Quand le synchrotron est utilisé pour étudier l'ouïe des grenouilles

Publié par Esrf Synchrotron, le 13 juillet 2016   4.1k

Utiliser les rayons X ultra-puissants produits par l’anneau de 844m du synchrotron européen de Grenoble peut paraître étonnant pour étudier l’ouïe des grenouilles. Et pourtant. Cette semaine dans l’émission, « le temps d’un bivouac » sur France Inter, consacré au "monde des grenouilles", le bioacousticien Renaud Boistel a expliqué comment il a mené des expériences à l’ESRF pour percer le mystère de la grenouille qui entendait avec la bouche. Alors qu'on pensait les grenouilles Gardiner sourdes car dépourvues de tympans, les scientifiques ont découvert qu'elles entendent, grâce à un système de résonance dans leur cavité buccale.

La grenouille qui entendait avec la bouche

Certains animaux, notamment la plupart des grenouilles, n’ont pas d’oreille externe comme les humains mais une oreille moyenne - la partie de l'appareil auditif qui comprend le tympan et les osselets - située directement à la surface de la tête. Les ondes sonores environnantes font vibrer le tympan et ces vibrations sont ensuite acheminées par des osselets à l'oreille interne, où des cellules ciliées les traduisent en signaux électriques envoyés vers le cerveau. Est-il possible de détecter un son dans le cerveau sans oreille moyenne ? A priori, la réponse est non, car 99,9% du son qui se propage dans l'air est réfléchi à la surface de la peau.

Et pourtant, les scientifiques connaissent des espèces de grenouilles qui coassent et communiquent entre elles, sans avoir d'oreille moyenne. C’est le cas de la grenouille Gardiner, l’une des plus petites grenouilles au monde (1cm de long), qui vit dans les forêts tropicales de l'archipel des Seychelles.

La grenouille Gardiner - Renaud Boistel/CNRS (gauche), Office de tourisme des Seychelles (droite)

Pour expliquer ce mystère, une équipe internationale de chercheurs menée par Renaud Boistel, de l'IPHEP (CNRS/Université de Poitiers) a utilisé les rayons X de l’ESRF. Grâce aux techniques d’imagerie par rayons X, les scientifiques ont pu démontrer que ces grenouilles utilisent leur cavité buccale et des tissus mous et osseux pour transmettre les sons à l'oreille interne. Les résultats de cette étude ont été publiés en 2013 dans PNAS
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Comme l’explique Peter Cloetens, scientifique à l’ESRF, « Avec les techniques d'imagerie de l'ESRF, nous avons pu établir que ni le système pulmonaire ni les muscles de ces grenouilles ne pouvaient contribuer de façon significative à la transmission du son vers l'oreille interne et déterminer quelles parties du corps contribuaient à la propagation du son : la bouche. » L'imagerie par rayons X a montré que la transmission du son de la cavité buccale à l'oreille interne était optimisée grâce à deux adaptations : réduction de l'épaisseur des tissus mous et osseux entre la bouche et l'oreille interne, et diminution du nombre de couches de tissu, toujours entre la bouche et l'oreille interne.

« La combinaison de la résonance de la bouche et de la conduction osseuse permet à la grenouille de Gardiner de percevoir le son efficacement sans avoir recours à une oreille moyenne tympanique », explique Renaud Boistel, dans la publication.

L'équipe internationale qui a mené cette étude publiée en 2013 comprend des chercheurs français de l'IPHEP (CNRS/Université de Poitiers), du centre de neuroscience Paris-Sud (CNRS/Université Paris-Sud/Université Jean-Monnet Saint-Etienne), de l'Institut Langevin « Ondes et Images » (ESPCI Paris Tech/CNRS/UPMC/Université Paris-Diderot), du Laboratoire de mécanique et d'acoustique de Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université/Ecole centrale Marseille), de l'Institut de biologie systémique et synthétique (Université d'Evry-Val d'Essonne/CNRS), du Fonds de Protection de la Nature des Seychelles et de l'ESRF (synchrotron européen) à Grenoble. Crédits de la photo en bannière : Pierre Jayet/ESRF