Destins d’objets scientifiques et techniques : L’Apple II et son épopée (8/10)
Publié par ACONIT (Association pour un Conservatoire de l'Informatique et de la Télématique), le 17 octobre 2018 4.6k
Image d’en tête : L’Apple II, branché au téléviseur familial et à un lecteur de cassettes.
Par Alain Guyot, en collaboration avec Cyrielle Ruffo, ACONIT
Dans notre précédente série dédiée aux objets scientifiques entrés aux Monuments Historiques, nous vous avions présenté l’Alcyane, dont un exemplaire est conservé à l’ACONIT. Cette machine a été commercialisée pour une utilisation strictement professionnelle, notamment dans le domaine du management et de la collecte de données scientifiques. Mais qu’en est-il de la micro-informatique et du grand public ? Comment est-elle arrivée massivement dans les bureaux, les foyers ou plus généralement, dans ce que l’on pourrait appeler la vie de tous les jours ?
Cette démocratisation du micro-ordinateur s’est effectuée avec la conception d’une célébrité de l’informatique : l’Apple II, l’un des tous premiers appareils destinés à un usage personnel, sujet de notre publication mensuelle sur les objets scientifiques et techniques en ce mois d’octobre, qui marque le septième anniversaire de la mort de Steve Jobs, l’un de ses créateurs.
Le premier micro-ordinateur complet au monde
L’Apple II n’est pas le premier micro-ordinateur (ordinateur animé par un microprocesseur) mais il fut incontestablement le premier micro-ordinateur industriel et un des plus influents. Mais comment expliquer un tel engouement pour cet appareil pendant une période où l’informatique n’en était qu’à ses balbutiements ?
Cette machine, composée de son moniteur avec écran cathodique, de son unité centrale beige en forme de bloc dotée d’un processeur 8 bits, d’un clavier intégré sur plan incliné (imaginé à partir du design d’un appareil électroménager) et de son boîtier rectangulaire avec lecteurs de disquettes, fut la première à être vendue totalement complète et non en kit comme il était d’usage à l’époque. En complément des disquettes, ses 8 slots d’extension pouvaient accueillir un modem, une extension mémoire dotant la machine de 64 Ko supplémentaires (un grand luxe pour l’époque), une interface imprimante et même un disque dur pas nécessairement fabriqué par Apple. Une vraie révolution !
L’Apple II fut le tout premier « micro » qui gérait les couleurs (d’où les 6 bandes colorées du logo) à condition d’avoir la carte prévue à cet effet. Il offrait donc à son utilisateur une interface attractive loin de l’habituel écran monochrome, nouveauté bien utile pendant une époque marquée par l’essor des jeux vidéo. Ainsi, le détenteur de la machine connectait l’unité centrale au téléviseur familial, à un lecteur de cassettes et pouvait directement profiter de l’écran multicolore !
Ce monument de la micro-informatique faisait le bonheur d’autres start-up spécialisées dans le domaine et permettait à plusieurs petits fabricants de raccrocher leur wagon à la locomotive Apple en dotant ce micro-ordinateur de nombreux composants : carte « langage », carte graphique ou encore une carte accélérateur multipliant la vitesse par 4. Ces cartes optionnelles démultipliaient les possibilités de la machine, retardant de fait son obsolescence. Tous ces apports, bénéfiques pour Apple, permettaient de limiter le nombre de modèles différents à commercialiser.
L’arrivée de ce phénomène sur le marché a également favorisé le développement de logiciels et notamment l’un des tout premiers tableurs, Visicalc, faisant ainsi entrer la micro-informatique dans les entreprises autres que celles dédiées à la recherche de pointe. Les comptables s’empressaient alors de faire acquérir un Apple II par leur structure, doté du logiciel VisiCalc, qui épargna à ces derniers de fastueuses heures de travail supplémentaires. D’autres programmes tout aussi importants ont connu un essor considérable sur cette machine, comme le langage de programmation « Logo », qui permettait de donner des instructions simples et faciles à l’ordinateur grâce à des mots (tourner, avancer, etc.).
Tout cet ensemble complet, allégé en composants pour réduire le prix d’achat comme le souhaitaient ses deux créateurs, était vendu pour la somme de 1200 $, montant abordable pour tout acheteur et bien inférieur en comparaison aux autre micro-ordinateurs vendus en pièces détachées.
Grâce à l’ensemble de ses fonctionnalités, son design et son prix, l’Apple II avait tout pour plaire. Il a su toucher et conquérir toutes les catégories de consommateurs, des adultes passionnés d’informatique (geek), aux parents, qui l’utilisaient dans l’éducation de leurs enfants. Cette grande popularité s’explique par le fait que ce monstre de la micro-informatique a justement été pensé et conçu de manière à être utilisé par tous.
