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De la construction d’un profil pathologique à l’indemnisation des victimes : l’exemple du Médiator® (benfluorex)

Publié par Malithévy Chung, le 25 septembre 2019   3.7k

Crédit photo : FRED TANNEAU / AFP

Ce lundi 23 Septembre, l’édition 2019 du séminaire “Sciences, Société et Communication” de la MSH-Alpes débutait avec une première séance consacrée au Médiator®.

En parallèle, et de manière fortuite, s’ouvrait le procès de ce médicament qui a entraîné un des plus grands scandales sanitaire en France. 

C’est Solène Lellinger, post doctorante en histoire et épistémologie des sciences et des techniques de l’Université de Strasbourg, qui nous a présenté ses résultats de thèse. 

Le Médiator®, qu’est-ce-que c’est ?

Le benfluorex, commercialisé sous le nom de Médiator®, est un médicament développé à partir de 1966. Il a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) dix ans après et il fut tout d’abord prescrit afin de lutter contre les troubles du métabolisme, notamment le diabète (type 1). 

Il s’est avéré que ce médicament présentait de sérieux risques indésirables, tels que des problèmes cardiaques (valvulopathies). Un premier signalement a été émis, concernant la pharmacovigilance en 1999, mais est resté sans suite.  

Plusieurs cas de valvulopathies ont été déclarés en Espagne et en Italie au cours des années suivantes, ce qui a entraîné le retrait de la vente dans ces pays. Le Médiator® est cependant resté disponible à la vente en France jusqu’en 2009.


Point vocabulaire 

Valvulopathie : défaillance cardiaque, provoquée par une fibre de collagène qui vient se fixer sur les valves du cœur ce qui entraîne un épaississement de ces dites valves. 

Conséquence : les valves deviennent moins mobiles, causant un reflux et demandant au cœur de pomper plus fort. 



En 2007, plusieurs patients du CHU de Brest ont été admis présentant une hypertension artérielle et une maladie pulmonaire grave. Cinq cas de valvulopathies sont alors détectés et étudiés. Ces études vont entraîner la suspension de mise sur le marché et le retrait du Médiator® en 2009.

Présent sur le marché du médicament pendant trente-trois ans, le Médiator®, représente au total et in fine : 145 millions de boîtes vendues ; plus de 5 millions de consommateurs en France et environ 30 millions d’euros par an dans les dernières années de vente.

L’enquête : de la méthode à la pratique

Présente au séminaire pour discuter de ses résultats de thèse, Solène Lellinger a commencé par exposer sa méthode d’enquête. Principalement composée de plusieurs séries de questionnaires, l’enquête ciblait différents publics.

Une première enquête s’adressait aux professionnels de cardiologie et questionnait plusieurs points : le praticien (sa formation et son information), la consultation (la façon de travailler du praticien ainsi que ses relations avec ses patients), le diagnostic (identification des pathologies et des valvulopathies) et enfin les valvulopathies médicamenteuses (connaissances des praticiens, expérience avec le Médiator®).

Solène Lellinger relève que l’envoi des questionnaires à ce corps médical a été quelque peu compliqué, puisqu’il n’est pas aisé d’accéder aux adresses mail des praticiens de manière groupée. 

La seconde enquête s’adressait aux usagers, pour tenter de mettre en lumière de nouveaux éléments permettant de découvrir leur identité ou profil socio-démographique. Au-delà de cette identification, ce questionnaire avait aussi pour objectif d’appréhender les habitudes et relations de soins avec le médecin traitant et le cardiologue, ainsi que les éventuelles procédures de réparations entamées.

À noter que cette enquête ne s’adressait pas uniquement aux personnes ayant développé des effets indésirables graves, mais tous les utilisateurs du Médiator®.

Le taux de réponse a été supérieur chez les usagers que chez les praticiens. 

Les résultats de l’enquête ont permis de mettre en exergue différents profils d’utilisateurs du Médiator®, qui comme nous l’a répété Solène, sont peu connus finalement dans ce scandale.

Crédit photo : Malithévy Chung, d’après la libre interprétation de la présentation PowerPoint de Solène Lellinger

Juridiquement parlant, il est important de faire une différence entre l’utilisateur officiel (celui imaginé dans le cadre de l’AMM) et l’utilisateur cible marketing (salle d’attente, inquiétude justifiée, diabète devient un problème).

D’usager à victime

Le scandale sanitaire du Médiator® a entraîné un déplacement de référentiel : un problème de santé s’est transformé en un problème de santé publique.

Malgré un problème commun, la réaction des victimes est extrêmement vaste. Certaines victimes entament des processus d’indemnisations ; d’autres ne vont pas entamer de procédures de réparations pour diverses raisons (manque de moyens, de connaissances) ; certaines victimes sont désengagées, ce qui peut s’expliquer par leur profil socio-démographique (qui ne leur permet pas forcément de se mobiliser).

En définitive, l’exemple du Médiator® est une illustration de la cristallisation d’une problématique de santé publique et du traitement de ses victimes.



Malithévy CHUNG (@cookie_fraise) & Anna-Marie REYTIER (@Anna_M_Rey) , Master 2 Communication et Culture Scientifique et Technique, Université Grenoble-Alpes.