Palette gustative : pourquoi les enfants n'aiment pas les légumes ?

Publié par Imane Sabir, le 20 octobre 2016   13k

Pour la troisième émission de la 16ème saison du Magasine des sciences, nous nous sommes intéressés aux papilles gustatives. Les connaissons-nous vraiment, ces milliers de petits capteurs dans notre bouche ?

De nos jours, rares sont les enfants qui aiment tous les légumes. Nous avons tous eu affaire à des enfants qui n’aiment pas les endives, les choux de Bruxelles ou encore les brocolis. Cela peut dépendre bien sûr aussi, de la préparation des mères ou des pères. Mais en règle générale, le goût amer les poussera à les laisser sur le bord de leur assiette et à inventer des stratagèmes pour ne pas les manger.

Comment se fait-il alors que, bien des années plus tard, ils en mangent jusqu’au dernier petit bout ?

Chacun de nous possède plus de 10 000 papilles gustatives. Ces "organes du goût" sont répartis sur la langue, sur le palais et dans le pharynx. Lorsque vous goûtez un aliment, une petite partie de ces papilles transmettent constamment des signaux vers le cerveau. Avec l'âge, les papilles gustatives deviennent moins sensibles au goût. Ce qui diminue la sensibilité à l'amer que vous ressentiez très fort dans l'enfance. C'est ce qui nous pousse à activer au maximum nos papilles gustatives au moment où elles peuvent encore nous rendre de bons services.

L'enfant au jardin (photo Ludo Rouchy, 2012)

Quelles sont les sensations élémentaires de la palette gustative ?

Contrairement à l’odorat, la palette gustative est limitée à quatre sensations élémentaires : le salé, le sucré, l’amer et l’acide. C’est du mélange de ces quatre saveurs fondamentales que provient l’infinie diversité de ce qui est susceptible de réjouir (ou faire fuir) vos papilles linguales. La perception de ces saveurs se fait en différentes régions de la langue : le sucré à la pointe de la langue, le salé et l’acide sur les côtés et l’amer à l’arrière. Alors qu’en vérité, la plupart des bourgeons du goût (qui sont des petits corpuscules sensoriels situés sur les papilles de la langue) sont réceptifs à au moins deux saveurs et, surtout, la quasi-totalité des aliments que vous ingérez est un mélange de multiples saveurs, mettant à contribution l’ensemble de la surface linguale. Et sachez que la perception gustative porte uniquement sur des substances en solution, ce qui suppose leur dissolution préalable dans la salive… s’il y en a.

Existe-t-il d’autres saveurs qui font la richesse de notre palette gustative ?

Ils en existe certaines moins connues du grand public tel que la saveur dite « umami », du japonais « délicieux, savoureux », propre au glutamate présent, par exemple, dans la tomate mûre ou le fromage. L’existence de ce cinquième goût est admise par la communauté scientifique depuis 20 ans. Une étude parue dans Chemical science en date du 23 août 2016 révèle qu’un nouveau candidat « starchy », goût des féculents qu’on pourrait traduire par « amidonné », est en passe de rentrer dans ce cercle fermé.

Le « starchy » sera une sixième saveur qui s’ajoutera aux cinq saveurs différentes qui font la richesse de notre palette gustative ?

Exactement, mais pour cela, « starchy » devra satisfaire plusieurs critères. En effet, un « goût » doit correspondre à une molécule clairement identifiée, avec des récepteurs gustatifs associés (sur la langue) et une réponse comportementale propre. Aussi, de nombreux goûts sont à l’étude, tous plus ou moins susceptibles d’intégrer la liste des officiels : le goût métallique du sang, l’astringence caractéristique d’une noix fraîche ou d’une banane trop verte, ou encore le goût du gras. Si bien qu’aucun nouveau goût n’a, depuis « umami », rejoint la liste des goûts officiellement reconnus. Ainsi, des récepteurs gustatifs propres et une réponse comportementale correspondant à la saveur « kokumi » (en japonais toujours), celle de l’onctuosité, ont pu être mis en évidence. Mais les testeurs ne sont pas parvenus à distinguer l’identité caractéristique de « kokumi » parmi divers aliments.

