Un professeur de lycée est-il un médiateur scientifique ?

Publié par Lorenzo Jacques, le 9 janvier 2019   1.7k

 La médiation pédagogique est une posture de l'enseignant. Celui-ci ne se comporte pas comme un détenteur de savoir qu'il inflige, impose, mais comme un facilitateur de découverte et de compréhension. »
Wikipédia – « Médiation Pédagogique 

Dans mon master, on parle plus souvent de « médiation scientifique », en remplacement d’un terme trop connoté, la « vulgarisation ». Mais dans tous les cas, on parle de transmettre des connaissances, des théories et des compétences au grand public. A l'origine, le terme vient du droit, il désigne un tier neutre et indépendant, qui vient aider à la relation entre deux acteurs. Il en ressort une définition extrêmement large, à laquelle j’ai voulu m’intéresser :

Est-ce qu'un livre de science-fiction fait de la médiation ?
Est-ce que "C'est pas Sorcier" fait de la médiation ?
Est-ce qu'un jeux-vidéo comme Assassin's Creed, qui revendique une certaine exactitude historique, fait de la médiation ?
Est-ce que Wikipédia fait de la médiation ?

Pour en revenir à la définition de Wikipédia, c’est le terme d’enseignant qui m’a intéressé : les professeurs du primaire et du secondaire sont-ils des médiateurs scientifiques ? Et si non, pourquoi ?

Pour en savoir plus, j'ai décidé d’en discuter avec un ami, professeur de mathématique en lycée. Nous discutons souvent de pédagogie, d'enseignement, de comment il essaye, chaque jour de rendre son cours vivant et intéressant. N’est-ce pas ce que moi, en tant que médiateur, serait aussi amené à faire ?


Pour commencer Samuel, quelle différence entre ton travail, et celui auquel je me destine ?

Beaucoup de choses

D’abord, quelque chose de fondamental : la fréquence. Même si la médiation revêt beaucoup de formes, qui peuvent se poursuivre sur plusieurs jours ou semaine, le professeur est dans une temporalité très différente.

De plus, les impératifs sont différents : Quand on parle de « rendre les maths intéressantes » par exemple, c'est pas forcément mon cas. Là où le médiateur cherche forcément à intéresser les gens, moi j’ai d’autres priorités, en l’occurrence, le socle commun. Je ne suis pas là pour leur faire aimer les fractions, mais pour leur faire comprendre qu’ils vont avoir besoin de ces connaissances et de ces techniques plus tard.

Rendre les sciences intéressantes, démontrer leur utilité, ce n’est pas quelque chose que je fais dans mes cours normaux. Par contre, là je travaille avec une classe de secondes, sur un enseignement d’ouverture appelé MPS (Méthode et Pratique Scientifique), et là je me permets de faire des choses plus « ludiques », et moins académiques.


Est-ce que tu a eu des rapports avec des médiateurs scientifiques dans le cadre de tes cours ?

On reçoit de temps en temps des mails, pour des salons ou des intervenants. Mais personnellement, je n’ai pas eu de temps à y accorder, dans la mesure où ce sont des choses que je devrais organiser de A à Z.


Est-ce que tu souhaiterais le faire ? Comment tu imagines ça ?

Pour le coup, oui c’est quelque chose qui m’intéresserait, justement pour dépasser ce fameux socle commun. Pour autant, je ne sais pas quelle forme ça pourrait prendre, et encore une fois je n’ai pas forcément le temps de préparer des séances pour ça.


Est-ce que ce serait au médiateur de proposer un format qu’il a construit ? Ou au contraire au professeur de faire une demande en fonction de ses besoins ?

Je ne pense pas que le médiateur puisse venir en support à un cours. Là par exemple, je viens de démarrer les vecteurs avec ma classe de seconde, et je ne pense pas qu’un médiateur scientifique puisse m’apporter quelque chose à ce stade. Je le vois plutôt intervenir entre deux chapitres, une fois les connaissances acquises, pour inviter les élèves à utiliser autrement leurs compétences, et à croiser les différents enseignements reçus.


