Mikaël Chambru : la montagne autrement

Publié par GREC Alpes Auvergne, le 26 juin 2025

Mikaël Chambru est maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, co-coordinateur scientifique du Labex Innovation et Transitions Territoriales en Montagne (ITTEM) et chercheur au sein du Groupe de recherche sur les enjeux de la communication (GRESEC). Il revient ici sur l’importance de la médiation et de l’engagement scientifique pour faire face au changement climatique. 

Quel est votre domaine de recherche et son lien avec le climat ?

Mes travaux portent sur la transition des territoires de montagne. Je m’intéresse notamment aux enjeux d’aménagement et des conflits liés qui interrogent les modalités d’adaptation au changement climatique. J’enseigne à l’Institut de la Communication et des Médias (ICM) et je suis responsable du Master Communication et culture scientifiques et techniques (CCST). Au départ, je voulais être journaliste puis une succession d’opportunités au fil de mon parcours m’a amené à devenir enseignant chercheur. J’ai fait une thèse sur la controverse autour de l’énergie nucléaire, avec une approche pluridisciplinaire qui a confirmé mon goût pour la recherche autour des sujets qui interrogent le fonctionnement de la société, les processus démocratiques et les formes de médiatisation. Aujourd’hui j’étudie les mêmes questions mais sur un autre objet qui est la montagne. 

@Camille Niel

Quelle place occupe cette médiation scientifique dans votre activité ?

La médiation est centrale dans mon travail. Je pense qu’en tant que chercheur, notre rôle est d’accompagner les réflexions avec le regard critique que permet la méthode scientifique et de proposer des pistes d’action qui pourront être traduites par les acteurs publics. Il est nécessaire que les connaissances sortent du champ académique et soient partagées au sein de la société civile dès le début du processus de recherche. C’est de cette rencontre qu’émergeront les solutions de demain. Une société durable se construit collectivement, en partant de désaccords pour aboutir à des compromis. 

Quelles actions de médiation menez-vous ?

Je réponds favorablement aux sollicitations que ce soit auprès d’associations, de journalistes, de publics scolaires ou d’acteurs publics. J’écris aussi régulièrement des articles de vulgarisation pour The Conversation. A titre personnel, j’ai participé avec d’autres collègues à un ouvrage intitulé Glacier de la Girose, versant sensible sur la controverse de la construction du troisième tronçon du téléphérique au sein du glacier. Cet ouvrage collectif rassemble les témoignages de 18 scientifiques des universités de Grenoble et Chambéry dans des textes courts et sert de support pour l’organisation de débats et de conférences. Il y a deux ans, j’ai également réalisé un film documentaire sur la transition touristique dans le massif du Queyras avec un collègue géographe qui nous a servi lors de nos 44 projections à faire discuter des personnes qui ne se parlaient plus. 

@Coeur de Tarentaise tourisme

Quel regard portez-vous sur la manière dont le climat est abordé dans la société ?

J’observe aujourd’hui une tendance à la polarisation, à la controverse et aux “faux-débats” dans le traitement médiatique et politique du climat. Demander “pour ou contre le ski” par exemple n’a pas de sens. On peut tout à fait être attaché au ski, que je pratique moi-même à titre personnel, tout en étant conscient de la nécessité d'un changement de cap du modèle touristique dépendant de la neige pour faire face aux nouvelles réalités climatiques et préserver l'habitabilité de la montagne. Il faut accepter de changer nos habitudes et d’adapter nos pratiques ; ces changements passent par une nouvelle orientation stratégique pour les territoires de montagne : renoncer pour bifurquer. Et face aux bouleversements écologiques majeurs, l’enjeu est désormais de choisir entre anticiper ces renoncements ou les subir. Autrement dit, renoncer ce n’est pas reculer : c’est choisir autrement. Lors de notre traversée du Queyras pour le tournage du film, la neige était peu praticable ce qui donnait à voir une autre image de la montagne que celle attendue pour un mois de février avec de la poudreuse et des étendues continues de neige. Ce fut une expérience intéressante car elle a montré que renoncer à faire du ski dans des conditions optimales n’empêche pas de profiter de la montagne et de passer un très bon moment tous ensemble.

Que signifie pour vous l’engagement du scientifique ?

A mes yeux, s’engager en tant que chercheur c’est accepter de sortir de sa zone de confort et d’être remis en question, critiqué, bousculé par des publics autres que ceux de la communauté scientifique. Ces autres rationalités reposent souvent sur des savoirs d’usage auxquels il est intéressant d’être confronté. Je dirais qu’il y a  trois types d’engagement pour le chercheur : la médiation, le choix de la problématique et la prise de position politique. Tous les scientifiques sont donc nécessairement engagés. Mais le terme de “militant” est souvent utilisé pour désigner celles et ceux qui remettent en cause le modèle de société actuel. Cette étiquette n’a aucun sens sociologique et ne sert qu’à décrédibiliser leur parole dans le débat public alors qu’il y a une importance cruciale à ce qu’ils s’engagent. Nous avons aujourd’hui suffisamment de données scientifiques pour anticiper les conséquences du changement climatique. L’enjeu est de les traduire en actions et rapidement. Les politiques publiques d’adaptation actuelles en montagne, qui sont en majorité des mesures de réaction, ne sont clairement pas à la hauteur de l’urgence climatique. C’est pourquoi il est essentiel que les scientifiques ne se contentent pas de produire les connaissances mais de les partager auprès du plus grand nombre.

@Camille Niel


Vous pouvez retrouver les travaux de Mikaël Chambru ici.


Louise Chevallier