Pascal Carrère : le climat dans la prairie
Publié par GREC Alpes Auvergne, le 5 juin 2025 180
Pascal Carrère est ingénieur de recherche à l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) au sein de l’unité mixte de recherche sur l’Ecosystème prairial (i.e. les prairies). Il explique ici le lien entre ce type d’espace et le climat, son rapport personnel à ce sujet de recherche et la place que tient la médiation dans sa vie après 35 ans d’une carrière qu’il orientait initialement vers l’enseignement.
Quel est votre domaine de recherche et son lien avec le climat ?
J’étudie le fonctionnement de la végétation prairiale en interactions avec leur milieu, donc le climat, et les pratiques agricoles. En mobilisant le cadre théorique de l’écologie fonctionnelle, j’essaie d’avoir une approche intégrée et dynamique du fonctionnement des systèmes d’élevage herbagers. La prairie offre une grande diversité de services écosystémiques, dont certains contribuent à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique, notamment par sa capacité à stocker du carbone. C’est d’autant plus important dans des prairies permanentes ou naturelles. En effet, les pratiques agricoles influencent la composition végétale des prairies et nous essayons de comprendre comment se font les associations d’espèces et comment elles évoluent dans le temps, d’où l’intérêt de se pencher sur l’agroécologie pour proposer et développer des leviers d’adaptation basés sur la biodiversité.

@S.Toillon
Quelle place la médiation occupe-t-elle dans votre travail ?
Ces dernières années je m’investis davantage dans l’appui aux politiques publiques et le transfert des connaissances. Il y a une certaine satisfaction à avoir un retour direct de son implication professionnelle. Je me sens plus utile en participant à des réunions publiques, des salons professionnels ou des interviews pour m’adresser directement aux acteurs intéressés. Il y a un véritable enjeu autour du transfert des connaissances (et pas simplement leur diffusion), car beaucoup sont produites mais le niveau d’appropriation par le terrain reste assez faible, ou se fait avec un grand décalage de temps. J’essaie de développer des approches participatives avec la profession agricole et les gestionnaires d’espace. Dernièrement j’ai ainsi pu participer aux groupes de réflexion accompagnant la conception de la feuille de route Adaptation du Massif Central avec le Comité de Massif. En tant que scientifique, j’amène de la connaissance aux acteurs et porteurs d’enjeu puis ce sont eux qui prennent les décisions. C’est important de contribuer à ce type d’actions et de faire le relais entre la science et les attentes opérationnelles, en particulier parce que les décideurs n’ont pas le temps de se plonger dans les publications scientifiques. J’en suis à une étape de ma carrière où les activités de médiation sont devenues un important facteur de motivation de mon activité professionnelle.
Votre domaine de recherche et votre engagement dans la médiation influencent-ils votre vie personnelle et inversement ?
Même si l’activité scientifique se base sur une démarche neutre et factuelle, il me serait difficile de travailler sur un sujet qui ne serait pas en accord avec mes convictions et mes valeurs. Je pense que le choix même de notre objet de recherche se fait selon notre sensibilité, notre appétence, et l’importance qu’on lui accorde. Pour ma part j’ai découvert la prairie durant ma thèse, et cet attachement s’est renforcé au fur et à mesure que je travaillais sur cette thématique et que j’en comprenne les enjeux. Mon intérêt pour la prairie s’est développé avec mon travail et les nouvelles connaissances acquises m’ont permis d’élargir la compréhension de ces espaces et leur importance en tant que pivot des systèmes fourragers, pilier de la biodiversité ou facteur d’attractivité des territoires. Produits des interactions entre l’environnement et les activités humaines, elles sont un exemple de la co-évolution homme-nature des espaces et des territoires. C’est ce regard que je souhaite ensuite partager, pour que d’autres personnes puissent s’approprier la multifonctionnalité de ces écosystèmes. Cette sensibilité influence également ma vie personnelle, notamment dans mes choix de consommation. J’avoue être aussi affecté par le désengagement que je ressens dernièrement autour de la question climatique. J’ai le sentiment que les choses ne vont pas dans le bon sens, malgré la quantité de connaissances scientifiques disponibles.
@C.Amblard
Comment favoriser l’appropriation des connaissances selon vous ?
On ne s’improvise pas médiateur scientifique. Je me suis moi-même rendu compte qu’il est difficile d’avoir de l’impact et qu’il y a des méthodes pour mener ce transfert de connaissances. Il est d’abord nécessaire de maitriser son sujet afin de pouvoir mener la discussion et répondre aux interrogations. Expliquer simplement des choses complexes demande un vrai travail pour choisir les bons termes, les bons exemples et assurer la crédibilité du message. De plus, on ne s’adresse pas de la même manière au grand public, qu’aux professionnels agricoles ou associatifs, ou à des élus. Ils n’ont pas les mêmes questions, la même culture, ni les mêmes préoccupations. Il faut en avoir conscience pour adapter le message et le rendre intelligible. Compte tenu de la complexité des questions à traiter dans le cadre du changement climatique, il n’y a pas de réponses simplistes, il faut l’intégrer et chacun a son rôle à jouer à son niveau. Avec le recul j’ai le sentiment que certains collègues scientifiques ont plus d’appétence pour les approches conceptuelles d’autres sur les aspects plus opérationnels, et que cela peut évoluer dans le temps. Pour ma part, j’essaie de me positionner en intermédiaire pour favoriser l’échange de connaissances et de questionnements entre acteurs académiques et acteurs de terrain.
Vous pouvez retrouver les travaux de Pascal Carrère sur HAL et dans la revue Fourrages publiée par l'Association Francophone pour les Prairies et les Fourrages.
Louise Chevallier