Étudier les glaciers de montagne : rencontre avec la glaciologue Marion Réveillet

Publié par Sandy Aupetit, le 20 avril 2023   1.2k

Marion Réveillet est glaciologue à l’Institut des Géosciences de l’Environnement de Grenoble. Elle s’intéresse actuellement à l’impact de la pollution atmosphérique sur l’évolution des glaciers dans les Alpes et dans les Andes. Alors que la fonte des glaciers devient un enjeu climatique majeur, elle nous explique ici comment les glaciologues parviennent à mesurer ce phénomène.

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Il est de notoriété publique qu’il y a une accélération de la fonte des glaciers depuis plusieurs années due au réchauffement climatique. Qu’est-ce qui permet de mesurer et de quantifier ce phénomène ?

Les glaciers sont de très bons indicateurs climatiques : un glacier va répondre directement à ce qui se passe au niveau du climat grâce à ce qu’on appelle son bilan de masse. En gros, il va gagner de la masse grâce aux précipitations neigeuses, il va grossir, et à l’inverse, il va fondre, sous l’effet notamment d’une hausse de température. Avec ce bilan de masse, on va pouvoir connaître l’état de santé du glacier. Normalement, un glacier équilibré, en bonne santé, est censé accumuler de la masse et en perdre en même proportion. A l’heure actuelle, les glaciers ne sont plus du tout à l’équilibre, ils ont un bilan de masse très négatif, et ça se traduit par un recul des glaciers.

Vous vous intéressez aux glaciers alpins. Sur quels glaciers travaillez-vous plus spécifiquement ?

A l'échelle française, on a des glaciers qui sont labellisés. Ils font partie d'un observatoire qui s'appelle le Service National d'Observation GLACIOCLIM. Il y a cinq glaciers dans les Alpes qui sont instrumentés et sur lesquels on a des mesures régulières depuis plus de 30 ans. Il y les glaciers de Saint Sorlin et de Sarennes dans le massif des Grandes Rousses, le glacier de Gébroulaz en Vanoise et deux qui sont plus connus dans le massif du Mont-Blanc : la Mer de Glace et le glacier d'Argentière (voir carte). C'est pour ça aussi qu'on comprend bien l'impact entre le changement climatique et l'évolution des glaciers : on a des séries de mesures qui sont continues dans le temps et qui sont longues. On ne peut pas faire des tendances sur 10 ans, il faut plusieurs dizaines d'années.

Comment ont été choisis ces cinq glaciers ?

Tout d’abord, il faut qu’ils soient relativement accessibles. Ensuite, l’idéal est qu’ils soient assez représentatifs des zones étudiées. On a cinq glaciers dans trois massifs différents, avec souvent des expositions différentes, qui permettent de couvrir des conditions topographiques diverses. Le but est d'avoir une vision d'ensemble grâce à certains glaciers.

Comment s’organise la coopération internationale autour de l’étude des glaciers ?

Il y a un service d’observation à l'échelle mondiale qui s'appelle le WGMS, le World Glacier Monitoring Service. Plus de 130 glaciers dans le monde sont équipés et permettent de faire des mesures de bilan de masse. Trois des cinq glaciers français en font partie. Le WGMS permet de regrouper des observations à l’échelle mondiale, permettant des analyses globales.

Photographie d'un glacier entouré de montagnes
Le glacier d’Argentière dans le massif du Mont Blanc, vu depuis le glacier des Améthystes.

Quelle technique utilisez-vous pour mesurer le bilan de masse d’un glacier ?

On utilise une méthode très ponctuelle : poser des balises. Dans les Alpes, il y a une saison d’accumulation entre octobre et avril-mai où le glacier gagne de la masse. A la fin de la saison d’accumulation, on mesure la quantité de neige que le glacier a gagné en des points précis en faisant des forages de neige. On va aux mêmes endroits chaque année. Ensuite, on met une balise, c’est-à-dire un grand bâton, dans la glace ou dans la neige et chaque mois au cours de l’été, on mesure de combien cette balise dépasse. On fait ça en certains points du glacier et ensuite on le spatialise, c’est-à-dire qu’on étend les observations à toute la surface du glacier.

Photographie de Marion Réveillet et son collègue sur un glacier. Marion est courbée en train de planter une tige en fer dans la glace. Son collègue la regarde.
Marion et son collègue installant des balises d’ablation sur le glacier Tapado, au Chili. Elles serviront à mesurer la perte annuelle de neige et de glace.

