Un cerveau monstrueux... c'est quel genre de cerveau ?

Publié par Laurent Vercueil, le 14 mai 2016   4.8k

A l'occasion de l'exposition MONSTRU'EUX, l'interrogation ne manque pas de sel : qu'est-ce qu'un cerveau monstrueux ?

  • Certainement pas un cerveau de monstre, qui ne doit pas être différent de celui de tout être vivant doué de la possibilité d'interagir de façon dynamique avec son environnement. Un système qui permet de percevoir le monde physique qui l'entoure, le transmuer en information, traiter cette information et à s'adapter en fonction de celle-ci, en se mobilisant vers une situation plus adéquate
  • Pas non plus ces représentations grotesques de films à sensation (voir l'exemplaire du film "The Brain") et qui, finalement, restent assez académiques (si l'on excepte la taille et la présence d'accessoires étranges)

Mais plutôt, un cerveau qui aurait les qualités essentielles du monstre, c'est-à-dire une différence radicale (qui constitue son a-normalité) et un caractère choquant.

Une différence, fut-elle importante, n'est pas nécessairement choquante. Et, inversement, on peut être choqué par quelque chose de semblable, comme deux jumeaux dont la ressemblance serait frappante au point de soulever la stupéfaction. Il faut bien, donc, la présence de ces deux ingrédients pour faire un monstre : l'aspect perceptif et la dimension émotionnelle. Une perception qui est formée à la détection de la différence (le cerveau repère mieux les discontinuités ou l'inattendu) et une émotion qui colore cette perception (pour ainsi dire, la perception d'une différence peut rester indifférente) : c'est monstrueux !

Examinons le cas des cerveaux différents, anormaux : par exemple, celui des génies (cf. le cas Albert Einstein). La différence porte davantage sur sa production (ses pensées, ses découvertes, ce qu'il fait, ce qu'il dit), voire ses propriétés (ses facultés, la façon qu'il a d'agencer et de confronter les représentations), que sur son aspect ou sa structure, où il semble que cette a-normalité soit ténue. Mais si on peut s'émerveiller de ses réalisations, on peut difficilement se sentir choqué par le cerveau du génie.

Un cerveau diminué par un accident vasculaire cérébral, une lésion traumatique, tumorale ou une maladie inflammatoire ou dégénérative, n'a rien de monstrueux. Il est atteint dans ses facultés, il est abîmé, mais compte tenu de la présence d'une lésion, c'est logique, expliquable. Il est normal qu'un cerveau lésé ne puisse assurer ses fonctions normalement.

En somme, un cerveau peut être normalement anormal, anormalement normal (1), ou normal normal (nous, quoi). Et donc : un cerveau monstrueux serait anormalement anormal.

Le tableau ci-dessous résume l'état de notre réflexion.


Qui est normal

Qui est anormal

Un Cerveau Normal

Notre cerveau (Nous)

Le cerveau d'un président normal

Un Cerveau Anormal

Le cerveau abîmé (certains d'entre nous)

Le cerveau monstrueux

Le temps est venu de réaliser qu'il existe dans notre région de montagnes un animal dont le cerveau a effectivement quelque chose de monstrueux. Nul ne peut nier que, dans le domaine animal, le DAHU a un statut "anormal". Bien que nous ayons été nombreux, en aventurant nos premiers pas sur les pentes, à être partis à sa chasse, nul ne peut se targuer de l'avoir vu, ou encore moins, capturé (to the best of my knowledge, comme on dit dans les articles scientifiques).

Il n'en demeure pas moins qu'une recherche sur internet fournit de nombreuses représentations de la créature, comme sur le site "excusemyenglish" qui consacre une page alarmante à "SAVE THE DAHU". Ou d'autres illustrations, dont voici quelques exemplaires :

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Le dahu sur un site de collégiens

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Sur le site d'un anatomiste

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Sur le site d'un zoologue...

... mais rien sur la neurologie du Dahu, il faut l'admettre. Or, le cerveau du Dahu est nécessairement monstrueux.

Outre le développement asymétrique des hémisphères cérébraux, le droit étant plus développé que le gauche chez les lévogyres (dahu qui fait le tour de la montagne par la gauche, les membres d'amont, du côté droit, étant plus courts), et le contraire chez les dextrogyres (qui dont le tour de la montagne par la droite), les hémisphères cérébelleux étant, eux, inversement développés, ce qui confère au cerveau une allure étrange, dite, en termes savants, bringuebalante, deux autres propriétés neurologiques sont remarquables :

  • Le sens de la "verticale subjective", piloté par le cortex vestibulaire, et qui nous permet, les yeux fermés, flottant dans l'espace, de pouvoir repérer assez fidèlement où est le haut et où se trouve le bas, lui est totalement inutile et se trouve atrophié chez lui. Ce qui nous permet, dans un dévers pentu, de conserver un horizon visuel... horizontal, du fait de l'alignement de nos yeux sur une ligne perpendiculaire à la verticale, ne lui sert à rien
  • Le cerveau du Dahu ne connait pas le demi-tour. Un Dahu ne se retourne jamais. Simple conséquence de la pression sélective, tout Dahu s'étant retourné un jour (et conséquemment dévalé au bas de la montagne) ayant perdu toutes ses chances de propager son patrimoine génétique dans sa descendance (le mot est mal choisi, en l'occurrence).

Un cerveau dissymétrique (ce qui est unique dans la nature), et dont certaines fonctions basiques sont naturellement atrophiées, voici qui peut réussir à vous convaincre du caractère monstrueux du cerveau du Dahu.

Et pour peu que vous soyez impressionnés à sa vue, au détour d'un chemin de randonnée l'été prochain, le facteur émotionnel sera également présent !


>> Note

  1. Il est étonnant qu'un candidat à la présidence ait été amené à souligner, comme un fait extraordinaire (et donc : anormal) qu'il serait un président "normal". Ce qui nous autorise à qualifier son cerveau d'anormalement normal (et ce qui est pratique pour remplir notre tableau)