Chat & humain : Le couple va-t-il reprendre du poil de la bête ?

Publié par Virginie Girard, le 9 avril 2021   1.1k

2020. Article écrit par Jordan BLAISE, Étudiant M2BEE.

Aujourd'hui, il existe près de 14,8 millions de chats en France qui accompagnent notre quotidien[1] par leur présence réconfortante. Il suffit de s’asseoir à côté d'une de ces créatures au pelage chatoyant l'espace d'un instant pour oublier nos tracas, laissant place au farniente envoûtant de son ronronnement... Mais à propos, depuis combien de temps exactement côtoyons-nous ce félin miniature ?

Du fauve... au minou.

Notre rencontre avec cet assidu miauleur remonterait au Néolithique lors de la naissance de l'agriculture au sein du croissant fertile, une région située à l'est de la mer Méditerranée. On a retrouvé à Chypre les plus anciennes traces fiables de domestication, qui témoigneraient d'une ren-contre remontant au moins à -7500 avant JC.[2]

Sa faculté de chasseur permit d'assainir notre environnement de vie en éliminant les rongeurs pillards de récoltes ou bien porteurs de maladies. En mettant la « patte » à la main, il apporta une aide importante à la pérennisation du mode de vie sédentaire que les humains adoptèrent, domestiquant ainsi le chat forestier (Felis sylvestris) en cette créature au charme pharaonique (Felis sylvestris subsp. catus) que nous connaissons aujourd'hui, qui par ailleurs durant l’Égypte antique s'est vu honoré d'un culte en sa divine aptitude à nous débarrasser des nuisibles.

Dans la culture japonaise, il est symbole de richesse notamment chez les commerçants. Néanmoins, il n'a pas toujours été synonyme de prospérité selon les époques et les civilisations : en France, il n'a été définitivement adopté que tardivement, après avoir été longtemps assimilé aux rituels de sorcellerie durant le Moyen-Âge. Encore aujourd'hui, on s'en méfie parfois lorsqu'il est noir !Mais heureusement pour lui, il détient désormais bien souvent le titre de chat roi dont les douillets coussinets sont confortablement installés sur le canapé du salon.

Source: unsplash.com. "Maneki Neko" de Puck Milder. 21/04/2020, Pays-Bas.


La possession d'un animal de compagnie au sein des foyers français ne cesse de se démocratiser. La relative indépendance du chat vis-à-vis de ses propriétaires est une qualité qui concilie souvent l'envie d'adopter un animal de compagnie et notre train de vie, ne permettant pas toujours d'assumer des responsabilités plus contraignantes lorsqu'il s'agit d'animaux plus exigeants en attention et en soins. Le chat est aussi devenu une véritable star des réseaux sociaux, faisant l'objet de vidéos ou d'images humoristiques : les fameux «lolcats».

Allant de pair avec la notoriété grandissante de l'animal, la population de chats vivant dans nos foyers a connu une grande évolution cette dernière décennie, bondissant d'un tiers entre 2008 et 20181! Cependant, le nombre réel de chats présents sur notre territoire est bien supérieur à la seule estimation des 14,8 millions de chats qui vivent sous nos toits. Chaque année, de nombreux chats domestiques retournent à l'état sauvage à la suite d'une perte ou d'un abandon : ce sont les « chats harets », dont la population reste difficilement estimable. Lesdits « chats errants », descendants des chats harets, seraient quant à eux présents au nombre de 8 à 10 millions d'individus[3]. De plus en plus nombreux sur le territoire, nos amis félins ne manquent pas de faire de notre environnement un immense terrain de chasse...

Nous le savons, sa réputation de chasseur n'est plus à démentir. Il lui arrive de rapporter avec fierté certains de ses trophées à ses propriétaires en signe de reconnaissance. Bien souvent d'ailleurs, il n'y prend pas une bouchée lui-même : indépendamment de tout besoin alimentaire, son comportement de chasse instinctif reste ancré, et ce même chez les chats de foyer.


Quand le chat n'est pas là, les souris dansent !

Savez-vous combien d'espèces de la faune sauvage rentrent dans le régime alimentaire du félin ? Si vous donnez votre langue au chat, sachez que d'après un projet de sciences participatives lancé en 2015 en France, plus de 200 espèces sont prédatées par le chat, rien que sur notre territoire.

Deux tiers des proies sont des mammifères, près d'un quart sont des oiseaux, le reste du menu du félin étant composé principalement de reptiles, agrémenté de quelques arthropodes, mollusques et poissons[4].

La pression de prédation qu'il exerce sur certaines espèces est telle qu'il a contribué à l'extinction de 63 espèces animales[5]. Le taux de mortalité d'oiseaux de jardins causée par le chat de foyer a augmenté d'au moins de moitié en France et en Belgique entre 2000 et 2015[6].

