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Spiritualité et Addictions : une conférence de Jacques Besson à Lausanne

Publié par Laurent Vercueil, le 19 mai 2019   4.2k

Le vendredi 17 mai 2019, la trentième réunion franco-romande de neurologie s'ouvrait avec la conférence de Jacques Besson, psychiatre lausannois, au titre intriguant :"Spiritualité et Addictions" (1). 

En orateur captivant, Jacques Besson a exposé son expérience personnelle, au cours des années 80, lorsque, jeune psychiatre, il se voit confier la coordination d'une clinique spécialisée dans le sevrage alcoolique, clinique administrée par l'armée du salut. Il découvre alors les difficultés du traitement des addictions, le terme d'addiction étant compris comme "la perte du contrôle d'une consommation (ou d'un comportement) en dépit des conséquences négatives". La consommation de drogue, alcool ou autres toxiques, et les addictions comportementales, exposent à des  complications personnelles, sociales et psychologiques, ou physiques. Ces complications n'empêchent pas la poursuite de l'exposition funeste.

Or, les moyens thérapeutiques font défaut et les résultats sont maigres, comme Jacques Besson en fait l'amère expérience. A la même époque, l'expérience zurichoise de tolérance maximaliste au Plastzpitz vire au fiasco : la solution n'est pas non plus dans les "scènes ouvertes de la drogue". Mais Besson se rend compte que certains alcooliques décrochent tout de même de leur consommation. Pourquoi ceux-là et pas les autres ?

Peut-être, le suggère Jacques Besson, parce qu'ils accèdent à une solution du deuxième ordre (selon Paul Watzlawick) : la spiritualité. 

Avant de discuter de ce que Besson entend par "spiritualité", un mot sur les solutions dite de "deuxième ordre": L'orateur prend l'exemple du rêve de l'ours: Lorsqu'un ours surgit devant vous pendant un rêve, trois solutions s'offrent à vous : 1) Faire le mort, 2) Combattre l'ours, 3) Prendre ses jambes à son coup. Aucune de ces solutions ne garantit votre survie. Pour cela, il faut trouver une solution d'un "deuxième ordre" : c'est de se réveiller.

L'éveil à la spiritualité permet au sujet de sortir de sa prison addictive, selon Besson. 

Mais qu'est-ce que la spiritualité ? Si Jacques Besson ne cache pas sa foi religieuse, il défend ici une conception élargie de la spiritualité : pour lui, il y a une spiritualité non religieuse, celle qui accorde un sens à l'existence. Une transcendance, qui dépasse la matérialité du présent. Cette transcendance, c'est le sens que l'on accorde aux choses, aux évènements, à sa propre existence. 

Pour Besson, trois axes soutiennent cette spiritualité, sur lesquels nous pouvons, chacun d'entre nous, nous situer :

  1. La confiance que le monde, tel qu'il existe, est compréhensible.
  2. La confiance que nous sommes, en tant qu'individu, dotés des possibilités d'accéder à cette compréhension
  3. La confiance que ce qui arrive a du sens ("the meaningfulness"). 

A ce point de la conférence, il me semble que si, en effet, notre cerveau nous conduit à réclamer du sens, pour les besoins d'une cohérence du récit de nous même et du monde qui conditionne probablement notre santé mentale, je ne suis pas certain d'adhérer à cette conception finaliste du spirituel. Par exemple, le point 3 peut être retourné comme un gant : Au lieu d'avoir confiance dans le fait que les évènements puissent avoir un sens, j'ai confiance dans le fait que je pourrais élaborer une signification concernant tout ce qui arrive - même au plus étrange (2). J'ai également confiance que les limites de conceptualisation de mes facultés intellectuelles ne me permettent pas d'accéder (point 2) à l'ensemble des données du monde, surtout depuis que nous nous sommes dotés d'instrument dépassant largement les propriétés de nos organes des sens. Enfin, le monde est probablement incompréhensible (point 1), car un modèle cohérent que je suis en mesure de me représenter ne peut que constituer une réduction perfectible à l'horizon de mes propriétés, qui abandonne  des pans majeurs de la réalité physique (3). 

Mais revenons à la conférence : Ainsi que de nombreuses études l'ont mis en évidence, dont l'une, suisse, à laquelle Jacques Besson a contribué, auprès de 9000 jeunes conscrits de l'armée suisse, un facteur de protection contre les addictions est, précisément, leur degré de spiritualité (religieuse ou non, telle qu'évaluée par questionnaires). C 'est ce que Carl Gustav Jung, dans une lettre au fondateur des Alcooliques Anonymes, avait résumé dans la formule "Spiritus contra spiritum", la spiritualité contre les spiritueux. Si les préceptes moraux peuvent constituer des barrages, il existe une spiritualité sans religion, donc sans prescription de comportements. Le fait de trouver un sens à sa vie détourne du vide de la consommation compulsive. 

Inversement, la disparition du sens ouvre aux vertiges des addictions. Jacques Besson est sévère pour le monde connecté et ses nouvelles addictions informatiques. 


Notes

(1) Jacques Besson a publié un livre sur le sujet (que je n'ai pas lu) : https://www.editions-eres.com/...

(2) une faculté par exemple mise en évidence par Gazzaniga et Sperry chez les patients "split brain", dont l'hémisphère gauche élaborait une théorie de ce que le sujet manifestait, sous l'influence de l'hémisphère droit. 

(3) En somme, je crois le monde incompréhensible dans une immense mesure (mais compréhensible pour certains détails), je pense mon cerveau inapte à accéder à une représentation juste de celui-ci, et je considère toute signification comme un artefact spirituel destiné à nous tromper. Si ce n'est pas du scepticisme, ça y ressemble drôlement...