Existe-t-il d’autres méthodes ?

Une deuxième méthode utilisée est la télédétection. Un satellite va prendre une sorte de photo du glacier où il va connaître la position de sa surface en chaque point. S'il le fait à deux dates différentes, et en considérant l'écoulement du glacier, on va pouvoir retrouver son bilan de masse. Les avantages de cette méthode sont qu'on n’a pas besoin d'aller sur le terrain et qu’on peut accéder à des zones auparavant inaccessibles. Ça permet de donner une vision un peu plus d’ensemble, mais qui est limitée dans le temps parce que les images satellites ne sont utilisables que depuis les années 2000. De plus, elles ne permettent pas de faire des bilans de masse sur de courtes échelles de temps, seulement des bilans annuels ou pluriannuels. La télédétection est très complémentaire avec les méthodes que j’utilise et qui ont 50-60 ans de séries de mesures.

Vous travaillez maintenant sur l’impact des impuretés atmosphériques sur la fonte des glaciers. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont ces impuretés ?

On parle dans ce cas d’impuretés absorbantes car ce sont des impuretés qui absorbent l'énergie du Soleil. Je me suis principalement intéressée à deux sortes d'entre elles. La première est le carbone suie, une impureté d’origine anthropique issue de la combustion, donc par exemple du trafic routier ou des émissions par les usines. Ça fait des dépôts qui sont un peu gris-noirs sur la neige. Ensuite, on a une impureté d'origine essentiellement naturelle : les poussières minérales. Dans les Alpes, ce sont notamment des poussières en provenance du Sahara et, dans ce cas-là, la neige devient orange.

Comment ces impuretés peuvent-elles accélérer la fonte des glaciers alpins ?

On travaille beaucoup avec ce qu'on appelle le bilan d'énergie. On fait le bilan de l'ensemble des variables météorologiques qu’absorbe et que renvoie une surface. Ici, la variable la plus importante pour la fonte de la neige et des glaciers est l’énergie solaire. Une neige très blanche va renvoyer une très grande partie de l'énergie solaire qui arrive. Et plus on va foncer cette surface, plus l'énergie va être absorbée. C'est comme quand vous allez au soleil avec un tee-shirt noir : vous allez avoir l'impression d'avoir beaucoup plus chaud qu’avec un tee-shirt blanc. C'est exactement pareil pour la neige : si on augmente l'énergie solaire absorbée par la neige ou la glace, on accélère très fortement la fonte.

Quels sont les outils que vous utilisez ?

Je travaille beaucoup avec des observations, des mesures de terrain, et des outils de modélisation. Le but est de représenter grâce à des modèles tous les processus physiques qui font qu'il y a une évolution du manteau neigeux et du bilan de masse des glaciers. Mais pour faire de la modélisation, on a toujours besoin d'observations. Ça va être dans un premier temps pour donner à manger à notre modèle : il faut par exemple connaître toutes les conditions atmosphériques pour pouvoir le faire tourner. Les observations vont aussi servir à le calibrer ou l'évaluer, savoir s’il représente quelque chose de réaliste ou pas du tout.

Comment parvient-on à distinguer l’impact spécifique de ces impuretés sur la fonte des glaciers de l’impact de la hausse des températures ?

Avec des outils de modélisation, on peut enlever un des deux. Dans l'étude qu'on a faite pour quantifier l'impact de l'un versus l'autre, on a fait une simulation qui prenait tout en compte : l'impact des impuretés, le changement climatique, etc. On a fait notre simulation et ensuite on a fait la même chose, mais on a enlevé les impuretés comme si la neige était complètement pure. On parle de tests de sensibilité à certains paramètres. Comme on a gardé les mêmes conditions climatiques, la différence entre les deux nous a permis de vraiment quantifier l'impact de ces impuretés. La modélisation permet d’isoler des effets spécifiques.

Article rédigé par Louise Lallement Arnaud et Sarah Piccamiglio


Cet article a été rédigé par les étudiant·e·s suivant l'enseignement transversal "Vulgarisation scientifique et écriture journalistique" proposé à l'Université Grenoble Alpes (UGA). Cet enseignement est encadré par Sandy Aupetit, chargée de médiation scientifique à l'UGA et Laura Schlenker, professeure associée au Master CCST de l'UGA et co-fondatrice de La Fabrique Média.


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