Du garage à la commercialisation
L’invention de l’Apple II est une histoire pour le moins insolite : il faut réviser la légende bien connue de deux hippies hirsutes, Steve Wozniak et Steve Jobs, inventant l’ordinateur personnel dans leur propre garage. Ces deux hommes, californiens d’origine et férus d’électronique, se sont rencontrés pendant l’adolescence et ont passé beaucoup de temps à bricoler mais aussi à faire les quatre cents coups ensemble.
A tout juste 21 ans, Jobs, en compagnie de son ami d’enfance Steve Wozniak et d’un autre homme, Ronald Wayne, avait déjà « monté sa boîte » depuis le 1er Avril 1976 : la société « Apple ». Après le prototype Apple I, qui n’a jamais été commercialisé, l’objectif de Jobs et de Wozniak était d’imaginer et créer un ordinateur simple, confortable, intuitif, esthétique et surtout abordable : un ordinateur utilisable par tout le monde. Toute l’opération pour la conception d’une telle machine, rendue possible grâce à la contribution d’environ 15 techniciens, a pu être financée en grande partie par un businessman, Mike Markkula, qui donna 250 000 $ (soit 30% des parts).
Un an après la fondation de la société, l’appareil, tout juste assemblé, est présenté à San Francisco lors de la première édition d’un évènement annuel dédié à l’Informatique, le First West Coat Computer Faire. Le but des deux bricoleurs était atteint car commercialisée à peine un mois après sa présentation, cette machine connut un grand succès et fut massivement commandée (plusieurs millers) à la société. Ainsi commence la grande aventure de l’Apple II, premier micro-ordinateur complet au monde. A titre de comparaison, la compagnie française R2E (Réalisations et Études Électroniques) fondée en 1970 commercialisa en 1973 (soit 4 ans avant l’Apple II) le Micral N, un boîtier de mesure contenant un microprocesseur. En ajoutant au Micral un clavier, un écran et un lecteur des disquette (et les diverses cartes d’interface) il est possible d’en faire un petit ordinateur de gestion tout à fait acceptable. La commercialisation de cette invention fut un succès : 90 000 machines ont été vendues (tout de même 13 fois moins que l’Apple 2). A cause de sa complexité, le Micral dans sa version de base (c’est à dire sans tous les composants permettant la meilleure performance possible), coûtait environ 2 000 $ en 1974 (800 $ de plus que l’Apple II complet), ce qui explique pourquoi ce dernier eut un succès plus important.
Quel héritage laissé par l'Apple II ?
En 1979, deux ans après la conception de l’Apple II, la société lança un nouveau modèle baptisé « Apple II+ », plus performant que son prédécesseur. Dès lors, la gamme ne cessa de s’agrandir grâce à l’arrivée de cinq machines dérivées du modèle de 1977 (Apple II+, IIe, IIc, etc.) jusqu’en 1988, avec toujours comme objectif la conception de micro-ordinateurs offrant de nouvelles possibilités en matière d’informatique. Parmi les nouveaux venus, l'Apple III, conçu pour les professionnels, devait concurrencer le PC de IBM. Il ne fut commercialisé que 4 mois avec une vente entre 60 et 120 mille exemplaires. Le Lisa fut également un échec, trop cher et trop lent, mais sa conception révolutionnaire apporta beaucoup au Macintosh introduit en 1984, en particulier la souris. Fort heureusement, les marges confortables de l’Apple II ont épongé les pertes et le Macintosh fut un succès. La capitalisation boursière de Apple a atteint en 2018 1 000 milliards de dollars (soit 2 fois celle d’IBM).
On peut dire que la série des « Apple » fut un grand succès puisque ces différents appareils ont été produits pendant plus d’une décennie. Mais dans les esprits, c’est toujours le second modèle de 1977 qui généra la diffusion générale de la micro-informatique dans la société. Après les années 1980, soit la période « post Apple II », cette machine attachante était souvent conservée par son propriétaire pour des raisons affectives, stockée dans les placards ou les greniers. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de trouver un Apple II, gardé précieusement, avec tous les souvenirs qui lui sont attribués.
Conservé par ses anciens utilisateurs et valorisé dans les structures dédiées au patrimoine scientifique et technique (par exemple notre association, qui en détient plusieurs exemplaires, visibles aussi virtuellement sur la base de données en ligne), l’Apple II n’a pas une dimension d’objet rare. Cependant, par sa grande popularité, ses apports technologiques et les nombreux témoignages qui le désignent comme « premier ordinateur possédé par la famille », l’Apple II, innovation des années 70, à la fois patrimoine matériel mais aussi vecteur d’un patrimoine immatériel, tient aujourd’hui une place de premier choix dans les chroniques de l’Histoire informatique.
Pour en savoir plus :
- Fiche inventaire de l'Apple II sur la base de données ACONIT :
http://db.aconit.org/dbaconit/...
- Vidéo explicative sur l’Histoire de l’Apple II :