Les médecins distinguent différentes anomalies de la fonction gustative. Les troubles du goût peuvent être une perte totale, une perte partielle ou une distorsion du goût. Quel sont donc les principales causes de troubles du goût ?

En effet, les principales causes de troubles du goût sont l’absence de production de salive, à l’origine d’une sécheresse buccale, empêchant la dissolution des molécules « stimulantes du goût », normalement présentes dans les aliments. La sécheresse buccale peut être la conséquence d’un syndrome sec ou d’une destruction des glandes salivaires d’autre origine. Ça peut aussi être dû à divers problèmes locaux : mauvaise hygiène bucco-dentaire, carie non soignée, gingivite (inflammation des gencives), le tabac et l’alcool, qui sont toxiques (entre autres !) pour les papilles gustatives. Des maladies infectieuses : sinusite, infection pulmonaire, ou tout simplement développement d’un champignon (ou mycose) sur la muqueuse linguale, souvent favorisé par un traitement antibiotique. Diverses pathologies neurologiques altérant le bon fonctionnement de la voie gustative causes ces troubles du goût, tel que les tumeurs, les AVC, les traumatismes crâniens, l’épilepsie temporale. Certaines pathologies psychiatriques peuvent comporter également une perturbation du goût.

Mais aussi, plusieurs médicaments ont comme effet secondaire possible une distorsion de goût, parmi lesquels de nombreux antibiotiques et chimiothérapies anticancéreuses.

Quelques conseils pour élargir et optimiser notre palette gustative

Sachez qu’il faut vous donner du temps. Le fait de manger tranquillement vous aide à prendre conscience du plat que vous dégustez. Pour ce faire, prenez des petites bouchées et mâchez lentement. La digestion n'en sera que meilleure... détail appréciable. Le cadre et le moment ou vous mangez sont très importants, c’est un point de départ à ne pas manquer en vue d’une belle expérience gustative. Lorsque vous êtes assis devant la télé et que vous pensez à autre chose, le plat sera avalé sans laisser de sensation gustative particulière. Choisissez donc de bien manger à table, c’est bien plus sympa.

Il faut aussi tester différentes saveurs : sucré, acide, salé, amer et « umami ». Faites acheter par un ami ou un membre de la famille des produits aux goûts cités. Dégustez-les à l'aveugle et faites part de ce que vous ressentez (ça pourrait vous faire de belle soirée aussi). Élargissez aussi votre horizon gastronomique en ajoutant des épices fraîches à vos plats. Par exemple en accompagnant un hamburger d'ail et de cajun ou en ajoutant du basilic (ou pistou) et de l'origan frais à la sauce pour pâtes. Sachez que le dosage des quantités permet d'apprécier les goûts. N'oubliez pas de sentir les herbes aromatiques avant de les incorporer à la recette. Cela vous aidera à les reconnaître par la suite.

Et n’hésitez pas d’essayer différentes cuisines. Laissez-vous tenter par l'achat d'un livre de cuisine qui n'aurait pas attiré votre attention en temps normal. Les cuisines indienne et française abondent d'épices ! Ou encore, attablez-vous dans un resto et commandez un met à la carte même si les ingrédients ne vous sont pas ou à peine familiers. Ceci est d'autant plus valable lorsque vous vous trouvez à l'étranger.

Sachez aussi, que le goût ne serait rien sans l’odorat. Pour s’en persuader, il suffit de se rappeler à quel point « rien n’avait de goût » lors de notre dernier rhume et combien il est difficile d’avaler quelque chose qui ne sent pas bon. Le goût est aussi une histoire visuelle : une assiette bien présentée semble plus appétissante et fait donc plus envie qu’un tas informe. Enfin, il est encore lié à la température, à la texture, au volume, ainsi qu’à la perception auditive (un cracker qui ne craque pas sous la dent est tout à fait décevant).

Face à la complexité du goût, on comprend mieux pourquoi les enfants, avant d’adopter un nouvel aliment, prennent le temps de se familiariser avec lui. Ils l’analysent à travers tous les sens stimulés par la nourriture, en le regardant, le humant, le touchant, le triturant, avant de le mettre éventuellement dans leur bouche.

Alors réveillez l’enfant qui sommeille en vous et laissez-vous tenter d’en faire autant…

Papille gustative (photo : Laura, 2007)


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