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Et si nos neurones repoussaient... Interview d'Homaira Nawabi, chercheuse à l'INSERM

Publié par Antoine Depaulis, le 27 octobre 2016   6.7k

Chez l'homme, lorsque l'axone d'un neurone adulte est sectionné, il ne repousse pas et ceci entraîne la perte de fonctions essentielles. En étudiant le système visuel, Homaira Nawabi, chercheuse à l'Inserm (1), a découvert qu'en activant simultanément certaines voies de signalisation cellulaire, la repousse des axones qui forment le nerf optique est en partie possible. A quand un traitement pour faire repousser nos neurones ? Interview.

D'où viens-tu et où as-tu travaillé avant de venir à Grenoble?

Je suis née à Kaboul et je suis arrivée en France à l’âge de 9 ans. Pendant ma thèse, à Lyon, je me suis intéressée à la mise en place des circuits nerveux pendant le développement de l’embryon. Ensuite, je suis partie pendant 6 ans à Boston (Harvard Medical School - Boston Childrens Hospital) où j’ai travaillé dans le domaine de la régénérescence axonale. Depuis le mois d’avril, je suis à Grenoble où j’ai monté mon équipe de recherche à l’Institut des Neurosciences de Grenoble. Je continue toujours à m’intéresser aux circuits nerveux avec une attention particulière pour leur réparation.

En quoi consistent tes résultats récents ?

J’ai montré qu’en activant simultanément plusieurs voies de signalisation cellulaire on peut faire repousser les axones sur des distances assez longues. Certains axones sont même capables d’atteindre leurs cibles, c'est-à-dire les neurones avec qui ils communiquaient avant la section (2,3). C’est un résultat super excitant dans le domaine de la régénération puisque toute lésion du cerveau ou de la moelle a des conséquences irréversibles. Les neurones ne repoussent pas et cela entraîne de lourds handicaps moteurs et cognitifs. Donc, orienter des axones vers leurs cibles est le premier pas pour envisager une récupération de la fonction de ces neurones.

Comment fais-tu pour activer ces voies de signalisation cellulaire?

Dans l’équipe, nous travaillons sur le nerf optique de la souris. C'est un modèle de régénérescence axonale qui est très simple car une seule population de neurones forme le nerf optique. En plus, ce nerf est très accessible et très facilement manipulable. Comme pour la reprogrammation des cellules, nous utilisons des virus inactivés qui permettent de faire exprimer les molécules qui nous intéressent et qu’on injecte tout simplement dans l’œil. De plus, nous disposons de souris génétiquement modifiées qui nous permettent d’activer de façon spécifique des voies de signalisation cellulaire.

Est-ce que tous les axones atteignent leur cible?

Jusqu’en 2008, un des dogmes en neurosciences disait que les neurones lésés ne pouvaient pas repousser sur de longues distances. Depuis, nos connaissances ont fait des progrès considérables et nous sommes maintenant capables de refaire pousser les neurones de l’œil jusqu’au cerveau, c'est-à-dire sur plusieurs dizaines de millimètres. Par contre, je me suis vite rendue compte qu’une proportion de ces axones en cours de régénérescence se "perdait". Comme s'ils ne se souvenaient plus de la direction à suivre : le plus frappant était de voir des axones qui partaient d’un œil pour aller dans l’autre ! Alors est-ce qu’ils sont vraiment « amnésiques » ou est-ce que les signaux qui doivent les guider jusqu'à leurs cibles ne sont plus là ? C’est l’une des questions à laquelle s’intéresse mon équipe.

Mais ceux qui atteignent leur cible forment-ils des synapses avec le neurone suivant?

Une partie des axones est capable d’atteindre sa cible. Heureusement ! Nous avons quelques données préliminaires qui suggèrent que ces axones forment des synapses. Mais c’est encore un peu tôt pour vraiment l'affirmer. Redemande-moi dans 1 ou 2 ans !


Comment comptes-tu trouver ce qui permet aux neurones lésés de reconstruire des circuits qui fonctionnent à nouveau ?

Guider les axones jusqu’à leurs cibles implique deux partenaires : le neurone et son environnement. En effet, le neurone doit comprendre la signalisation qui est émise par son environnement et qui va le diriger jusqu’au bon endroit. Bien entendu, il faut que l’environnement exprime la signalisation à laquelle le neurone sera sensible. Il faut donc s’intéresser à ces deux aspects pour diriger correctement les axones. Nous avons plusieurs pistes. L'avantage du système visuel que nous utilisons comme modèle d'étude est qu'il a été beaucoup étudié lors du développement. On connaît ainsi très bien tous les acteurs mis en jeu pour permettre aux axones d’aller vers leur cible et on sait exactement quel neurone se projette, où et comment. C’est un avantage considérable pour nous. Nous allons utiliser ces données de la littérature pour examiner si ces molécules qui jouent un rôle lors de la maturation, jouent également un rôle (et le même) lors de la régénération du nerf optique. Nous allons regarder ce que ces neurones en cours de régénérescence expriment et ce qui se trouve dans leur environnement. Une fois une molécule identifiée, nous pourrons la faire s'exprimer dans les neurones lésés par le biais d'un virus inactivé. Cela nous permettra d'analyser le circuit après la modulation des acteurs trouvés.

Ta recherche est-elle limitée au système visuel ?

Le système visuel n’est qu’un modèle, donc quelque chose d'assez "simple" qui va nous permettre de répondre à des questions déjà très complexes. Mon idée c'est de transposer nos résultats aux lésions de la moelle épinière par exemple. Imaginons que l’on arrive à faire repousser les neurones qui commandent nos muscles. Si ces neurones "régénérés" forment des circuits aberrants et activent des voies de la douleur au lieu d’activer les muscles, non seulement les patients resteront paralysés mais en plus ils auront des douleurs atroces. De même, avec le développement des thérapies de remplacement cellulaire par des cellules souches ou des cellules reprogrammées, ces questions vont devenir encore plus cruciales : il faudra vérifier que ces nouvelles cellules s’incorporent dans les circuits préexistants et qu’ils se connectent à leur cibles originelles. La recherche de mon équipe s’inscrit ainsi dans le domaine de la restauration de circuits nerveux chez l'adulte.


Notes

Voir aussi notre dossier "les maladies neurodégénératives"

En septembre 2017, Homaira Nawabi a obtenu le très prestigieux financement "jeune équipe" (starting grant) de l'European Research Council (ERC).


  1. Après 6 ans au laboratoire du Pr He à Boston, Homaira Nawabi a été recrutée à l'INSERM pour monter une nouvelle équipe au Grenoble Institut des Neurosciences. Elle a également été lauréate d'un contrat de recherche Chaire d'excellence de l'ANR.
  2. Belin S, Nawabi H, Wang C, Tang S, Latremoliere A, Warren P, Schorle H, Uncu C, Woolf CJ, He Z, Steen JA (2015) Injury-induced decline of intrinsic regenerative ability revealed by quantitative proteomics. Neuron 86:1000–1014.
  3. Nawabi H, Belin S, Cartoni R, Williams PR, Wang C, Latremoliere A, Wang X, Zhu J, Taub DG, Fu X, Yu B, Gu X, Woolf CJ, Liu JS, Gabel CV, Steen JA, He Z (2015) Doublecortin-Like Kinases Promote Neuronal Survival and Induce Growth Cone Reformation via Distinct Mechanisms. Neuron 88:704–719.