Chat domestique jouant avec un agame versicolore. La chasse est un stimulus vital pour la santé mentale du chat. Source: commons.wikimedia.org – "Cat playing with a lizard" de Basile Morin. 26/04/2018, Laos.


En France, 100 000 chiens et chats sont abandonnés chaque année, ce qui conduit inévitablement chez ces derniers à un retour à l'état sauvage et à la prolifération de nombreux individus. En l'espace de 4 ans, un couple de chats non stérilisé peut avoir jusqu'à 20 000 descendants[7] ! La prolifération du chat à l'état sauvage est parfois tellement incontrôlable sur certains territoires qu'il en devient une menace majeure pour la biodiversité locale.

Ces cinq dernières années, un plan de régulation de la surpopulation féline par abattage sélectif de 2 millions d'individus fut mis en place par le gouvernement Australien pour répondre aux enjeux de conservation de la faune locale fortement menacée par le chat[8]. Dans ce pays et en Nouvelle-Zélande, dont les écosystèmes insulaires sont souvent plus sensibles à l'introduction d'espèces exogènes, la population générale s'accorde sur une gestion plus stricte voire hostile vis-à-vis du félin, ce qui n'est pas le cas de pays moins sensibles à cette problématique tels que le Royaume-Uni[9].

Dans notre pays, d'après une enquête réalisée auprès de propriétaires de chats, le comportement de chasse de leur félin de compagnie est perçu pour un peu plus de la moitié des sondés comme étant un problème, pour un quart d'entre eux n'en étant pas un, le reste des participants ayant un avis plus ou moins mitigé sur la question. Bien qu'ils se montrent moyennement favorables ou défavorables à la réduction de la liberté de leur animal, ils sont en revanche pour la quasi totalité favorables à la stérilisation obligatoire des chats non destinés à l'élevage félin[4]. Si l'amour rend aveugle, il semblerait tout de même que les propriétaires aient ouvert les yeux sur l'impact que cause leur animal de compagnie.


A qui faire porter le « chat » peau ?

L'action du chat est cependant loin d'être la seule qui pèse sur la biodiversité : l'usage d'engrais chimiques ; l'introduction de pathogènes et d'autres espèces envahissantes ; la fragmentation et la destruction des habitats ; et enfin le réchauffement climatique, sont une multitude de causes d'origine anthropique qui contribuent également à l'affaiblissement de populations animales prédatées par le chat. De plus, les impacts du chat sur certains écosystèmes ne sont que les effets secondaires de son introduction par l'humain.

L'évolution du rapport entre cet animal et l'humain à travers les époques soulève de nombreuses questions quant à la place qu'il occupe à présent à nos côtés, et lève le voile sur certains aspects insoupçonnés de la domestication.

Dans le contexte actuel d'érosion de la biodiversité, peut-on continuer à privilégier une espèce pour notre propre plaisir, au détriment de nombreuses autres et du fonctionnement des écosystèmes ? Comment adapter la possession d'animaux domestiques pour concilier un plaisir ou une nécessité, avec les enjeux de conservation actuels et à venir ? Face aux enjeux globaux, l'interdépendance des espèces domestiques et des humains rend-elle ces derniers vulnérables ? Enfin, quelles sont les responsabilités émergentes que l'humain a aujourd'hui et aura à l'avenir envers les animaux domestiques ?



Références

  • [1] Fédération des Fabricants d'Aliments pour Chiens, Chats, Oiseaux et autres animaux familiers.
  • [2] CUCCHI, Thomas, PAPAYIANNI, Katerina, CERSOY, Sophie, et al. Tracking the Near Eastern origins and European dispersal of the western house mouse. Scientific reports, 2020, vol. 10, no 1, p. 1-12.
  • [3] Ligue de Protection des Oiseaux [4] Société Française pour l'Étude et la Protection des Mammifères
  • [5] DOHERTY, Tim S., GLEN, Alistair S., NIMMO, Dale G., et al. Invasive predators and global biodiversity loss. Proceedings of the National Academy of Sciences, 2016, vol. 113, no 40, p. 11261-11265.
  • [6] PAVISSE, Roman, VANGELUWE, Didier, et CLERGEAU, Philippe. Domestic cat predation on garden birds: An analysis from European ringing programmes. Ardea, 2019, vol. 107, no 1, p. 103-109.
  • [7] Société Protectrice des Animaux
  • [8] « Australian government declares war on feral cats in bid to save native animals » The Guardian ; Oliver Milman ; Thu 16 Jul 2015 08.12 BST
  • [9] HALL, Catherine M., ADAMS, Nigel A., BRADLEY, J. Stuart, et al. Community attitudes and practices of urban residents regarding predation by pet cats on wildlife: an international comparison. PloS one, 2016, vol. 11, no 4, p. e0151962.