Débats sur le caractère renouvelable et bas carbone de la biomasse

Publié par Encyclopédie Énergie, le 17 mai 2022   2.7k

On l’entend régulièrement, la biomasse est la plus ancienne des énergies renouvelables, utilisée depuis longtemps par l’Homme depuis la découverte du feu. Mais est-elle vraiment renouvelable et bas carbone ? Petit point d’éclairage dans ce billet.

1. Définition d‘une énergie renouvelable et bas carbone

Une énergie est dite renouvelable lorsqu'elle est produite par une source que la nature renouvelle en permanence, contrairement à une énergie de source provenant d’un stock donné qui s’épuise via son exploitation, comme le sont les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) ou l’énergie nucléaire provenant de l’uranium. Ces sources d’énergies renouvelables (EnR) peuvent être considérées comme inépuisables à l’échelle du temps humain.

Les EnR sont de sources très diverses : solaire, éolien, hydraulique, géothermie, marine, et bioénergies [1] (figure 1). Elles permettent la production d’électricité, de chaleur ou de carburant, définis eux aussi comme renouvelables, pour pouvoir être utilisés dans des usages finaux pour (se) chauffer, s’éclairer ou se mouvoir [2].

Elles sont à distinguer des énergies dites bas carbone qui, lors de leur utilisation, ne rejettent pas ou peu de gaz à effet de serre (notamment le CO2), comme l’énergie nucléaire permettant la production d’électricité et de chaleur décarbonée.

Figure 1 : les énergies renouvelables [Source : http://energie-eolienne.over-blog.com/2016/04/les-energies-renouvelables.html]

2. Éléments sur la biomasse et les bioénergies

La biomasse désigne l’ensemble des matières organiques d’origine végétale et animale. Cela englobe la végétation, les cultures énergétiques, ainsi que les bio-solides, les résidus animaux, forestiers et agricoles, la fraction organique des déchets municipaux et certains types de déchets industriels. Les bioénergies, à distinguer de la biomasse destinée à l’alimentation par exemple, concernent la valorisation énergétique de ces ressources via divers procédés de conversion.

La combustion du bois a été pendant des siècles la principale source d’énergie dans le monde grâce à la facilité d’accès à la ressource, en circuit court, avant d’être détrôné par le charbon, le pétrole et le gaz à la suite des révolutions industrielles (figure 2). Toutefois, il existe d’autres formes de valorisation énergétique de la biomasse. La gazéification permet de convertir la ressource en un gaz utilisable dans différents usages, par exemple pour différents procédés industriels. La méthanisation produit du biogaz à partir de nos déchets ménagers ou agricoles. Le raffinage de la biomasse végétale permet la production de biocarburants.

Figure 2 : Consommation d’énergie dans le monde depuis 1850 par source [Source : the Conversation, https://theconversation.com/lenergie-fossile-cette-drogue-dont-nous-narrivons-pas-a-nous-sevrer-160507]

Le caractère renouvelable de la ressource biomasse vient du fait que le CO2 dégagé par la combustion des bioénergies est compensé par le CO2 absorbé par les végétaux lors de leur croissance (figure 3). Sur une analyse de cycle de vie de la ressource, son utilisation est donc neutre en carbone, au contraire des énergies fossiles (charbon, pétrole, et gaz) dont l’exploitation et l’utilisation produit un nouveau stock de gaz à effet de serre rejeté dans l’atmosphère, stock qui était auparavant stocké sur le temps très long dans ces différentes ressources.



Figure 3 : Cycle du carbone dans l’utilisation énergétique de la biomasse – source : Encyclopédie de l’Energie, https://www.encyclopedie-energie.org/chaines-approvisionnement-biomasse-developpement-bioenergies/

En France, les EnR représentent 13% de la consommation d’énergie brute et presque 20% de la consommation d’énergie finale du pays (figure 4) [3]. La biomasse via le bois énergie, les biocarburants, le biogaz et les déchets divers représente plus de la moitié de cette consommation d’énergie renouvelable, loin devant l’hydraulique pourtant souvent considérée car la plus importante source d’énergie renouvelable (ce qui est le cas pour la production d’électricité renouvelable, mais pas pour la consommation totale d’énergie renouvelable !)


