Les sports d’hiver : mal des montagnes ?

Publié par Virginie Girard, le 8 avril 2021   1.2k

2020. Article écrit par Cyrille GOUAT, Étudiant M2BEE.

Les aménagements nécessaires à la pratique des sports d’hiver détériorent les paysages alpins mais aussi leurs écosystèmes, en impactant de nombreuses espèces animales et végétales. L’essor des nouvelles pratiques hors-piste pourrait aggraver les choses.

Paysages enneigés
Pistes de ski et télésiège en Savoie (Crédit : auteur)

L’hiver dernier, j’ai eu la chance de pouvoir m’initier au ski de randonnée. Pratiquant le ski depuis le plus jeune âge, il s’agissait de redécouvrir mon sport préféré mais aussi la montagne sous un nouvel angle. Le souffle rendu difficile par le froid, les cuisses endolories par la montée et le silence feutré des paysages enneigés constituent une expérience sans pareille, et bien éloignée de celle des stations de sports d’hiver que j’avais l’habitude de fréquenter

Là un tout autre paysage se dévoile: sous;le ronronnement des remontées mécaniques, difficile de tourner la tête sans apercevoir un pylône; ou un autre skieur. Les forêts sont marquées des trainées blanches de pistes, tandis que les alignements de canons à neige tentent de mitiger une inéluctable raréfaction de l’or blanc. Seulement, si la blancheur de la neige rend attrayant cet immense stade qu’est devenue la montagne, l’été dévoile les cicatrices laissées sur les versants par l’aménagement des pistes ou des remontées. C’est un fait;: l’industrie des sports d’hiver a profondément modifié l’apparence de nos montagnes. Celles-ci sont pourtant d’une importance capitale pour la biodiversité. La zone du col du Lautaret dans les Alpes concentre ainsi 30 % des espèces de plantes vivant en France.

L’essor du ski au XXème siècle a marqué l’incursion de l’Homme dans un milieu dont il était quasi-absent durant la saison hivernale. Pour autant, cela fait des millénaires que la présence humaine marque et modèle les montagnes1. Avant le tourisme de masse, leurs paysages étaient dominés par les cultures de céréales, qui occupaient les versants ensoleillés, tandis que la majorité des prairies, parfois raides, servaient d’alpages ou étaient fauchées pour apporter du fourrage au bétail pendant l’hiver. Déjà, la production de fromage jouait un rôle important dans l’économie locale. Le tourisme lui offrira de nouveaux débouchés, et permettra le maintien de la population. Il participera alors grandement au développement économique des massifs montagneux.

Les ravages de l’industrie du ski

Les années 60 ont connu l’explosion des sports d’hiver, et avec elle, la construction de nombreuses remontées mécaniques. Puis, à partir des années 70, se développe le terrassement des pistes, dans le but d’avoir des pentes plus homogènes et ainsi faciliter et rendre plus accessible la pratique du ski. Ses conséquences sont néanmoins majeures. Les terrassements sont en effet très destructifs et enlèvent l’ensemble de la végétation et une partie du sol, détruisant ainsi des habitats qui ont mis très longtemps à se former. Rien que dans les Alpes, cela représente des milliers de kilomètres de pistes qui altèrent et détruisent les prairies et forêts2.

Afin de minimiser les problèmes d’érosion liés à la mise à nu du sol, et d’améliorer sa stabilité, un couvert végétal est souvent restauré en projetant des graines mélangées à de l’engrais, comme du compost1. Cependant, les semences utilisées sont généralement issues du commerce car moins chères, aboutissant à l’introduction d’espèces non-autochtones. Il a ainsi été montré que les pistes présentent une biodiversité amoindrie3.

Par ailleurs, le travail de préparation des pistes par le damage et le passage des skieurs et autres snowboardeurs va entraîner une compaction de la neige3. Combinée à l’utilisation de neige de culture, elles tendent à retarder la fonte de la neige de deux à trois semaines au niveau des pistes. Cela altère profondément le cycle de développement des plantes, qui doit alors se faire sur une plus courte période. La composition de espèces de plantes s’en trouve profondément modifiée: on trouve moins de plantes à floraison précoce, et à l’inverse, davantage de plantes à floraison tardive.

Les pistes de ski représentent ainsi un habitat détérioré, avec des effets délétères sur la faune. Diverses études ont montré que la diversité des espèces animales diminuait au niveau des pistes par rapport aux zones alentours, affectant tant les oiseaux que les petits mammifères ou les insectes, pour qui elles représentent des barrières parfois difficiles à franchir2. Plus grave, il semble que la présence de pistes de ski ait une influence à plus large échelle: certaines espèces d’oiseaux comme le pipit spioncelle ou le traquet motteux ont une abondance inversement proportionnelle à l’étendue des pistes.

Les câbles des remontées mécaniques peuvent quant à eux représenter un danger mortel pour de nombreuses espèces d’oiseaux lorsqu’ils les percutent4. C’est particulièrement le cas pour ceux de la famille des tétras, dont le fameux lagopède, pour qui ils représentent une cause majeure de mortalité, mettant en danger ces espèces déjà menacées.

Nouvelles pratiques, nouveaux problèmes

A l’opposé des stations de ski aux multiples impacts sur les écosystèmes alpins, d’autres pratiques plus en harmonie avec la nature sont en plein développement ces dernières années. Le ski de randonnée, pratique autrefois confidentielle et réservée aux initiés, a profité de l’évolution du matériel mais aussi d’un certain rejet de la laideur et de l’effervescence des stations, considérées comme destructives pour la montagne. Au-delà de l’activité physique procurée par les dénivelés parfois importants, ces nouveaux pratiquants, dans la droite ligne de l’expansion des sports de nature, recherchent avant tout le contact avec les espaces sauvages5.

