Les implications de la sécheresse sur les usages énergétiques de l’eau

Publié par Encyclopédie Énergie, le 19 juillet 2022   1.5k

Du fait du réchauffement climatique, de la baisse des précipitations moyennes, des épisodes de canicule plus intenses et plus longs, la ressource hydrique est de plus en plus en tension. Source de vie par excellence, l’eau est dans ce contexte encore plus prisée pour la consommation humaine, l’industrie, l’agriculture, qui doivent s’adapter à cette rareté (lire le billet Echosciences de A3E de juin 2022, Climat et Ressources en eau). Comment la tension sur cette ressource affecte-t-elle et affectera-t-elle la production d’énergie ?

1. Sécheresse et appauvrissement des réserves

Les images de juillet 2022 du lac de Serre-Ponçon ou des gorges du Verdon avec un niveau d’eau très faible sont impressionnantes (figure 1) et témoignent de la baisse des réserves hydrauliques. Plus rare, plus précieuse, avec une nécessité de la partager entre tous les usages, elle pourrait être vue à l’avenir comme un nouvel « or bleu » dans le monde énergétique.


Figure 1 : Lac de Serre Ponçon, au niveau du Riou Boudou [Source : En images. Le lac de Serre-Ponçon souffre de la sécheresse (ledauphine.com)]

2. Usages énergétiques de l'eau et impact de la sécheresse

Les relations entre la ressource en eau et l’approvisionnement en énergie sont nombreuses.

2.1. Hydroélectricité

L’eau est utilisée pour la production d’électricité. Elle reste l’énergie renouvelable la plus développée dans le monde. Elle permet une production flexible en turbinant les retenues d’eau lorsqu’il y a un besoin ainsi que le stockage d’énergie par turbinage/pompage.

Dans un contexte de chaleur et de raréfaction de la ressource, le niveau des retenues d’eau est de plus en plus bas, comme le prouve le niveau des retenues de Serre-Ponçon ou de Sainte Croix qui font la une de l’actualité, mais aussi l’ensemble des retenues de barrage dans le monde [1] (figure 2). L’énergie hydraulique doit être rationnée pour conserver suffisamment de ressource afin de subvenir à des besoins électriques en croissance lorsque la saison automnale puis hivernale commencera à arriver.

Figure 2 : Barrage et lac de Folsom dans le comté de Sacramento (janvier 2014). Crédit : Paul Hames/California Department of Water Resources [Source : Les sécheresses augmentent les émissions alors que l'hydroélectricité s'assèche (scienceaq.com)]

Également, un certain débit doit être garanti pour ne pas entraver la libre circulation des espèces aquatiques notamment les poissons, afin d’éviter une dégradation de la qualité de l’eau en la rendant trop chaude et stagnante, une accumulation des sédiments, une concentration des substances polluantes dans la retenue [2].

2.2. Refroidissement des centrales thermiques 

Fréquemment, certaines centrales thermiques doivent réduire, voire stopper, leur production du fait d’une température trop élevée de l’eau utilisée pour le refroidissement de la centrale (figure 3). En effet, l’eau utilisée pour refroidir le réacteur et est rejetée en aval de la centrale après avoir été réchauffée par échange thermique avec le réacteur. Des limites réglementaires ont été instaurées pour que les écosystèmes en aval ne subissent pas trop ce réchauffement (migrations d’espèces, prolifération d’algues, étouffement de formes de vie aquatique avec réduction de l’oxygène disponible). Ainsi, quand la température moyenne de l’eau du cours d’eau ou de la mer est trop élevée, la centrale ne peut pas utiliser l’eau pour se refroidir. Elle stoppe donc sa production ce qui peut induire des tensions sur le réseau électrique.

Figure 3 : L’eau pour refroidir les centrales thermiques [Source : Le nucléaire et l’eau - Partage des eaux]

C’est principalement le cas des centrales situées à côté de fleuves qui subissent de façon plus marquantes les variations de quantité et de qualité de l’eau. Ainsi, les canicules peuvent réchauffer l’eau des rivières au-delà de 28°C, limite réglementaire pour le refroidissement, ou bien faire baisser le débit des rivières en deçà de la limite où le pompage est possible pour refroidir la centrale. De plus, il peut y avoir un problème des effluents radioactifs où, en dessous d’un certain débit, ils ne peuvent plus être rejetés par les centrales dans l’environnement sans traitement, car la capacité de dilution des rivières est moindre, et donc la concentration radioactive augmenterait. Ces effluents doivent donc être stockés, en attendant le retour d’un débit normal, ce qui peut prendre beaucoup de temps.