Figure 4 : chiffres clés des énergies renouvelables en France en 2020 - Source : Ministère de la transition écologique, chiffres clés des énergies renouvelables, édition 2021, https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-des-energies-renouvelables-edition-2021

3. La biomasse, respect du critère renouvelable ?

Nous pouvons dire que malgré leur intermittence, les énergies solaires et éoliennes sont inépuisables, comme peuvent l’être également la géothermie et les énergies marines, et ainsi bien répondre à la définition d’une énergie renouvelable. La discussion peut se faire autour de l’hydraulique avec la raréfaction de l’eau dans certaines régions du monde qui peut menacer son exploitation à long terme. Mais le critère d’énergie renouvelable est le plus souvent discuté avec la biomasse, car la ressource nécessite plus de temps pour se reconstituer (temps de pousse des arbres, des cultures énergétiques, etc.).

3.1. Les dangers de la surexploitation de la biomasse

L’utilisation de la biomasse peut également dans certains cas engendrer des déséquilibres environnementaux. Notamment, la déforestation massive, la concession de parcelles à l’industrie des biocarburants ou du biogaz réduit par endroits la taille des terres agricoles destinées à l’alimentation et des sources de biodiversité pour faire de la monoculture intensive (cf figure de couverture).

En particulier pour le bois énergie, s’il y a surexploitation de la ressource, on ne peut pas la considérer comme renouvelable car on ne prélève plus la seule production annuelle locale de la ressource, mais on puise dans le capital forestier de nos territoires, et donc on appauvrit le puits carbone constitué par ce type de ressource. Or, c’est ce capital forestier qui nous permet d’affirmer que le CO2 dégagé par la combustion du bois sera absorbé par la masse forestière existante. Ainsi, en entament ce capital, on appauvrit non seulement la ressource, mais on entre dans un bilan carbone négatif, tout comme les énergies fossiles conventionnelles.

La biomasse peut ainsi être considérée comme une source d'énergie renouvelable uniquement si sa régénération est au moins égale à sa consommation (par exemple, l’utilisation de bois ne doit pas conduire à une diminution du nombre d’arbres).

3.2. La biomasse, potentiellement neutre en carbone mais émettrice de particules fines

Même en étant qualifiée comme renouvelable sur son cycle de vie grâce à une exploitation raisonnée, en pratique, l’utilisation de biomasse par combustion, de biogaz, de biocarburant rejette des gaz à effet de serre et des particules fines. Ainsi, cet usage augmente la quantité de GES et les particules fines à un instant t. En effet, la combustion de la biomasse ajoute en fait du CO2 à l’atmosphère pendant la période de récupération du carbone, qui, pour les arbres, se situe entre 50 et 100 ans.

De plus, même si les GES constituent un problème à l’échelle globale, les particules fines, quant à elles induisent une pollution de l’air à l’échelle locale, avec pas mal d’inconvénients sur la qualité de vie des locaux[1]. Par exemple, le chauffage au bois participe à la transition vers des EnR mais représente une source notable de particules fines, et ce notamment dans les régions où la combustion de biomasse est largement pratiquée, comme dans la métropole grenobloise ou dans la vallée de l’Arve lors des journées d’hiver froids et secs [4] (figure 5).

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Figure 5 : Nuage de pollution dû aux particules fines dans la vallée de l’Arve (2017) – source Le Dauphiné : https://www.ledauphine.com/haute-savoie/2017/12/22/alerte-a-la-pollution-declenchee-en-vallee-de-l-arve

3.3. Le bon usage de la biomasse

La biomasse peut être utilisée dans beaucoup d’usages différents, énergétiques et non-énergétiques. Ainsi l’exploitation raisonnée et bonne pour l’environnement de bioénergies devrait se faire de façon à ne pas mettre en péril la ressource et les autres usages, nécessaires comme l’alimentation, ou plus efficients au niveau de la durabilité et des puits de carbone comme dans la construction.

La biomasse est également plus utile sur le plan du changement climatique pour des usages matériels (construction, textile et chimie) que lorsqu'elle est brûlée pour de l’énergie thermique ou électrique car elle permet le stockage du carbone sur le temps long, sans remettre le cycle à zéro [5]. L'utilisation de l'énergie tirée de la biomasse devrait donc être sélective et concentrée sur quelques niches pour lesquelles les autres options de décarbonation sont difficiles à mettre en place : chauffage industriel, aviation et transport maritime.

