5 questions à... Elisa Demuru

Publié par Territoire de sciences, le 2 septembre 2025   190

À travers cette série, nous mettons en lumière les chercheurs et chercheuses qui participent à la Fête de la science 2025 en Isère. L’objectif : découvrir leur parcours, comprendre leur métier et mieux appréhender les enjeux de leurs recherches.

Suite de la série avec Elisa Demuru, primatologue, éthologue, Post-doctorante au Laboratoire Dynamique Du Langage, équipe ENES.

Retrouvez toutes les informations sur la Fête de la science 2025 en Isère 


1. Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la recherche ?

J’ai toujours été une personne curieuse, animée par le désir de comprendre en profondeur ce qui m’entoure et le monde animal me fascine énormément. Je me souviens qu’à l’âge de huit ans, je suis tombée sur un volume d’une encyclopédie pour enfants consacré à l’évolution humaine.

Cette découverte m’a profondément marquée, car elle m’a fait pressentir que ce que nous sommes aujourd’hui a des racines anciennes et que, finalement, l’être humain est lui aussi un animal parmi les autres. C’est ainsi qu’est née en moi l’envie de comprendre comment et pourquoi nous sommes devenus ce que nous sommes. La décision de faire de cette passion mon métier, en devenant éthologue et primatologue, a été la conséquence naturelle de cet élan présent depuis mon enfance.

2. Sur quoi portent vos recherches en ce moment ?

Je poursuis aujourd’hui des axes de recherche qui ont toujours caractérisé mon parcours scientifique : la communication, la cognition sociale, l’empathie, la contagion émotionnelle. Ce qui m’intéresse, c'est de comprendre comment les animaux humains et non humains parviennent à entrer en relation, à se mettre en résonance les uns avec les autres, jusqu’à développer des formes complexes de coopération.

J’explore également les mécanismes évolutifs qui amènent certaines espèces à devenir plus tolérantes et plus empathiques, sachant que ce sont précisément ces espèces qui présentent des systèmes de communication plus élaborés.

Partie d’un intérêt initial pour l’évolution humaine et du langage, je me suis d’abord tournée vers l’étude des grands singes anthropoïdes, en particulier les bonobos et les chimpanzés, avant d’élargir mes travaux à d’autres espèces de primates. Plus récemment, je me suis également intéressée à des espèces au-delà de l’ordre des primates, notamment aux animaux domestiques. Mon objectif est de comprendre comment des processus de sélection naturelle – ou artificielle – favorisant la tolérance sociale peuvent modifier et enrichir les capacités communicatives des différentes espèces animales.

3. Y a-t-il une idée reçue que vous aimeriez voir disparaître dans votre domaine ?

Mon souhait est que l'étude du comportement animal soit prise au sérieux. L’éthologie est une véritable discipline scientifique ! Trop souvent, ce métier est réduit ou dévalorisé, comme s’il s’agissait d’un simple passe-temps, alors qu’il repose sur des compétences solides et sur des parcours de formation longs et exigeants. Ce manque de reconnaissance a des répercussions concrètes dans la vie quotidienne des animaux, notamment dans leur gestion et leur bien-être.

Je suis également éducatrice et comportementaliste pour chiens et chats, et dans mon expérience quotidienne je constate combien cette méconnaissance peut entraîner des souffrances chez nos animaux domestiques. Si l’on comprenait mieux leur comportement et leurs besoins, nous pourrions améliorer notre relation avec eux, ce qui garantirait un meilleur bien-être pour les animaux et, par conséquent, aussi pour nous.

Il est donc essentiel de montrer que l’éthologie ne se limite pas à l’université : elle peut avoir un impact concret sur la société. En sensibilisant le public à la richesse cognitive et émotionnelle des animaux – y compris ceux que nous côtoyons le plus, comme nos animaux domestiques – nous pouvons faire évoluer les attitudes, les respecter davantage et éviter des souffrances inutiles.

4. Comment participez-vous à la Fête de la science cette année ?

Cette année, je participerai à la Fête de la science grâce à l’association de vulgarisation et de médiation scientifique Fabric'à Sciences, à Faverges-de-la-Tour. J’y interviendrai le 3 octobre à travers une conférence grand public consacrée aux intelligences animales, intitulée "Bêtes pas si bêtes ! Voyage au cœur des intelligences animales", ainsi qu’avec un atelier destiné principalement aux enfants le 4 octobre. Dans cet atelier - intitulé "Malin comme un singe !" - les plus jeunes seront mis au défi à travers des casse-têtes inspirés de ceux que certains animaux doivent résoudre dans leur vie quotidienne. Les enfants tenteront de trouver des solutions, puis découvriront comment les animaux eux-mêmes réussissent ces énigmes !

5. Menez-vous des actions de médiation scientifique auprès du grand public en dehors de la Fête de la science ? Si oui, sous quelle forme ?

Je tiens énormément à la vulgarisation scientifique et à son potentiel de changer la façon dont on perçoit les animaux. Chaque occasion est donc bonne pour partager mes connaissances et ma passion avec le grand public. Il existe plusieurs façons de faire de la vulgarisation scientifique : assez souvent je suis invitée par des associations - et je fais également partie d’associations de bénévoles pour la protection des animaux - où j’anime des conférences et des ateliers théoriques et pratiques pour sensibiliser le public à la complexité du comportement et de la cognition animale. J’ai aussi des pages Facebook et Instagram (entre autres Les Amis des Bonobos), liées à la fois à mon activité de bénévole et à mon travail de comportementaliste pour chiens et chats. J’y propose, par exemple, de petites capsules d’éthologie sous forme de quiz, pour rendre cette discipline accessible à tous de manière ludique et conviviale.

🧠 Question bonus : Si vous deviez représenter l’intelligence avec un objet ou une image, que choisiriez-vous ?

J’aime imaginer l’intelligence comme un couteau suisse, rempli d’outils très variés. Certains sont hyper spécialisés, parfaits pour une seule tâche, d’autres sont polyvalents, capables de s’adapter à différentes tâches. Chaque espèce a son propre couteau suisse, avec sa combinaison unique d’outils. Il n’existe pas une seule intelligence, mais un ensemble d’intelligences, plus ou moins développées selon les besoins de la vie quotidienne et les défis de la survie. Les capacités utiles restent et se perfectionnent, tandis que celles qui ne servent plus disparaissent, laissant la place à de nouveaux outils, toujours prêts à enrichir notre couteau suisse évolutif.


Pour en savoir plus : découvrez le reste de la série dans ce dossier