sont des enzymes particulières ou des mécanismes qui permettent aux algues de résister au froid.

La seconde approche, c’est une approche vraiment naturaliste. On utilise la microscopie à fluorescence pour regarder si la chlorophylle présente est encore active. On a aussi beaucoup utilisé la microscopie électronique.

Après on a une approche expérimentale, physiologique. C’est un peu plus compliqué parce qu’on ne peut pas cultiver ces algues rouges, mais on peut faire des expériences sur d’autres algues des neiges.

Alberto échantillonnant de l’eau de ruissellement

Quel est le lien entre le changement climatique et le développement des microalgues?

Aujourd'hui on a une quantité de CO2 dans l'atmosphère qui est trois fois plus élevée qu’il y a 200 ans. Les algues utilisent le CO2 pour la photosynthèse. Le fait qu' il y ait des changements si profonds des conditions environnementales comme l’augmentation de la température, des taux de CO2 et d’humidité peut favoriser certaines algues. C’est vrai aussi dans les océans où l'augmentation de CO2 produit ce qu'on appelle l'acidification des océans, qui favorise certaines espèces de microalgues.

Ce que l’on sait c’est que la présence des algues est sûrement liée à l’accélération de la fonte des neiges. Mais notre question c’est surtout leur rôle écologique : Pourquoi sont-elles là ? D’où viennent-elles ? Où vont-elles ? 

Alberto Amato


Quel est l’impact de la présence des microalgues sur les montagnes qu’elles habitent?

C’est l’une des questions auxquelles on veut répondre pendant le projet. Ce que l’on sait c’est que la présence des algues est sûrement liée à l’accélération de la fonte des neiges. Mais notre question c’est surtout leur rôle écologique : Pourquoi sont-elles là ? D’où viennent-elles ? Où vont-elles ? 

C’est important parce que quand on parle d’écosystème, on ne garde pas forcément en tête que c’est un environnement où chaque élément est lié à l’autre. Ces algues-là se “construisent” un environnement chimique autour d’elles, qui pourrait leur permettent de vivre là. Ce que l’on cherche c’est le rôle que ces algues jouent dans l'écosystème des neiges.

Quel est votre rôle dans ce projet ? 

Mon rôle dans ce projet, c’est surtout gérer la partie génétique. Au tout début, on a eu du mal à identifier une méthode d’extraction d’ADN. En fait extraire l’ADN d’une cellule d’algue c’est complètement différent que d’extraire celui d’une cellule humaine.

On a commencé à travailler sur 5 espèces d’algues différentes et donc on a dû mettre au point des protocoles différents avec des petites astuces pour extraire l’ADN de chacune d’elles. Moi j’étais impliqué dans cette partie là, l’organisation des séquençages et des analyses après le séquençage.

J’ai aussi été élu comme responsable de la coordination au niveau européen du séquençage des différentes souches d’algues des neiges, un peu partout en Europe.

Eric Maréchal, Ludovic Gielly, Jade Ezzedine et Alberto Amato - équipe alpAlga

Quelle sera la suite du projet ?

AlpAlga existe depuis 2 ans et existera encore 2 ans. C'est un projet national qui va produire beaucoup de résultats et beaucoup de connaissances. Il y a plein de possibilités d'ouverture que ce soit chez nous ou ailleurs, comme une possible ouverture en biotechnologie.

On espère tous qu’il y aura un alpAlga 2.0 parce qu’on n’arrivera sûrement pas à répondre à toutes les questions qu’on a aujourd'hui. Et ça, ça dépendra de la stratégie de recherche nationale.

Grâce au congrès auquel on a participé en novembre à Prague, on a pris beaucoup de contacts avec d'autres personnes qui travaillent sur les algues des neiges. Avec un réseau au niveau européen, on a plus de chance de pouvoir avoir des financements pour poursuivre le projet.

Quels sont les laboratoires impliqués dans le projet alpAlga ?

AlpAlga est un projet en collaboration entre Le Laboratoire de Physiologie Cellulaire et Végétale, le jardin du Lautaret, le Laboratoire d’Écologie Alpine, le Centre d’Étude de la Neige, l’Institut des Géosciences de l'Environnement, l’Institut de recherche interdisciplinaire de Grenoble, l’Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble, la National Science Foundation et la Kilian Jornet Foundation.

Le porteur de ce projet est Eric Maréchal qui est le directeur de mon laboratoire. Dans l’équipe alpAlga il y a 21 chercheurs et doctorants.

Pour aller + loin

Article rédigé par Alyssa Morillon et Perrine Beria


Cet article a été rédigé par les étudiant·e·s suivant l'enseignement transversal "Vulgarisation scientifique et écriture journalistique" proposé à l'Université Grenoble Alpes (UGA). Cet enseignement est encadré par Sandy Aupetit, chargée de médiation scientifique à l'UGA et Laura Schlenker, professeure associée au Master CCST de l'UGA et co-fondatrice de La Fabrique Média


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