Tu as le CAPES, diplôme de professorat, tandis que j'aurais, moi, un diplôme de médiateur. Deux formations et deux filières très différentes, pour des métiers tout de même semblables. Qu'est-ce que t'a apporté ta formation ? Penses-tu qu'il faille que les deux formations se rejoignent ?

Je suis très critique sur la formation que j’ai reçue, et beaucoup de changement me semblent nécessaires. En revanche, je ne suis pas sûr que la rapprocher de la formation de médiateur soit une bonne idée.

Les cours de didactique, et l’importance de la différenciation sont deux outils de base de l’enseignement, qui me semblent irremplaçables, et que l’on ne trouve pas de la même façon dans une formation de médiateur.

De manière générale, il me semble que l’enseignement classique va obliger les élèves à plus que de l’écoute, pour leur apprendre à mobiliser et utiliser leurs connaissances. Tandis que je vois le médiateur dans une logique plus ascendante, où le public n’est pas acteur.


Une différence n'existe-t-elle pas entre nous en cela que ton public est captif, alors que le miens est volontaire ?

Je ne pense pas qu’on puisse si facilement dire que les lycéens sont un public captif. Ma première année en tant que prof, je faisais mon stage dans une classe de STI2D. Une filière technique donc, plutôt réfractaire aux mathématiques, et là les lycéens se comportaient clairement comme un public captif.

Mais depuis septembre, j’ai une classe de seconde générale avec un excellent niveau, et un profil plutôt scientifique. Là ils sont pour la plupart motivés et impliqués, comme on pourrait l’attendre d’un public non-captif.

Au final, je ne pense pas qu’on puisse faire une généralité sur le sujet, en lycée comme en université d’ailleurs.


Est-ce que tu penses qu’il y a des choses que l’école peut faire, et pas le médiateur ? Et inversement, y a-t-il des actions possibles au médiateur et bannie du milieu scolaire ? Est-ce que cette situation te sembles bénéfique ?

Je pense que le médiateur peut aller plus facilement vers « l’exotisme », en proposant des activités impossibles à réaliser en classe. Ce serait peut-être aussi une façon de réconcilier des élèves avec la matière, chose qui est cependant aussi possible en cours. Selon les profils, et surtout quand le cadre scolaire est inadapté, cela me semble très utile.

Mais le médiateur n’est pas habilité à rendre les élèves capables de mobiliser ces connaissances pour plus tard (ou pas toujours). Dans certains cas, les élèves peuvent se montrer intéressés à l’instant T tout en restant très passif intellectuellement ou sans apprendre les bonnes choses. C’est le cas des serious game par exemple avec lesquels on est très critiques en éducation : les élèves mettent en place des stratégies optimales plutôt que d’apprendre le contenu.

Enfin, le médiateur n’est pas habilité à évaluer une connaissance, ce qui est très important pour l’élève (plus qu’on ne le croit), qui a besoin de se situer, de savoir si il sait.


Dans la mesure où les médiateurs et les professeurs ont un objectif général en commun, penses-tu qu'il devraient plus travailler de concert ? Est-ce que tu trouve la collaboration souhaitable ? Ou au contraire tu penses que ce n’est pas pertinent ? Voir dangereux ?

Comme je l'ai dit ça peut être pertinent en tant que prolongement ou en tant que complément. Cependant, il peut être dangereux de croire qu'un médiateur puisse remplacer ou dépasser sur l'enseignement : on peut toujours apprendre en autodidacte, mais c’est un apprentissage qui est limité, et loin d’être adapté à tous les profils.

Je dis ''en autodidacte'' car encore une fois l'évaluation, le regard critique de nos connaissances, est essentiel à un apprentissage.



Deux univers vraiment différents donc, mais est-ce vraiment à cause de différences d'objectifs ?Est-ce que les réticences de Samuel sont-elles fondées sur des divergences véritables entre nos deux professions ? Ou a t-il de la médiation scientifique une image biaisée ?

Il semble convaincu que la médiation n'est que ascendante, et plus à prendre comme un divertissement que comme un apprentissage. Pourtant, les FabLab ne sont-ils pas exemple d'un apprentissage par le faire, sans pour autant respecter les codes scolaires ?