Le célèbre violon de Paganini sous les rayons X de l’ESRF

Publié par Esrf Synchrotron, le 13 mars 2024   430

Le week-end du 9 et 10 mars, l’ESRF a reçu une célébrité : le violon préféré du virtuose Niccolò Paganini, « Il Cannone ». Ce mystérieux violon vieux de près de 3 siècles a alors croisé le chemin des rayons X du synchrotron européen. Mais quelle est son histoire ? Pourquoi le faire scanner à l’ESRF ? Comment les scientifiques réalisent-ils leur expérience sur ce violon ?

Genèse d’un projet à la croisée des mondes

C’est en 1743 que le luthier Bartolomeo Giuseppe Guarneri, aussi connu sous le nom de « del Gesù », fabrique le violon « Il Cannone ». Ce violon sera celui du célèbre violoniste Niccolò Paganini jusqu’à sa mort. Paganini et son violon vécurent une véritable symbiose. Il l’appelait, par ailleurs, son « canon », en raison de ses prouesses acoustiques. Du fait de son attachement particulier à son violon et « afin qu’il soit perpétuellement préservé  », il le confia à Gênes, sa ville natale. Depuis 1851, le précieux instrument est conservé au Palazzo Tursi, siège de la municipalité de Gênes. Certains violonistes peuvent se produire en concert en Italie et à l’étranger avec le violon. Mais en jouer reste réservé au lauréat du concours international de violon Premio Paganini, qui se tient tous les deux ans à Gênes.

Un suivi constant de l’état de santé est nécessaire pour la conservation des violons anciens d’un intérêt historique et culturel majeur tel que « Il Cannone ». C’est dans ce contexte, qu’une collaboration scientifique a vu le jour entre le Premio Paganini, la municipalité de Gênes et ses conservateurs et une équipe de scientifiques de l’ESRF. L’enjeu : analyser l’état de conservation du violon et des matériaux qui le compose mais aussi mieux comprendre l’origine de sa sonorité exceptionnelle.

De gauche à droite sur la photo avec le violon "Il Cannone" au centre : Paul Tafforeau (scientifique et responsable de ligne BM18 à l'ESRF), Luigi Paolasini (scientifique et leader de l'équipe scientifique de cette expérience à l'ESRF), Alberto Giordano (conservateur du violon "Il Cannone"), Bruce Carlson (conservateur sénior du violon "Il Cannone").

Lors de ce projet unique, « la culture et la science, l’histoire et la musique se rencontrent, s’entrelacent, autour du violon le plus célèbre du monde », expose Marco Bucci, maire de Gênes. Travailler sur « Il Cannone » était par ailleurs un rêve pour Paul Tafforeau, lui-même violoniste et scientifique à l’ESRF (responsable de la ligne BM18). « Nous avons dû relever quelques défis logistiques et techniques, mais l’équipe de l’ESRF a fait un travail remarquable pour faire de ce rêve une réalité », explique Paul. « L’ensemble de cette étude est réalisée dans le cadre d’une coopération internationale sans précédent basée sur l’excellence et la virtuosité », ajoute Giovanni Panebianco, président du Prix Paganini.

Cette étude s’est déroulée sur la nouvelle ligne de lumière BM18. La mise en service d’un nouveau synchrotron en 2020 doté de performances multipliées par 100, combinée aux techniques utilisées sur la ligne BM18, a permis de pouvoir voir des détails atteignant l’échelle micrométrique. Cela a rendu possible le scan d’organes humains complets pendant l’épidémie de la Covid-19 avec une résolution inégalée. Aujourd’hui, il est possible d’explorer l’intérieur d’un violon comme celui de Paganini grâce à une reconstruction en 3 dimensions obtenue par micro-tomographie à rayons X. « C'est comme un scanner médical, mais mille fois plus précis. Le but étant de voir toute la structure tridimensionnelle jusqu'au niveau cellulaire du bois », explique Paul Tafforeau.

Premier voyage au cœur du célèbre « Il Cannone »

Le jour tant attendu par les scientifiques est arrivé : ils vont enfin pouvoir scanner le célèbre violon de Paganini, « Il Cannone ». C’est le samedi 8 mars que les expérimentations démarrent après plusieurs mois de préparation et de tests sur d’autres violons. C’est alors le début d’un marathon de 48 h pour les scientifiques qui vont travailler jour et nuit sur cette expérience. Ils vont alors faire face à un défi de taille : le violon mesure 60 cm de hauteur et le scan ne peut être réalisé, pour le moment, que sur une hauteur de 30 cm maximum. Le violon est alors incliné d’un angle de 40 degrés afin de pouvoir le scanner entièrement. Ensuite, il est installé verticalement pour permettre aux scientifiques de zoomer sur certaines parties et ainsi obtenir une reconstruction en 3 dimensions encore plus précise. Paul Tafforeau ajoute également que la grande force de l’utilisation de l’ESRF pour ce type d’expérience réside dans le fait  « qu’un synchrotron permet de combiner une très faible puissance et une grande sensibilité, permettant d’obtenir les résultats les plus précis du monde, tout en ayant des doses de rayons X très faibles et ainsi non destructeurs pour le violon ». Lundi, Paul Tafforeau dévoile les premières images obtenues dans la nuit : on y découvre l'intérieur du violon avec des détails qui font 35 millièmes de millimètre ; on découvre aussi les veines du bois, les clous qui tiennent le manche et même quelques micro-attaques d'insectes. « Au total, on a enregistré 20 térabytes de données », précise Paul Tafforeau.

La prochaine étape pour les scientifiques : analyser la masse de données qu’ils ont prises durant ce week-end particulièrement intense afin d’obtenir une cartographie complète du violon, mais aussi de l’ensemble des interventions et réparations effectuées dans le passé par des luthiers. Ils seront alors à même de percer les secrets de ce violon aux qualités acoustiques exceptionnelles. Paul mentionne qu’il « espère que cette expérience sera la première d’une longue série ». En effet, elle ouvre la porte vers de nouvelles possibilités pour étudier la conservation d’autres instruments de musiques. « Dans quelques mois, nous pourrons travailler sur des instruments de musiques beaucoup plus grands, de la taille d’une contrebasse », grâce à la mise en place d’un nouveau tomographe, évoque Paul.

Affaire à suivre donc …

Emma Bellavia - Stagiaire M2 en communication scientifique