Communauté

Atout Cerveau

Petit mais costaud, le muscle releveur de la paupière témoigne de l'éveil, pas de la conscience

Publié par Laurent Vercueil, le 4 avril 2016   13k

Se réveiller, c'est ouvrir les yeux. Un petit muscle travailleur, le releveur de la paupière commence sa journée. Et, mis à part les battements nécessaires à la protection de la cornée, ou la contraction plus soutenue de l'orbiculaire qui vient filtrer la lumière lorsqu'elle devient trop agressive, il conservera une activité tonique continue jusqu'au coucher. Vous connaissez un muscle plus actif dans l'organisme ? moi, non (1)

Afficher l'image d'origine

Bien entendu, son activité tonique peut être inhibée volontairement. Si je ferme les yeux sans mobiliser la musculature periorbitaire, je fais tomber le rideau de la paupière qui vient masquer ma vue. C'est reposant. Mais un tantinet inquiétant. A l'état d'éveil, le releveur est actif, car il permet de contrôler l'environnement. L'inhibition de cette activité demande un effort de volonté, il s'agit d'une inhibition forcée, active et non d'un relâchement passif, hors la situation confortable d'un lit douillet, dans un environnement familier et sécurisant, où l'on peut se laisser aller à la vulnérabilité totale du sommeil. Sinon, éveillé, il faut vérifier l'absence de prédateur ou d'une information pertinente pour la propagation d'un patrimoine génétique tant estimé (PGET).

Le lien entre l'activité tonique du muscle releveur de la paupière et les structures du cerveau qui contrôle l'éveil est bien connu de nos collègues réanimateurs : c'est l'ouverture des yeux qui signe le réveil du coma. Même lorsque cette sortie du coma se fait vers un état végétatif, d'où la conscience est absente, par exemple à la suite de lésions diffuses du cortex. Dans ce cas, le cycle veille-sommeil est préservé, même lorsqu'il ne sous-tend aucune activité consciente, dépendant du cortex.

Les structures qui régulent donc le niveau d'éveil (soit : la réactivité, voire le billet correspondant) sont anatomiquement connectées à des noyaux moteurs élémentaires, pilotant par exemple la coordination des mouvements oculaires et l'ouverture des paupières, à la partie haute du tronc cérébral. Un signal d'éveil, par exemple une stimulation sensorielle, peut provoquer une ouverture des yeux.

Résultat de recherche d'images pour "ouvrir les yeux"

Un arrêt cardiorespiratoire est une cause fréquente de décès, comme on peut aisément l'imaginer. Mais parfois, une réanimation rapide permet de retrouver une activité cardiaque, une respiration spontanée et des réflexes élémentaires. Ce qu'on appelle un coma post-anoxique est une complication très grave de ces accidents, dont seulement 10 à 20% des sujets se remettent, parfois avec des séquelles importantes. La raison de ce pronostic péjoratif tient à la sensibilité du cortex à la privation durable d'oxygène : la souffrance des neurones est rapide, irréversible et compromet toute chance de récupération secondaire. Très vite, après les gestes de réanimation immédiate, la question est : le cortex a-t-il souffert irrémédiablement ? Ici, la neurophysiologie intervient avec ses outils d'évaluation fonctionnelle (Electroencéphalogramme, ou EEG, et Potentiels évoqués) auxquels l'imagerie cérébrale ne peut se substituer (Scanner et IRM (2)).

Il arrive que parmi ces patients que nous rencontrons en réanimation, certains manifestent ce type de dissociation clinique : ouverture des yeux en réponse aux stimulations de l'éveil (appel par le prénom, par exemple) et absence d'activité corticale. Il s'agit d'un comportement difficile à comprendre par l'entourage qui guette de telles réactions en espérant qu'elles conduisent à un réveil complet. Dans un cas que nous avons croisé ces derniers temps (3), l'EEG montrait que la personne était en état de mal épileptique (un état de mal post-anoxique, forme très sévère 4). Pourtant, en contraste avec l'enregistrement catastrophique de son activité cérébrale, après chaque stimulation elle ouvrait les yeux (y compris l'appel de son prénom). De plus, chaque fois qu'elle ouvrait les yeux, les décharges épileptiques continuaient strictement identiques. Autrement dit, le système d'éveil réflexe aux stimulations fonctionnait correctement en activant le releveur de la paupière, mais le cortex était indifférent, occupé qu'il était par des décharges épileptiques continues. Et lorsque nous administrions, pendant l'EEG, un traitement antiépileptique d'action rapide pour faire céder l'activité épileptique, effectivement efficace, cette disparition des décharges ne fit pas du tout évoluer favorablement la situation clinique. Au contraire, elle n'ouvrait même plus les yeux lorsqu'elle était stimulée. En somme, le traitement avait supprimé l'activité épileptique, mais également "éteint" le système d'éveil.

La dissociation entre ce qui sous-tend l'éveil et l'activité corticale où sont générés les états de conscience, n'est pas une surprise. Mais l'absence de lien entre l'ouverture des yeux, dépendant de cette activité tonique du muscle releveur des paupières, et la conscience, reste une observation frappante.


>> Notes

  1. Bien sûr, les muscles respiratoires (diaphragme et muscles accessoires), le muscle cardiaque ont une activité permanente, sans quoi nous ne serions pas en train d'en discuter, mais il s'agit d'une activité phasique, c'est à dire dépendant de volées périodiques de potentiels d'action (pour la respiration) ou de contractions rythmiques (pour le cœur) et non d'une activité tonique, c'est à dire continue
  2. Des études récentes ont eu recours à l'IRM fonctionnelle pour ce type d'évaluation, mais il s'agit de procédures très complexes, aux succès spectaculaires mais rares
  3. S'agissant de patients, je veille à ce qu'aucun élément décrit ne puisse permettre de lever l'anonymat. Le sexe, les initiales, les lieux, et l'histoire même peuvent être modifiés pour garantir ce respect
  4. Un état de mal épileptique est une activité continue de décharge électrique dans le cerveau, qui, dans le cas d'un coma anoxique (il y a bien d'autres causes possibles à un état de mal), témoigne d'une souffrance importante des neurones