Une controverse qui a bon train
Publié par Célia Grandadam, le 8 décembre 2022 1.1k
Septembre 2022. Notre promotion d’étudiants en master de Communication et Culture Scientifiques et Techniques (CCST) découvre le programme de notre première enquête de terrain. Le Fort Marie-Christine comme QG, il est prévu de naviguer à travers la vallée de la Maurienne pendant cinq jours dans le but d’apprendre à créer du lien entre sciences et société.
LE PROGRAMME DE LA SEMAINE
Découvrir, comprendre, questionner et parler de la controverse autour de la construction d’une ligne ferroviaire transalpine reliant Lyon et Turin. Après quelques recherches et une brève cartographie des acteurs impliqués, nous nous rendons donc sur le terrain pour rencontrer les personnes qui animent la vallée. Toute cette semaine, nous sommes encadrés par Mikaël Chambru, Raphaël Lachello et Émilie Wadelle.
Notre périple est ponctué de rencontres à Saint-Martin-la-porte, Le Bourget, au Refuge de l’Orgère, à Modane, à Aussois, etc. pour tenter d’embrasser la complexité des questions soulevées par le projet. Beaucoup d’entre nous n'avaient jamais entendu parler de cette controverse. C’est donc à travers les discours de ces acteurs que nous avons, au fil des jours, pris connaissance des enjeux qu’elle sous-tend.
PRÉAMBULE : UNE CONTROVERSE, KÉSAKO ?
On peut dire qu’il y a controverse lorsque différentes visions du monde s’affrontent. Schématiquement, dans le cas d’un projet d’aménagement du territoire comme le Lyon-Turin, des lanceurs d’alerte vont s’opposer à ses promoteurs en tentant de faire connaître les dangers potentiels de sa mise en œuvre. La controverse se cristallise alors autour d’une compétition entre les arguments déployés par les deux camps : les uns dénoncent, les autres défendent. Souvent, les premiers brandissent des considérations écologiques ou sociales, quand les seconds rappellent les enjeux économiques. Chacun pose le problème à sa façon en invoquant des évaluations coûts/bénéfices, des articulations local/global, passé/présent/futur, réversibilité/irréversibilité, etc. Au cœur d’une controverse, c’est finalement un débat de société qui se joue : quel type de société souhaite-t-on ? À quelles technologies a-t-on recours et pourquoi ? N’y a-t-il pas d’alternatives moins préjudiciables ?
FOCUS SUR LE TERRAIN
Nous partons de Grenoble tôt le matin pour remonter le Grésivaudan et prendre la direction de Saint-Jean-de-Maurienne. Le point de rendez-vous est fixé au tout nouveau pôle multimodal de la petite ville. Le trajet est, pour la plupart d’entre nous, le moment de découvrir l’entrée de la vallée de la Maurienne. Nous suivons le cours de l’Arc tandis que le soleil apparaît timidement entre les montagnes. Au cours la semaine, nous découvrirons les massifs de la Vanoise, des Arves ou encore des Cerces. De l’autre côtés des sommets, se trouvent au nord, la Tarentaise, et au sud, les Écrins.
C’est à Saint-Martin-la-Porte que nous rencontrerons nos premiers interlocuteurs : des employés de l’entreprise binationale "TUNNEL EURALPIN LYON TURIN" (TELT), en charge de la construction de la partie transfrontalière de la ligne ferroviaire.
LE PROJET LYON-TURIN
Notre première rencontre nous permet de cerner le projet, de son élaboration à son avenir, en passant par son avancement, ses enjeux, ses contraintes et ses avantages.
En résumé, le Lyon-Turin vise à favoriser les échanges transnationaux. En complétant la ligne européenne appelée « corridor Méditerranéen » connectant Lisbonne à Kiev, cette portion permettra de désengorger le trafic routier en transportant des marchandises comme des voyageurs.
Le projet a été imaginé en 1989 à la suite de la chute du mur de Berlin. Après une phase d’étude de faisabilité et des appels à projet, le chantier a été divisé en trois parties : l’une supervisée par la France, une autre par l’Italie et la zone transfrontalière par une entreprise binationale. C’est sur cette dernière qu’ont lieu les travaux les plus récents, afin de construire un tunnel à la base de la montagne. La particularité de ce tunnel, au-delà de sa longueur (57,5km), est son orientation est-ouest. Contrairement aux autres tunnels transalpins déjà existant et orientés nord-sud, il sera soumis à différentes contraintes géologiques et traversera des types de roches très variés. Le projet, qui devrait voir le jour aux alentours de 2030, apparaît comme une prouesse technique.
Néanmoins, l’entreprise ne fait pas l’unanimité : le Lyon-Turin a connu une forte opposition dès sa formulation. Il fait l’objet de nombreuses discordes quant à ses conséquences. Pour certains, il présente même un avenir incertain en termes de retombées économiques et/ou d’impacts environnementaux. En ce sens, le statut d’utilité publique qui lui a été conféré tend à être remis en question. Le projet apparaît ainsi comme un héritage du passé, ordonné par la course au développement et à la croissance, potentiellement inadapté aux préoccupations du futur au présent. Il figure notamment dans la carte des Grands Projets Inutiles et Imposés publiée par Reporterre.
Tout au long de la semaine, nous avons donc pris connaissance des points de vue de nombreux autres acteurs : élus, associations, membres de l’Office National des Forêts, militants… Les habitants de la Maurienne perçoivent le projet de manières différentes, chacun selon ses sensibilités, son rapport au territoire, ses valeurs, ses intérêts ou son histoire.
ET LA SUITE ?
Si au cours de notre semaine nous avons déjà pu partager notre démarche à travers un live twitch sur la chaîne “Chercheurs de Montagnes” et organiser un débat public à la salle communale du Bourget, ce n’est pas fini. Grâce aux informations, images, sons ou encore témoignages que nous avons collecté, nous continuons à partager ce que nous avons appris sur le terrain.
Nous sommes également en cours de réalisation d’une série de podcasts, mais il vous faudra encore un petit peu de patience pour la découvrir !
À suivre…
Nous tenons à remercier tous ceux qui ont accepté de nous rencontrer, nous accueillir et échanger avec nous : Benjamin, Simon, Giuseppe, Gilles, Marilyn, Philippe, Jean-Noël, Aurélie, Marie-Claude, Pierre, Xavier, Daniel, et tous ceux que nous avons croisés.
Nos encadrant.e.s :
Mikaël Chambru, enseignant chercheur
Maître de conférence, étudiant les questions de controverses en territoire de montagnes
Responsable pédagogique du Master CCST
Raphaël Lachello, enseignant chercheur
Doctorant, étudiant l’histoire de la forêt en Maurienne
Fondateur et animateur de la chaîne de vulgarisation “Chercheurs de Montagnes”
Émilie Wadelle
Artiste sonore, documentariste et Médiatrice scientifique
Fondatrice @Skadi & Co & @Le Camp de base
Crédits photos : Célia Grandadam & Guillaume Froment
Écrit par Célia Grandadam & Clémentine Mulet