Néanmoins, ce risque de conflits d'usages va être accentué par les lois du marché, compte tenu des coûts de l'énergie qui s'envolent et devenant prépondérant avec l'engouement du bois de chauffage.

3.4. Biomasse et échanges

La biomasse, comme toute ressource, est inégalement répartie à travers le globe et ne corrobore pas forcément les lieux où elle est (ou cherche à être) utilisée. Ainsi, des échanges entre pays et régions existent et se renforcent avec la hausse mondiale de demande pour la biomasse.

Cela implique deux potentielles menaces : la première rejoint ce qui est développé en partie 3.1 avec une surexploitation possible des lieux de production de biomasse pour raisons économiques, mettant en péril l’environnement des pays producteurs.

Ensuite, cela conduit à de gros besoins de transport pour acheminer la ressource vers les lieux de consommation, ce qui renchérit le contenu carbone de cette ressource, et ce qui est un non-sens environnemental. Par exemple, la centrale thermique de Gardanne, autrefois alimentée par du charbon a été convertie en 2019 par une alimentation en biomasse (figure 6). Du point de vue de la ressource, cela engendre un bénéfice pour le climat. Néanmoins, il était envisagé d’avoir recours à de grandes quantités de bois provenant du Brésil pour alimenter la centrale, impliquant une déforestation accentuée dans ce pays et du transport de beaucoup de matière, lourde, par bateau en particulier. Heureusement, les dernières négociations ont permis de faire en sorte que l’exploitant de la centrale s’approvisionne en ressource provenant du sud-est de la France [6].

La centrale à biomasse de Gardanne est un contre-sens écologique, selon les opposants

Figure 6 : centrale de Gardanne alimentée en biomasse – source : Reporterre https://reporterre.net/La-centrale-a-biomasse-de-Gardanne-est-un-contre-sens-ecologique-selon-les

3.5. L’influence du changement climatique sur la ressource

L'évolution du climat conduit à la modification des conditions naturelles et des conditions dans lesquelles vivent les ressources. Ainsi, beaucoup d'essences peuvent souffrir de déficience hydrique dans certaines régions en France et ailleurs, avec en corollaire des problèmes phytosanitaires, champignons et insectes, etc. Les essences de substitution pour répondre aux besoins risquent de prendre du temps à être mis en place, exploitées durablement et validées.

Ainsi, l’énergie provenant de la biomasse peut être considérée comme une énergie renouvelable, soutenable et propre tant qu’il n’y a pas surexploitation de la ressource, mise en péril de la fertilité du sol et tant qu’il n’y a pas d’impacts excessifs sur la biodiversité. Il est nécessaire de l’exploiter de façon raisonnée et soutenable à long terme, en limitant les importations massives et lointaines et en cherchant à optimiser les rendements de conversion pour garder toute la diversité qui rend la biodiversité fertile et durable.


Un article de Gabin Mantulet


Pour aller plus loin, sur encyclopédie de l’énergie :

Biomasse et énergie : des ressources primaires aux produits énergétiques finaux

Photosynthèse et biomasse

De la découverte du feu à la combustion de la biomass

Combustion de la Biomasse et avenir de la forêt ?

Biogaz, biométhane et Power-to-Gas

Bioénergies : les chaînes d'approvisionnement de la biomasse, éléments clef de leur développement

Guyane : La biomasse-énergie en déba

Sources :

Image de couverture : Le développement des centrales biomasse, un remède « pire que le mal » face au réchauffement climatique ? - Observatoire des multinationales

[1] Les énergies renouvelables | Planète Énergies (planete-energies.com)

[2] AIE, WEO 2021

[3] Ministère de la transition écologique, chiffres clés des énergies renouvelables, édition 2021, https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-des-energies-renouvelables-edition-2021

[4] Lutte contre la pollution atmosphérique dans la Vallée de l'Arve - APPA

[5] Climat : l'Europe surestime les capacités de ses forêts | Les Echos

[6] La centrale biomasse de Gardanne renonce à importer du bois brésilien - Marsactu


[1] La pollution de l’air est responsable de 50000 morts environ chaque année en France, 500000 en Europe, 7 millions dans le monde (car elle peut engendrer des maladies cardiovasculaires, respiratoires et neurologiques allant jusqu’à provoquer l’apparition de cancer). Un décès sur cinq dans le monde serait lié à la pollution de l’air