Préambule à "Immensité du Minuscule"

Publié par Heiko Buchholz, le 7 mai 2012   2.7k

Heiko Buchholz est auteur, metteur en scène et acteur dans la compagnie "Un Euro ne fait pas le Printemps". Actuellement en résidence chez ACONIT, jusqu'en 2013, il présente ici ses réflexions autour de la création de sa prochaine pièce.

En 1996, j'ai monté une pièce de théâtre avec des étudiants et des acteurs amateurs qui s'intitulait « La Météorite ». Le spectacle mettait en scène l'hypothèse d'une chute de météorite qui aurait comme conséquence l’effacement des données informatiques à une échelle continentale. La question abordée au cœur du spectacle était : quelles seraient les conséquences d'un tel événement sur nos sociétés qui sont désormais devenues dépendantes des ordinateurs et des programmes informatiques ?

Cette création avait été jouée dans le cadre de la Fête de la science à l'Hexagone, scène nationale de Meylan (38). C'était, il y a 15 ans. Je n'avais pas la maturité du métier, je n'avais pas encore trouvé un « bon » chemin pour m'exprimer à travers cette discipline qu'est le théâtre. Je n'avais alors que quelques expériences venues du théâtre universitaire et de quelques stages de jeu de scène.

Entre-temps, j'ai pu travailler avec des personnes qui m’ont appris d'autres outils, d'autres façons de faire du théâtre que le jeu de scène dont je me suis éloigné. J'ai eu en particulier, l'honneur de travailler avec un groupe d'expérimentation théâtrale dans l'espace public, le « Groupe O » à Grenoble de 1992 à 2000. J'ai eu la chance de monter des déambulations avec l'un des fondateurs de la compagnie « Délices Dada », Etienne Delmas, décédé en 2009.

Et c'est en faisant ces expériences que j'ai pu trouver mon propre chemin dans cet art qui passe par le décalage et l'absurde, l'interactivité et l'intégration du public dans l'histoire que je raconte. Depuis, j'ai monté de petites formes théâtrales faciles à mettre en place et à faire tourner. Depuis 2003, presque 2000 représentations de ces formes légères ont tourné dans le milieu de la culture scientifique sur toute la France.

L'association « Un Euro ne fait pas le Printemps », que j'ai fondée en 2003, est devenue un collectif d'artistes solide et disposant des outils administratifs, communicatifs et humains nécessaires pour pouvoir aller dans une création théâtrale plus ample et plus ambitieuse.

Je reviens aujourd'hui à cette création de 1996, pour revisiter ces questions : Quel est notre rapport avec les ordinateurs et comment façonnent-ils notre vie ? Dépendons-nous des machines que nous avons inventées au point que notre civilisation cesserait d'exister si nous en étions privés ? Que se passerait-il alors, si un événement naturel ou d'origine humaine, par exemple une chute de météorite ou une tempête solaire, voire une explosion atomique dans la haute atmosphère, nous privait subitement du réseau informatique ? Comment notre civilisation réagirait-elle à un tel choc ?

Il ne s'agit pas de développer un N-ième scénario catastrophe mais d’un travail de conscience ; aller à la rencontre de qui nous sommes, au travers des ordinateurs que nous avons conçus. L’aventure consiste à explorer les questions suivantes qui s'imposent à moi : Et déjà c'est quoi un ordinateur, une machine à mémoriser, à calculer, à penser à notre place ? Une machine à faire penser tout le monde de la même façon ? Cette machine favorise-t-elle les inégalités sociales ou les efface-t-elle ? A quoi aspirons-nous en prolongeant nos organes, nos sens et nos relations avec autrui par les machines ? Est-ce que tout cela nous amène au plus proche de nous-mêmes ou est-ce que cela nous en éloigne ?

Je voudrais pouvoir poser ces questions au sens le plus large possible, en interrogeant ceux qui ont conçu les ordinateurs, les ont inventés ou qui ont aidé à les faire exister. Nous investiguerons sur l'écriture en tant qu'acte d'écrire, de forcer la matière à garder notre trace en griffant une pierre, en traçant des lignes sur du papier avec de l'encre noire, ou en induisant de l’électricité dans du silicium.

J’explorerai aussi la pointe de ce qui s'invente aujourd'hui, les lieux de recherche fondamentale qui tentent d'imprimer de la mémoire lisible dans la matière de plus en plus proche de l'atome. Qui sont ces gens qui passent leur énergie et une partie de leur existence à cela ? Je voudrais me servir de notre environnement direct, de la rue, des immeubles, des gens qui y habitent, des lieux de recherche, des lieux de mémoire pour interroger le présent dans un moment de notre histoire, un point qui est « le maintenant » en lien direct avec le temps passé, le temps où nous n'étions pas encore, le temps où la vie est apparue, la matière, l'univers.

Au fur et à mesure des rencontres et des essais publics, ces questions et ces réflexions donneront lieu à une pièce. Construite avec ceux qui m'accompagneront, ceux qui m'aideront, elle devra poser ces mêmes questions aux spectateurs. Le pari est assez fort : partir de ce que j'ai fait jusqu'à maintenant, sans savoir quelle forme la future pièce aura. Mais j'ai confiance, je veux que cette pièce s'inscrive dans la période que nous vivons actuellement, comme cela a été le cas du « Dr H » et du « Safari ici ! » et ces spectacles sont arrivés à existence au moment où il le fallait, ni trop tôt, ni trop tard...

J'ai reçu beaucoup d'encouragements et d'aides concrètes pour réaliser ce travail artistique qui, modestement et sans changer le monde, contribuera à décaler ou à intensifier notre regard pour nous permettre d'élargir notre point de vue sur le monde. Et je pense sincèrement que là, il y a un petit espoir.

>> Illustrations : Stéfan, Konfu, steffenz (Flickr, licence CC)