Pour une majorité d’entre eux, il s’agit d’une expérience esthétique. Une relation contemplative s’installe entre l’humain et le milieu naturel, qui peut même prendre une dimension spirituelle chez certains, en quête d’une certaine connexion avec la montagne. Celle-ci devient un moyen de se ressourcer tandis que les randonneurs portent une attention particulière à la protection du milieu qu’ils traversent. Pourtant, cette pratique pourrait avoir des effets catastrophiques sur la faune. En s’aventurant dans des lieux autrefois libres de présence humaine pendant la période hivernale, les skieurs sont une importante source de dérangement pour la faune, à une période critique pour sa survie, en raison du froid et du manque de nourriture6. En réaction, les animaux vont avoir des comportements qui leur coûteront une énergie pourtant précieuse;: il peut s’agir de la fuite, ou de l’arrêt de la prise de nourriture. Dans certains cas, ce dérangement peut aboutir à un échec de la reproduction. Chez le tétras lyre, une espèce d’oiseau emblématique des Alpes appartenant aux gallinacés, les rencontres avec les skieurs représentent une importante source de stress qui peut, avec les passages répétés, se transformer en stress chronique.

Ski de randonnée dans l’Oisans (Crédit : auteur)

Une étude menée autour de la vallée du Rhône en Suisse s’est penchée sur l’impact des pratiques hors-piste sur cet oiseau6. Au moyen de photos aériennes, les chercheurs ont pu déterminer les zones fréquentées par les skieurs et par les tétras, à travers les traces laissées dans la neige. Si les infrastructures des stations de ski ont déjà privé les oiseaux d’environ 12 % de leur habitat, l’effet est bien plus important lorsqu’on ajoute les zones fréquentées par les skieurs en dehors des stations: il s’avère que moins du quart de la surface de l’habitat potentiel du tétras lyre est épargnée par les sports d’hiver. Cette importante réduction de la surface des zones pouvant lui convenir rend plus difficile le passage de la saison froide.

Des impacts inévitables ?

Il sembler que la pratique des sports d’hiver soit inséparable de lourdes conséquences sur les écosystèmes montagnards. Pour autant, des méthodes de gestion appropriées peuvent aider à en limiter les effets. Une étude réalisée dans la station autrichienne de la Schmittenhöhe, a montré l’existence d’une forte biodiversité sur 5 des 6 pistes investiguées7. Quelques 71 espèces de plantes ont été retrouvées dont certaines espèces menacées comme l’épervière orangée présente en abondance, tandis que la diversité de criquets comme la miramelle alpestre montre une bonne qualité de ces prairies. Cette étonnante diversité est liée aux techniques de gestion appliquées sur ces pistes, avec une unique fauche annuelle de la végétation.

En Suisse, les chercheurs qui ont étudié les tétras lyre préconisent quant à eux la création de refuges pour la vie sauvage, interdits à la pratique de la randonnée à ski, qui sont une mesure efficace pour limiter le dérangement provoqué par les activités humaines6.

Il est intéressant de remarquer que l’intérêt pour la protection de zones de haute montagne s’est fortement développé au même moment que la ruée vers l’or blanc. Les stations de ski ont ainsi donné, dans les années 60, une valeur économique aux espaces de haute montagne, voire aux glaciers, qui étaient autrefois des terrains sans valeur car inexploitables, quand ils n’étaient pas craints par la population8. A la même époque, naissent plusieurs parcs nationaux comme celui de la Vanoise, précisément dans le but de protéger ces espaces riches et fragiles. La haute montagne montre à merveille la contradiction et les tensions entre deux perceptions opposées, entre exploitation et conservation. Aussi primordiaux qu’ils puissent être pour l’économie des zones montagneuses, les sports d’hiver doivent absolument se conformer à l’exigence de préservation des espaces exceptionnels de nos montagnes, et mettre en place des pratiques plus respectueuses des écosystèmes.


Bibliographie

  • Hassid M.-J. 2007. L'agriculture et l'aménagement des domaines skiables dans les Alpes : des enjeux environnementaux en montagne. Géoconfluences. Disponible à l’adresse :
  • Caprio, E. et al. 2014. Skiing, birds and biodiversity in the Alps. BOU Proceedings – Ecology and conservation of birds in upland and alpine habitats.
  • Wipf S. et al. 2005. Effects of ski piste preparation on alpine vegetation. Journal of Applied Ecology, 42 : 306–316.
  • Bech N. et al. 2012. Bird Mortality Related to Collisions with Ski–Lift Cables: Do We Estimate Just the Tip of the Iceberg? Animal Biodiversity and Conservation, 4.
  • Perrin-Malterre C. & L. Chanteloup. 2018. Randonner à ski et en raquettes dans les Hautes-Bauges (Savoie-France) : étude des modalités de pratiques sportives et des formes d’expérience de la nature. Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine, 106-4.
  • Braunich V. et al. 2011. Spatially explicit modeling of conflict zones between wildlife and snow sports: prioritizing areas for winter refuges. Ecological Applications, 21(3) : 955–967.
  • Xenius - Les alpages : nécessaire lutte contre l’enfrichement. 2020. Émission de télévision. Animée par Caroline du Bled et Gunnar Mergner. Diffusée le 20/11/2020. Allemagne. Arte.
  • Mayer M. & I. Mose. 2017. The opportunity costs of worthless land: The nexus between national parks and glacier ski resorts in the Alps. Eco-mont, 9 : 35-45.