3) Conflits d'usages et implications géopolitiques

La raréfaction des ressources en eau peut conduire dans des zones en forte tension hydrique à déclencher des conflits de l’eau (figure 7). En Afrique ou au Moyen Orient, l’approvisionnement en eau est un facteur clef pour continuer le développement des populations. Il pourrait y avoir des conflits frontaliers. Par exemple, entre l’Egypte et l’Ethiopie, la construction du barrage Renaissance a réduit le débit du Nil égyptien qui fournit 98 % de l’eau consommée dans le pays, et les Egyptiens ont demandé des garanties pour garder un débit minimal dans le Nil. Un autre exemple connu est les conflits d’usages émanant du fleuve Colorado. Son eau est extrêmement exploitée par les grandes villes américaines notamment pour fournir en énergie et en eau de consommation une ville comme Los Angeles, et elle est également massivement utilisée par les agriculteurs du Sud-Ouest des États-Unis. Cette utilisation excessive de l’eau entraine des tensions chez les Mexicains qui se sentent lésés par les ricains.

Figure 4 : Les tensions géopolitiques liées à l’eau dans le monde [Source :Manuel Histoire-Géographie-EMC 5e | Lelivrescolaire.fr]

Ainsi, l’eau dans ces régions est souvent un catalyseur de conflit qui s’ajoute à d’autres causes : ethniques, religieuses, politiques ou économiques [3]. Et ces tensions sont encore renforcées par la raréfaction de la ressource qui conduit à trouver des terrains d’entente dans l’adaptation à ces effets directs du changement climatique.

4) L'eau, une énergie potentiellement destructrice

En corollaire à la hausse de la température moyenne, des phénomènes tropicaux et équatoriaux sont plus à même de survenir sous les latitudes moyennes. Cela se traduit au niveau météorologique par des cumulus à plus de 5000 m d’altitude ce qui conduit à des écarts plus important air froid-air chaud induisant des orages violents, de la grêle ainsi que d’autres événements climatique extrêmes. On peut imaginer que ces chutes importantes complètent le cycle de l’eau, ce qui permet de refaire les stocks amoindris par la sécheresse et les fortes chaleurs. Néanmoins, cette concentration spatiale et temporelle des chutes d’eau ne permet pas une assimilation de l’environnement avec de nombreux ruissellements, et peut causer d’importants dégâts matériels tels que des mouvements de terrain, des inondations, des coulées de boue, du type de ceux de la vallée de la Tinée et de la Vésubie en 2020 après le passage de la tempête Alex (figure 5).

Figure 5 : Nombreux dégâts à la suite du passage de la tempête Alex en Vésubie en 2020 : Nos images impressionnantes des inondations dans le Sud - La Voix du Nord

L’appauvrissement en ressource des sites actuellement en place invite aussi les communautés à réfléchir à installer de nouveaux sites utilisant l’énergie hydraulique. Cela peut impliquer l’inondation de sites naturels, le déplacement de population, de même que tout l’impact écologique de la construction du site, de l’exploitation puis du démantèlement. Des arbitrages entre préservation de l’environnement existant et besoin d’énergie devront être trouvés.

Tous ces changements énergétiques par rapport à la ressource hydrique, la plupart subis, sont des nombreux exemples de la menace globale et de l’instabilité croissante qui pèse sur notre planète. Du fait du changement climatique qui s’est accéléré ces dernières années, l’eau, élément indispensable à la vie, devient plus rare et plus convoitée, tel un nouvel « or bleu » à utiliser précieusement.


Sources :

[1] Hydroélectricité : le climat menace la production mondiale (energiesfrance.fr)

[2] L’Hydroélectricité - Fédération Nationale de la Pêche en France (federationpeche.fr)

[3] L'eau, un enjeu géopolitique majeur, entre conflit et coopération | Conflits : Revue de Géopolitique (revueconflits.com)


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